Comment se construit la notion de génération ? Chronique par Serge Guérin

La question des générations tend à confondre deux séries de notions : celles qui désigne un ensemble de personnes apparentées à une génération commune (cohorte, classe d’âge, groupe d’âge) ; et celles qui se réfèrent à un intervalle de temps qui s’apparente à l’âge (phase de vie, échelon d’âge, périodisation).


L’approche par la psychologie développementale propose une lecture selon le groupe d’âge de référence et son positionnement dans le cycle de vie : petite enfance, enfance, adolescence, jeunesse, adulte, senior, fragilisation, grande vieillesse.

Cette segmentation n’est pas figée et évolue en fonction de l’allongement de la vie, de l’apparition de nouvelles étapes sociales, comme l’invention de l’adolescence, voire du concept d’adulescence, pour reprendre le néologisme forgé par Anatrella (Anatrella, Tony, Interminables adolescences. La psychologie des 12/30 ans, Paris, Cerf/Cujas, 1998) qui exprime le flou croissant entre âge adulte et vie d’adulte ou, de l’autre côté de la frontière des âges, le développement de la notion de senior, pour marquer la diversité et les nouveaux comportements sociaux de ceux se situant entre l’âge adulte et la grande vieillesse.

Le concept de génération mobilise aussi l’anthropologie qui explicite, par les liens de filiation, familiaux ou symboliques, et dont l’usage tend à dépasser le cadre formel de la famille. Enfin, au plan sociologique, la génération s’inscrit dans une perspective d’ordre temporel, comme l’a mis en exergue Claudine Attias-Donfut (Attias-Donfut, Claudine, Sociologie des générations. L’empreinte du temps, Paris, PUF, 1988). .../...
Intergénération

Ces approches permettent de réintroduire l’effet des institutions, de l’évolution du cadre social ou des mutations des représentations. Le développement de l’Etat providence a transformé le rôle de la famille, par exemple. Loin de supprimer son rôle, l’Etat providence permet l‘éclosion de la famille providence qui vient soutenir les études des enfants porteurs d’un espoir de progression sociale (voir de ce point de vue le remarquable ouvrage de Claudine Attias-Donfut et Nicole Lapierre).

La notion de génération recouvre fondamentalement des réalités évolutives et multiples qui ne suffisent pas pour former l’identité de la personne. Le concept de génération doit être appréhendé de façon complémentaire et diversifiée où plusieurs modes de vie générationnels cohabitent de façon complexe et parfois contradictoire.

La temporalité devient aussi évolutive et diverse. Ainsi, une génération de jeux vidéo remplace la précédente en moins de cinq ans alors que le temps de la succession dans l’ordre familial est passé de 20 ans à 30 ans, puisque l’âge moyen du premier enfant pour une femme est aujourd’hui de 29,6 ans.

Il apparaît bien que ce qui fait génération aujourd’hui ne peut se résumer au passage d’une classe d’âge à une autre. La diversité des identités et des situations et l’accélération de l’innovation technologique jouent un rôle central dans cette mutation.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG, auteur de L’invention des seniors, Hachette Pluriel

Publié le 14/01/2008 à 10:18 | Lu 9625 fois