Ginette : une vie en maison de retraite (fiction)

L’Association Nationale de Formation en Gérontologie (ANFG) poursuit la mise en ligne de ses petites fictions (très bien réalisées d’ailleurs) qui visent à aider les personnes travaillant en maisons de retraite à mieux comprendre le quotidien de leurs résidents. Aujourd’hui, voici la vie –fictive- de Ginette…


Ginette : une vie en maison de retraite (fiction)
Je n’ai pas eu une vie très heureuse.
J’ai perdu mes parents jeunes. Je fus employée de maison dès l’âge de treize ans.
Mes patrons étaient juifs. Emportés lors d’une rafle, ils ne sont jamais revenus.
J’ai été placée dans une ferme pendant la guerre.
A la Libération, j’avais deux enfants.
Ils n’avaient qu’un tort : être blonds et beaux, comme Gunther.
Alors on m’a rasée, chassée, vomie.
Et puis la vie a passé, grignotant peu à peu mon temps.
Maintenant, je suis vieille, très vieille. Je suis laide, très laide.
Et pourtant, je suis enfin en paix.
Mon Dieu comme il en faut des décennies pour se tenir à distance de ses maux.
Je suis bien ici dans cette maison. Beaucoup de dames se plaignent mais je trouve qu’on s’occupe bien de nous. Elles ont dû être trop gâtées…
J’ai perdu la vue, dommage, j’aimais bien crocheter.
Pour la première fois, j’ai un futur, je le connais.
Pas de mauvaise surprise : une vie réglée comme du papier à musique.
Mes enfants ne viennent pas : j’en suis heureuse car quand je vois les autres…
Le meilleur moment, c’est le chant. Trois fois par semaine. Et notre animatrice est un vrai rossignol.
Je n’aime que les documentaires animaliers à la TV.
Parfois je me perds un peu : l’autre jour, j’ai cru que l’aide-soignante était ma petite fille. Elles doivent se dire que je débloque. Je ferais bien de faire plus attention.
Je ne suis plus nécessiteuse, désormais je suis dépendante.
Et je trouve cela formidable, d’être bien entourée, de savoir où aller, d’avoir toujours quelqu’un sur qui compter.
Pour moi, c’est la première fois.
Merci à tous.

Publié le 01/08/2014 à 08:07 | Lu 1061 fois