France Alzheimer : pour une réforme adaptée aux besoins des familles (partie 3)

L’association France Alzheimer vient de publier un manifeste intitulé « Mobilisation pour une réforme adaptée aux besoins concrets des familles ». Interviews, regards croisés, témoignages, et bien sûr, contributions de France Alzheimer…


Regards croisés sur les enjeux

Entretien avec Jean-Paul Delevoye, Président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE)
 
Quels sont, selon vous, les éléments justifiant une réforme sur la perte d’autonomie ?

Au moment où les sociétés vieillissent, il faut garantir à la fois un avenir aux jeunes et une société accompagnante aux personnes qui vieillissent. La réflexion doit porter sur les « transferts intergénérationnels ». Le vieillissement de la population fait partie des problèmes les plus complexes et les plus urgents à régler car sans cela, nous risquons de voir émerger des conflits de générations entre des personnes âgées voulant maintenir leur niveau de retraite et des jeunes cherchant prioritairement à garantir la compétitivité de leur emploi. Le vieillissement a également un impact sur le transfert des salaires ou des retraites en épargne, ce qui a des effets sur la croissance de notre pays. L’un des préalables consiste à envisager la population vieillissante, non comme une charge, mais comme une source de croissance. La silver économie et la révolution numérique offrent des opportunités extraordinaires. Cessons de raisonner uniquement en coûts, pensons en termes d’investissements.
 
Quelles doivent être les priorités de la réforme ?

La prévention et le maintien à domicile. Toutes les avancées scientifiques et technologiques mettent l’accent sur la prévention. Le vieillissement est certes inéluctable mais il est possible de prévenir ses effets par une prévention active. Ensuite, il faut encourager et développer les nouvelles technologies pour répondre à l’exigence très forte des Français qui est de favoriser le maintien à domicile le plus longtemps possible. Ce qui est possible grâce à la surveillance médicale à distance, aux systèmes d’alerte, etc. L’investissement dans la domotique coûtera moins cher que le développement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dont la vocation doit être limitée à l’accueil des personnes au stade ultime.
 
Notre pays a-t-il les moyens de mobiliser les crédits nécessaires à cette réforme ?

L’avis du CESE a été très clair : cette politique relève de la solidarité nationale1. Le coût de la dépendance est de l’ordre de 24 milliards d’euros. Il peut être financé à prélèvements constants en réfléchissant aux économies à réaliser. L’état de nos finances nécessite de se reposer des questions, en termes d’exonération de certaines catégories de la population par exemple.
 
Des arbitrages sont possibles pour dégager des ressources supplémentaires. Il faut aussi réhabiliter le sens de l’impôt au profit du pacte républicain, définir une solidarité nouvelle par rapport au vieillissement de la population. La question consiste moins à garantir un revenu aux personnes âgées qu’à maintenir le plus longtemps possible la dignité et le respect de la personne humaine. Si l’on veut créer des solidarités, il faut en défendre les principes : la maladie et le vieillissement doivent être payés par tous. C’est pour nous une évidence. D’ailleurs l’inquiétude exprimée par le CESE concernait moins le financement de la réforme que le risque de pénurie du personnel, notamment au domicile. Il ne faudra pas oublier de revaloriser financièrement et de rendre les métiers du grand âge plus attractifs.
 
Entretien avec Michel Billé, Sociologue

Comment justifieriez-vous l’urgence d’une réforme sur la perte d’autonomie ?

Je mettrais en avant la situation difficile dans laquelle se trouvent nombre de personnes devant la perte d’autonomie. Entrer en maison de retraite représente un coût moyen de l’ordre de 2 200 € mensuels. Or nombre de personnes ne bénéficient pas d’une pension de retraite suffisante. Aujourd’hui, en France, une femme retraitée sur deux, vivant seule, se situe au niveau du seuil de pauvreté ou en dessous. En second lieu, il faut permettre aux établissements de recruter du personnel pour mieux soigner et mieux accompagner les résidents. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du remplacement des professionnels par des caméras de surveillance !
 
Vous avez réagi à la notion de “perte d’autonomie”. Pourquoi récusez-vous ce terme ?

L’autonomie signifie la faculté de décider pour soi-même. Elle diffère de la mobilité dont la perte se situe du côté de la dépendance. Je peux être dépendant de mon entourage – après un accident par exemple –, tout en restant autonome quant aux choix que j’ai à assumer. Confondre ces termes, c’est prendre le risque de me voir spolié de mon autonomie au motif de prendre en charge ma dépendance !
 
Mais ce dernier terme ne me paraît pas plus approprié car ce qui nous fait Homme, au sens métaphysique et philosophique du terme, c’est notre interdépendance. Si nous brisons cette interdépendance, en raison de la vieillesse, d’un handicap, d’une situation de pauvreté, il reste la dépendance, mais vis-à-vis de qui ? La notion de dépendance a été introduite à la fin des années 1980 dans le but de démédicaliser le regard porté sur la vieillesse. Pour cela, les responsables politiques se sont intéressés au monde du handicap qui raisonne autour du triptyque « déficience incapacité-désavantage ». La déficience, notion objective, peut entraîner une incapacité, notion relative qui elle-même peut occasionner un désavantage qui nécessitera d’être compensé humainement et financièrement.
 
Mais les responsables politiques ont alors réalisé – et Paulette Guinchard Kuntsler l’explique très bien - que si les dépenses liées au handicap étaient transposées au champ de la vieillesse, elles deviendraient exorbitantes pour l’Etat. Le terme dépendance a alors été choisi comme élément différenciateur en omettant de désigner de qui la personne devenait dépendante afin de ne pas avoir à désigner un payeur...
 
Que préconisez-vous pour sortir de cette “hypocrisie” ?

Il faut reconnaître que l’on devient handicapé à tout âge et créer à ce titre un cinquième risque de sécurité sociale. Nous devons sortir du schéma de l’aide sociale et de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie. Sans cela, nous nous orienterons vers un risque couvert de manière assurantielle, ce qui reviendra à exclure les plus pauvres d’une prise en charge de qualité. Nous devons, au nom de la fraternité républicaine, développer une solidarité nationale. Et que l’on cesse de nous dire qu’il n’y a plus d’argent ! La bourse a connu en 2013 sa meilleure année depuis 1997 ! Ce qui est difficile, c’est de faire le choix politique d’aller chercher cet argent.

Contribution 1 : Renforcer la solidarité autour du financement de la perte d’autonomie

La charge qui pèse sur les familles dont un proche est atteint de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée est double puisqu’elle est à la fois humaine et financière. Coûts humains d’abord, car ce sont bien ces familles qui portent le poids de l’aide informelle. Le temps mensuel d’activité déclaré par les aidants est de 157 heures en moyenne (domicile et établissement), soit 5 heures par jour. Ils assument donc un rôle essentiel dans cette prise en charge qui apparaît aussi complexe que coûteuse : si l’on valorisait ce temps d’activité moyen sur la base de la rémunération d’un professionnel, le coût s’élèverait à 3 000 € par mois !
 
Coûts financiers ensuite, puisque l’accompagnement et la prise en soin d’une personne en perte d’autonomie entraînent des charges financières souvent “écrasantes” pour les familles.
 
L’indemnisation de cette dépendance n’est assurée qu’au travers d’une seule prestation, l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie (APA), qui a depuis longtemps démontré son insuffisance, en ce sens qu’elle ne tient pas compte de la complexité de la maladie et de ses effets. Par ailleurs, les dépenses engagées dans le cadre de la maladie d’Alzheimer relèvent pour 70% d’entre elles du champ médico-social (accueil de jour, protections contre l’incontinence…). Ainsi, malgré la prise en charge à 100% de la maladie d’Alzheimer par l’Assurance Maladie, en tant qu’affection longue durée 15, la majorité des charges supportées par les familles ne fait en réalité l’objet d’aucun remboursement.
 
Lors des débats autour d’hypothétiques réformes du financement de la dépendance, plusieurs pistes avaient été évoquées par les gouvernements précédents. France Alzheimer avait espéré et s’était fortement positionnée pour que les pouvoirs publics instaurent “un cinquième risque”, nouveau champ de protection sociale qui aurait fonctionné sur un modèle solidaire. Si cette piste a depuis été mise de côté, France Alzheimer continue à appeler de ses voeux une prise en charge, par la solidarité nationale, de la compensation de la perte d’autonomie à laquelle peut être confronté tout individu, sans pour autant avoir les ressources nécessaires pour y faire face.
 
France Alzheimer appelle à renforcer la solidarité autour du financement de la dépendance afin de soulager les familles et garantir une équité réelle entre tous les citoyens en perte d’autonomie. Alors que le Gouvernement prévoit, dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société au vieillissement, d’attribuer au financement de la dépendance 685 millions d’euros issus de la Contribution Additionnelle de Solidarité pour l’Autonomie (CASA), France Alzheimer souhaite rappeler que ces fonds proviennent déjà de la contribution des familles puisqu’ils sont prélevés sur les retraites. France Alzheimer souhaite que les pouvoirs publics réfléchissent à des sources de financement supplémentaires.

Témoignage : le recours à l’assurance privée peut être un levier d’injustice sociale

Olivier B. avait 50 ans. Pour lui, vieillir dans de bonnes conditions et près des siens, c’est l’essentiel. Mais il y a un prix à payer : prévoir. Prévoir à l’avance qu’il y a toujours le risque d’un accident de la vie, d’une maladie… Pour être un bon père de famille et ne pas risquer de peser sur ses enfants s’il arrivait quelque chose à lui ou à sa femme, Olivier a donc pris une assurance dépendance. Il paye 100 € par mois depuis 15 ans.
 
Et aujourd’hui, Luce, sa femme, est gravement malade. Alzheimer l’a frappée jeune. Elle a perdu son autonomie, elle ne marche plus ! Epuisé, Olivier se dit donc que c’est le moment de déclencher son assurance pour financer la maison médicalisée où sera accueillie son épouse. A sa grande surprise, des critères spécifiques, en petites lignes dans son contrat d’assurance, font que son épouse ne correspond pas encore totalement aux critères de la Compagnie permettant de déclencher le versement des mensualités.
 
Résultat : il lui faut trouver 2800 € par mois ! La complexité de l’assurance privée et les difficultés rencontrées pour bénéficier des fonds de cette assurance mettent en péril l’accompagnement de la personne malade. “Au-delà de cette complexité d’ordre pratique, j’attire juste l’attention sur le fait que le recours à l’assurance privée peut être véritablement un levier d’injustice sociale. Ceux qui ont les moyens de payer et ceux qui ne les ont pas. Ceux qui ont les moyens de se payer une bonne assurance et ceux qui ne peuvent pas. Il n’y a que la solidarité nationale qui peut respecter le principe de l’accès pour tous aux droits de vivre dignement même gravement malade”, souligne-t-il.
 
Source : Ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale

Publié le 24/02/2014 à 05:00 | Lu 792 fois