Dermatologie buccale : le point sur les lésions des muqueuses de la bouche

Dans le cadre de la conférence inaugurale du Congrès de l'Association dentaire française (ADF) qui s’est tenue cette semaine à Paris, le Dr Anne-Gaëlle Bodard, chirurgien-dentiste à Lyon (Centre Léon Bérard) revient en détail sur les différentes lésions des muqueuses de la bouche : de l’aphte au cancer.


Le rôle du chirurgien-dentiste ne se limite pas au seul traitement des dents. Il est « le » spécialiste de l’ensemble de la cavité orale et, à ce titre, il examine, dépiste et prend en charge les maladies de la gencive et des muqueuses.
 
A cet effet, ce spécialiste travaille en collaboration avec, entre autres, les chirurgiens maxillo-faciaux, les dermatologues ou les oto-rhino-laryngologistes. Comme les maladies de la gencive et des muqueuses sont multiples et que leurs manifestations se ressemblent, leur diagnostic n’est pas toujours facile.
 
Il nécessite une observation experte et des connaissances affinées en dermatologie buccale. Compte tenu des besoins en santé de la population, le chirurgien-dentiste est de plus en plus souvent amené à dépister ces pathologies.
 
Quelles sont les différentes affections qui peuvent toucher notre bouche ?
L’aphte est la lésion la plus courante. Il se déclare généralement par une douleur qui s’installe. Quelques jours plus tard, une petite ulcération blanche, ovale, entourée d’un halo érythémateux (rouge) apparait. La cause réelle de l’aphte est inconnue. Celui-ci peut être provoqué par la prise de certains aliments (noix, gruyère) ou par le stress. Il guérit habituellement en quelques jours. Le traitement consiste en l’application de crèmes anesthésiantes ou calmantes dans la plupart des cas. Les formes plus graves peuvent nécessiter d’autres types de médicaments.
 
La candidose, communément appelée « muguet », peut infecter la cavité orale. Elle est constituée d’une prolifération anormale de champignons microscopiques. Ces champignons sont présents chez tous les individus, mais leur nombre peut augmenter (candidose) et provoquer une infection. Celle-ci se développe à l’occasion d’un déséquilibre de la flore orale, qui à l’instar de la flore intestinale, participe à une bonne santé générale et aux premières étapes de la digestion.
 
Un traitement antibiotique par exemple, en détruisant les bactéries nocives, mais aussi certaines « bonnes » bactéries, peut participer au développement de ce champignon, qui sera également favorisé par l’affaiblissement des défenses immunitaires. On peut aussi observer le muguet chez des patients immunodéprimés, avec une diminution de la quantité de salive ou dans des périodes de stress chronique (qui induisent une diminution de l’immunité et de la salive).
 
Il n’est pas rare d’observer du muguet chez le nourrisson, qui devient irritable, tète moins bien voire refuse le biberon. Lors de l’examen de la bouche, on peut voir des petites taches blanches, qui se détachent au grattage. Cette phase est souvent accompagnée de sensation de brûlure buccale, de mauvais goût dans la bouche. Un traitement médicamenteux antifongique est alors instauré et, dans la plupart des cas, l’infection est régulée rapidement. Afin d’éviter la contamination du tout petit, il est conseillé d’éviter le léchage de la cuillère, les échanges de tétines, etc.
 
Les virus peuvent aussi toucher la bouche. Il n’est pas exceptionnel, lors d’une varicelle chez un enfant, de trouver des vésicules dans la cavité orale, ce qui entraine des douleurs et une gêne à l’alimentation. Le traitement consiste en l’application de gels anesthésiants (selon l’âge de l’enfant) et une alimentation plutôt molle et froide, pour limiter les douleurs.
 
Le virus de l’herpès est responsable du très répandu « bouton de fièvre », qui n’est en réalité que l’expression du virus. Il reste comme endormi dans l’organisme entre deux réveils infectieux. Il n’existe pas de traitement permettant d’éliminer le virus. Toutefois, un traitement médicamenteux peut être proposé en cas de récidives trop fortes ou trop fréquentes.
 
Le papillomavirus, responsable de certains cancers génitaux de la femme, peut également infecter la cavité orale. La plupart du temps, il n’existe aucun signe de sa présence, mais parfois, des petites lésions ressemblant à des verrues, blanches et surélevées sont observées. Il n’existe pour l’instant aucune preuve de risque de cancérisation de ces lésions. Si la lésion est gênante, elle peut être enlevée sous anesthésie locale le plus souvent.
 
Le lichen oral est une affection commune (de 0,5 à 2% de la population) mais méconnue du grand public. Il s’agit d’une maladie chronique, qui évolue sur plusieurs dizaines d’années et se caractérise par des lésions blanches et non douloureuses, pouvant occasionnellement devenir érythémateuses (rouges) et douloureuses lors des crises. Le lichen concerne le plus souvent les femmes de plus de 50 ans, mais on peut le rencontrer à tout âge.
 
Les lésions se retrouvent à l’intérieur des joues, sur la langue ou sur la gencive, longeant les dents. L’origine est inconnue même s’il s’agit vraisemblablement d’une combinaison de plusieurs facteurs parmi lesquels l’immunité, le stress… La maladie évolue lentement, et selon son aspect, il peut y avoir un risque de cancérisation (de 1 à 10%). C’est pourquoi une surveillance est nécessaire. Les traitements proposés sont principalement à base de corticoïdes, d’autres traitements sont en cours de développement.
 
Certains cancers peuvent également se développer dans la cavité orale. Si la consommation de tabac et d’alcool augmente le risque de développer un cancer de la bouche, ce ne sont pas les seuls facteurs de risque. Certains virus, des mutations génétiques ou d’autres maladies peuvent induire des cancers buccaux. On compte aujourd’hui 8 000 nouveaux patients par an en France.
 
Le diagnostic se fait souvent tardivement, ce qui compromet le pronostic vital. Il est donc primordial de faire examiner régulièrement sa bouche par un professionnel de santé, car dépisté précocement, un cancer de la bouche a plus de chances de guérir. Le développement de ces cancers est variable, parfois rapide (quelques semaines), parfois plus lent (quelques mois). Ils sont en général précédés d’une lésion dite « précancéreuse », qui peut parfois passer inaperçue. Si une lésion présente depuis plusieurs semaines ne guérit pas, à tendance à grossir, est source de gêne, voire de douleurs lors de l’alimentation ou de la parole, saignote lorsqu’on la touche ou est bien plus dure au toucher que la muqueuse environnante, alors on peut être en présence d’un cancer de la bouche.
 
Un prélèvement (biopsie) est impératif pour confirmer ou non le diagnostic. Le traitement passe souvent par de la chirurgie, suivie ou non de radiothérapie (rayons) et/ou de chimiothérapie.
 
In fine, les lésions de la muqueuse orale sont malheureusement sous diagnostiquées. Le chirurgien-dentiste est aux premières loges pour examiner les muqueuses et dépister une éventuelle anomalie. Il s’agit d’un problème de santé publique, largement sous-estimé. La bouche est au carrefour des fonctions vitales, respiration, alimentation, déglutition et des fonctions sociales, comme la phonation. Le maintien de sa santé passe donc par un suivi régulier des dents et des organes muqueux environnants.

Publié le 23/11/2016 à 04:37 | Lu 42998 fois