Exclusion numérique des ainés : trois questions à Thomas Genty, directeur d'études CSA

Alors que l’association caritative les petits frères des Pauvres vient de publier une grande étude sur l’exclusion des personnes âgées du numérique, Thomas Genty, directeur d’études chez CSA, revient en trois questions sur cette problématique concernant les ainés.


Pouvez-vous nous présenter cette enquête en quelques mots ?
A la suite de la grande enquête que nous avons réalisée en 2017 sur la solitude et l’isolement des personnes âgées, les petits frères des Pauvres ont souhaité poursuivre leur démarche en explorant plus en détail le rapport des personnes âgées de 60 ans et plus avec Internet.
 
Pour ce faire, nous avons reproduit la méthodologie mise en place à l’occasion de la précédente enquête en interrogeant par téléphone un large échantillon de 1.500 individus représentatif de cette population, de façon à disposer de chiffres précis sur les taux d’équipement, les pratiques et les représentations qu’ont les personnes âgées d’Internet.
 
Pour nourrir l’analyse et la rendre plus concrète, nous avons également mené une enquête qualitative en réalisant 11 entretiens en face-à-face auprès de personnes suivies par l’association pour leur donner la parole et entendre avec leurs propres mots ce qu’ils disent d’Internet (voir extraits ci-dessous), qu’ils l’utilisent quotidiennement comme beaucoup ou bien qu’ils y soient réfractaires.
 
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans les résultats de cette enquête ?
L’expression de fracture numérique est souvent utilisée pour parler des personnes âgées et d’Internet. Notre précédente étude démontrait que le problème était particulièrement criant auprès des 80 ans et plus.

Cette deuxième étude qui approfondit le sujet montre qu’il n’y a pas une mais des fractures numériques :
• une première fracture au niveau de l’équipement tout d’abord : 21% des personnes âgées de 60 ans et plus n’ont toujours pas Internet à leur domicile tandis que 44% n’ont pas de smartphone ;
• et une seconde fracture qui concerne les usages : seuls 54% savent regarder des vidéos sur Internet, seuls 43% utilisent les réseaux sociaux et uniquement 35% utilisent leur smartphone pour aller sur Internet.
 
Il ne s’agit donc pas seulement d’équiper les personnes âgées, il faut également les accompagner et les former aux nombreux usages des outils numériques.
 
Pour lutter contre les fractures numériques, il faut donc former les personnes âgées à ces outils ?
C’est une des solutions, en effet. En plus d’être très populaire auprès de ceux qui ont bénéficié d’aide ou de formation (94% s’en disent satisfaits dont 53% très satisfaits), on observe chez ces personnes – qu’elles aient 60 ou 90 ans – des utilisations beaucoup plus riches d’Internet, que ce soit des usages pratiques, ludiques ou sociaux.
 
Sachant que seulement 35% des personnes âgées de 60 ans et plus ont reçu une aide ou une formation, on imagine aisément les progrès que permettrait la généralisation d’un accompagnement. Malheureusement, il ne s’agit pas d’une solution qui peut s’appliquer à tous. En effet, ceux qui n’utilisent pas Internet l’expliquent autant par la crainte de ne pas savoir faire que par un manque d’intérêt.
 
Seuls 11% des non-internautes auraient envie de suivre une formation. Nous avons pu constater ces réticences lors des entretiens que nous avons menés auprès de cette population déconnectée, souvent très âgée, et que la perspective de devoir se confronter à de nouveaux outils peut angoisser. Pour ces réfractaires, il faut donc continuer à trouver des solutions pour contourner les problèmes que pose cette déconnexion –comme pour les impôts par exemple– et qu’une simple hotline ne pourra pas résoudre.
 
L’ordinateur c’est un compagnon
J’utilise Internet depuis 10 ans. Je me connecte dès le réveil. C’est la première chose que je fais au saut du lit. Quand je plonge là-dedans, je n’en sors plus. Je regarde des nouvelles, je vais sur Facebook, je vais sur mes courriers. Après je descends, je vais prendre mon petit déj. Et quand je remonte dans ma chambre, je me dis oh je vais me décontracter et je fais mes petits jeux.
 
Puis je m’occupe pas de l’heure. Comme je suis seule, j’ai pas de compte à rendre. Quand je me connecte, je me sens mieux, parce que je souffre de la solitude et dans le fond, l’ordinateur c’est un compagnon. Le matin sinon, je me sens seule. Quand j’ai pas trop le moral, on s’en va dans le vide et Internet ça me donne un ressort pour affronter.
 
C’est une ouverture sur le monde. Les petits-enfants, ils ne téléphonent pas. Alors j’ai des nouvelles comme ça par Internet, par Facebook.
Gisèle, 86 ans
 
Internet, je m’en sers souvent. C’est pour faire des achats sur les ventes privées. Hier, j’ai commandé mes carnets de chèque auprès de la banque postale. Internet, c’est le progrès !
Jeanine, 90 ans
 
J’ai la flèche rouge, j’utilise comment ça s’appelle « YouTube ». Ça je sais faire, il est bien rentré dans la tête. J’utilise beaucoup. Je regarde les informations. Dès que je n’ai pas vu à la télé, je peux regarder sur YouTube. C’est facile à faire. Des fois je ne dors pas la nuit alors je regarde YouTube. Et y’a pas de problème. Des fois je regarde même les médecins quand ils disent des choses sur les médicaments pour une douleur pour le dos, pour savoir marcher, la gym. Il y a beaucoup de conseils en vidéo. Avec la flèche rouge, il y a juste à appuyer et ça fait sortir tout seul les vidéos.
Hasna, 61 ans

Publié le 04/10/2018 à 01:00 | Lu 3992 fois