Du Misanthrope au Cardinal au Théâtre de la Croisée des Chemins : Alceste dans tous ses états

Voilà un projet théâtral original et très intéressant : suivre les mêmes personnages au fil des siècles, et des auteurs, et joués le même jour sur la même scène par les mêmes acteurs. C’est ce que nous proposent Violette Erhart et Sylvain Martin dans la salle Belleville du Théâtre de la Croisée des Chemins, près de la Porte des Lilas.





Molière d’abord et son célèbre Misanthrope. On connait bien le personnage d’Alceste, déchiré entre son amour pour Célimène et son besoin irrépressible de dire leur fait à tous ses interlocuteurs, jaloux de tous ceux qui la courtisent et qu’elle, trouve-t-il, encourage à le faire. De guerre lasse, notre misanthrope, lassé du monde, fait le projet de s’en éloigner à jamais.
 
La pièce fut créée au théâtre du Palais Royal en 1666, avec comme sous-titre « l’Atrabilaire amoureux ». Cette production nous en donne ici une version à peine raccourcie, d’1h45 environ.
 
Après un court entr’acte on passe chez Courteline avec « La conversion d’Alceste », courte pièce en un acte, en vers également, créée en 1905 au Théâtre-Français.
 
Alceste s’est, pense-t-on, converti et sait maintenant taire sa désapprobation mais, lorsqu’Oronte revient lui lire un poème, il ne peut en définitive très longtemps faire semblant. Quant à ses relations avec Célimène, elles évoluent d’une manière inattendue, scellant à jamais leur inévitable éloignement.
Et c’est par un monologue très touchant laissant un Alceste amer et désabusé que se termine la pièce.
 
Il nous faudra attendre le mois prochain pour retrouver notre misanthrope devenu Cardinal rendant visite à une Célimène embourgeoisée, devenue mère et femme au foyer. On pense immanquablement, avec ces chapitres successifs, aux séries actuelles qu’on voit à la télévision ou ailleurs, et leurs maintenant habituelles « saisons ».
 
Lieu unique, décor unique avec, comme parti pris de mise en scène, la fête, espace où chacun, désinhibé par l’alcool, livre un peu plus de soi-même. Fête donc au début du Misanthrope, où Philinte a invité quelques amis, dont Célimène, Oronte et les marquis pour l’anniversaire d’Alceste.
 
Lendemain de fête au goût amer pour la « Conversion d’Alceste », où celui-ci découvre à la fois tous les faux-frais de son procès, qu’il a pourtant gagné, et la (nouvelle) infidélité de Célimène.
 
Les acteurs ont l’âge de leur personnage : tous sont de jeunes trentenaires parfaitement à l’aise dans ces rôles. Luc Franquine est un Alceste convaincant dès la première scène, et particulièrement émouvant dans la dernière.
 
Violette Erhart et Sylvain Martin (Célimène et Philinte), les deux metteurs en scène, lui donnent joliment la réplique. Oronte (Alex Gangl) propose pour les scènes des poèmes une vision décalée qui renforce l’intemporalité du propos.
 
Des éclairages très soignés mettent en valeur les visages des comédiens sur lesquels on voit bien -et c’est l’avantage d’une petite salle- tout le travail d’expression.
 
Pari gagné, donc, pour cette production qui mérite notre venue et nos applaudissements.

Alex Kiev

Théâtre La Croisée des Chemins
Salle Belleville
120bis rue Haxo 75019 Paris
 
Les dimanches après-midi :
Du 12 septembre au 31 octobre 2021
16h Le Misanthrope
18h La Conversion d’Alceste
 
Du 7 novembre au 19 Décembre
14h30 Le Misanthrope
16h30 La Conversion d’Alceste
17h45 Célimène et le Cardinal
 
Dates supplémentaires : consulter le site https://www.theatrelacroiseedeschemins.com/spectacles/le-misanthrope.

Article publié le 15/10/2021 à 01:00 | Lu 2495 fois