Financer la perte d'autonomie ? Chronique de Serge Guérin

Le président de la République, a évoqué récemment la mise en place d’une seconde journée travaillée non payée pour financer l’accompagnement de la perte d’autonomie. Si la solution semble un peu courte, il est clair que le gouvernement semble décidé à ne plus faire l’impasse sur le financement de la perte d’autonomie. Et que le sujet est revenu sur le devant de la scène.





Financer la perte d'autonomie ? Chronique de Serge Guérin
Mais, au-delà des problématiques techniques et des arbitrages économiques, il s’agit d’abord d’élaborer démocratiquement une vision du soutien à la perte d’autonomie et à l’invention d’une société de la longévité.
 
L’enjeu relève de la capacité à traduire dans les faits, la conscience d’une mutation majeure. Rappelons que le Rapport Laroque (du nom de celui qui, avec Ambroise Croizat, inventa la sécurité sociale), date de 1962 et proposait déjà de prendre en compte le grand âge dans la protection sociale…
 
Si des décisions ont été prises, dont la création de la CNSA et d’une journée dite de solidarité, force est de constater que l’Etat n’a pas joué son rôle de stratège et que les politiques n’ont pas pu ou voulu proposer et discuter d’une réponse structurante. C’est la société civile, les familles, affrontant parfois les pires difficultés, les collectivités et le tissu local associatif ou privé, qui ont développé des solutions, du système D, de l’innovation et des solidarités de proximité.

Aujourd’hui, il semble que le « nouveau monde » reprenne une recette de l’ancien en évoquant la création d’une deuxième journée… A ce tarif-là, il faudrait supprimer au moins une semaine de congés pour arriver à un résultat utile ! Car, dans le meilleur des cas, une journée de plus (qui se conclue en large partie par, de fait, un impôt prélevé sur les entreprises) permettrait de trouver 2 Mds € de plus par an… Alors que les besoins d’aujourd’hui, et plus encore de demain, sont plutôt de l’ordre de 15 à 20 Mds €.
 
La problématique de la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale serait de venir renforcer les quatre grands risques déjà couverts par la Sécurité Sociale : la branche maladie, le risque d’accident du travail, le financement des retraites et l’ensemble des prestations familiales. Très clairement, il s’agirait donc de lever de nouveaux impôts et cotisations sociales fléchées vers la perte d’autonomie, dans une approche collective et solidaire. Mais, de fait, la CNSA, avec une gouvernance différente et présidée par une vraie politique, Marie-Anne Montchamp, joue déjà en large partie ce rôle.
 
En dehors de la mise en œuvre, d’une façon ou d’une autre de ce nouveau risque de solidarité sociale, une autre piste concerne l’assurance privée (pouvant être aussi portée par les mutuelles). Il s’agirait là, de manière complémentaire aux financements collectifs, d’ouvrir à une assurance perte d’autonomie individuelle.

Dans cette optique, une approche élargie au risque d’être aidant d’un proche peut avoir sa pertinence. Reste aussi à établir son caractère facultatif ou obligatoire (ce qui revient alors à lever un impot supplémentaire…). D’autres pistes existent en recherchant, par exemple, des économies dans une meilleure mutualisation des ressources (plateformes gériatriques et hospitalières, avec une présence continue de médecins et une attention particulière envers la fin de vie) et dans la réorganisation des structures, par exemple en supprimant les frontières, parfois très artificielles, entre sanitaire et médico-social.
 
Il s’agit bien évidemment de choix politiques mais aussi économiques. Les réponses participent très directement du contrat social à la française et nécessitent d’initier des approches cohérentes avec la situation économique du pays, le degré d’endettement et le rapport social à l’impôt.
 
A nous, collectivement, de penser les conditions de cette société de la longévité, de la place donnée à la prévention et du soutien aux plus fragiles tout en mobilisant de nouvelles ressources pour financer les dépenses non couvertes aujourd’hui. A nous de peser et convaincre de faire de la prévention, et de la participation sociale de l’ensemble des acteurs, une priorité pour inventer une société solidaire de la longévité.
 
Serge Guérin, sociologue, directeur de MSc « Directeur des établissements de santé », Inseec Paris. Derniers ouvrages : « La guerre des générations aura-t-elle lieu ? », Calmann-Lévy, 2017 et « La Silver économie », La Charte, 2018
 

Article publié le 20/04/2018 à 01:00 | Lu 4399 fois