Dépistage organisé du cancer du sein… bénéfique ou pas ? Le point avec l’INCa

Dans le British Medical Journal, une étude* compare les effets de programmes de dépistage organisé du cancer du sein introduits à une dizaine d'années d'intervalle, entre 1989 et 2006, dans six pays européens. L’Institut National du Cancer (INCa) a souhaité, par souci d'information, rendre compte de cette grande enquête, tout en apportant des éléments de commentaire.


Comment évaluer la contribution d'un dépistage par mammographie à la baisse des taux de mortalité par cancer du sein?

Dans les années 1990, de vastes essais contrôlés avaient permis d'estimer un tel effet, ce qui avait justifié la mise sur pied de programmes de dépistage organisé dans de nombreux pays.

Depuis, l'évaluation de l'impact de ces programmes est un sujet souvent abordé dans la littérature médicale. Toutefois, les études sur ce sujet sont difficiles à mener en raison de la difficulté de contrôler, dans le monde réel, la part de chacun des multiples facteurs susceptibles d'influer sur diminution de la mortalité par cancer du sein et, souvent, elles donnent lieu à controverse.

La dernière étude en date, parue dans le British Medical Journal, ne fait pas exception : en conclusion, ses auteurs écrivent en effet que leur analyse « suggère que le dépistage n'a pas joué un rôle direct dans les baisses de la mortalité par cancer du sein ».

« Le cadre méthodologique de cette étude est calqué sur des travaux menés sur le dépistage du cancer du col de l'utérus dans les pays du nord de l'Europe au cours des années 1980 », précise l’INCa dans son communiqué. A l'époque, il avait été montré que, dans deux pays nordiques (Islande et Finlande) ayant implémenté des programmes de dépistage organisé à l'échelle nationale, la mortalité par cancer du col de l'utérus avait baissé plus tôt et plus fortement qu'en Norvège où le programme avait débuté quinze ans plus tard.

Des chercheurs de l'International Prevention Research Institute, un institut privé basé à Lyon, la directrice du registre des cancers de l'Irlande du Nord et un professeur de santé publique dans une université norvégienne, ont ainsi analysé des données relatives au cancer du sein dans trois paires de pays européens : l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, les Pays-Bas et la Belgique, la Suède et la Norvège.

Ces paires de pays ont été choisies sur la base de trois critères : « les pays devaient être voisins ; ils devaient être similaires en termes de structure de population, de circonstances socio-économiques, de qualité des services de soins et d'accès aux traitements; enfin, un dépistage organisé à l'échelle nationale devait avoir été implémenté autour de 1990 dans l'un des pays, et quelques années plus tard (10-15 ans) dans l'autre ».

Les auteurs ont analysé les taux de participation au dépistage dans les divers pays, les données de mortalité par cancer du sein fournies par l'Organisation mondiale de la santé entre 1989 et 2006, ainsi que diverses données relatives aux facteurs de risque du cancer du sein (facteurs reproductifs, obésité), aux dépenses de santé et à l'accès aux traitements innovants ou classiques (chimiothérapie, radiothérapie, tamoxifène).

En résumé, les auteurs ont observé que « l'évolution des taux de mortalité par cancer du sein variait peu entre les pays dans lesquels les femmes avaient bénéficié d'un dépistage par mammographie pendant une longue période et les pays dans lesquels les femmes n'avaient quasiment pas eu accès à un dépistage pendant la même période ».

Les chiffres de baisse de la mortalité par cancer du sein entre 1989 et 2006 sont les suivants, par paire de pays : 29% en Irlande du Nord et 26% en République d'Irlande, 25% aux Pays-Bas et 20% en Belgique (25% en Flandre), 16% en Suède et 24% en Norvège. Par ailleurs, les auteurs n'ont identifié, « dans les facteurs de risque de cancer du sein ou dans l'accès aux traitements à l'intérieur de chaque paire de pays, aucun facteur susceptible de contrebalancer l'influence du dépistage associée à la baisse de la mortalité ».

Si la baisse de la mortalité a débuté entre 1991 et 1996 dans tous les pays (à l'exception de la Suède où elle s'observe dès 1972), les auteurs affirment que « le dépistage par mammographie ne peut expliquer ces changements de tendance car la baisse de la mortalité débute trop tôt après l'implémentation du dépistage aux Pays-Bas et en Irlande du Nord, et parce que le dépistage était encore peu commun dans les quatre autres pays ». Selon eux, « il est plus probable que les inflexions à la baisse entre 1991 et 1996 soient dues à l'impact de traitements anticancéreux efficaces ». Cette affirmation est corroborée par une autre remarque : « les plus fortes baisses dans la mortalité s'observent chez les femmes d'âge inférieur à 50 ans, indépendamment d'un dépistage par mammographie dans ce groupe d'âge ».

Le porte-parole de l'American Cancer Society pointe cependant la limite principale de cette étude : « de nombreux décès par cancer du sein durant la période d'observation ont été diagnostiqués longtemps avant l'introduction du dépistage. En d'autres termes, la durée de suivi pourrait être insuffisante pour mesurer un effet à l'échelle de la population. Par ailleurs, peu d'informations sont apportées sur l'efficacité du dépistage dans les pays comparés. L'efficacité du dépistage à l'échelle de la population dépend du nombre de femmes dépistées et de la performance de l'examen ». En effet, l'adhésion au dispositif est l'un des principaux facteurs d'impact sur la mortalité.

« Avec ses mérites et ses limites, cette étude améliore les connaissances sur le dépistage organisé du cancer du sein mais ne justifie pas de remise en question du dispositif français » souligne toutefois l’INCa dans son communiqué. Et de préciser : « le programme de dépistage organisé représente avant tout une mesure égalitaire : proposée de façon systématique à l'ensemble de la population ciblée, elle permet à de nombreuses femmes, qui n'ont aucun suivi, d'accéder à une procédure de dépistage. La médiatisation des programmes de dépistage induit également une amélioration de la connaissance de la maladie dans la population et chez les professionnels de santé : elle contribue, par le niveau d'alerte qu'elle entraîne, à améliorer les conditions du diagnostic et de la prise en charge, y compris chez les femmes ne pratiquant pas de dépistage. Par ailleurs, le dépistage n'a pas pour seul bénéfice de baisser la mortalité : il a aussi un impact sur la morbidité car il favorise une intervention plus précoce dans l'histoire naturelle de la tumeur et, en conséquence, permet aux femmes de bénéficier de traitements moins lourds et plus souvent conservateurs, donc moins mutilants. Certes, comme tout dépistage, il induit du surdiagnostic (diagnostic de cancers qui ne se seraient jamais révélés) et du surtraitement. Mais ces effets indésirables peuvent être plus facilement mesurés et contrôlés dans le cadre d'un programme de dépistage organisé à l'échelle nationale ».

Rappelons qu’en France, le programme a été généralisé en 2004 et qu’il est encore trop tôt pour prétendre évaluer son impact sur la mortalité. De plus, la fréquente réalisation de mammographies avant 50 ans et la persistance d'un dépistage individuel dans la tranche d'âge ciblée par le programme national rendront encore plus complexe la mesure de la part attribuable à ce dispositif dans la diminution déjà observée de la mortalité par cancer du sein.

Le Plan Cancer actuel renforce l'engagement national dans le dépistage organisé des cancers du sein, principal vecteur de la qualité des pratiques et de la lutte contre les inégalités face au premier risque de cancer chez les femmes. Les pouvoirs publics restent cependant à l'écoute des arguments questionnant le dépistage organisé et ses modalités de mise en oeuvre.

*Breast cancer mortality in neighbouring European countries with different levels of screening but similar access to treatment: trend analysis of WHO mortality database, British Medical Journal, vol. 343:d4411, 2011

Publié le 11/08/2011 à 10:34 | Lu 1684 fois