Cancer du poumon : une révolution thérapeutique est en marche

A l’occasion du Congrès de pneumologie de langue française 2016, le professeur Thierry Chinet, du service de pneumologie et oncologie thoracique de l’Hôpital Ambroise Paré de Boulogne-Billancourt près de Paris revient sur l’évolution du traitement de ce cancer qui reste l’un des plus meurtriers. Explications.


« Le cancer du poumon augmente partout, du fait de la hausse du tabagisme et de l’exposition à un certain nombre d’autres agents cancérogènes inhalés » indique le Pr Thiery Chinet. D’ailleurs, les chiffres sont éloquents : près de deux millions de nouveaux cas chaque année dans le monde, et environ 40.000 en France (dont 40% chez la femme). Au-delà, le cancer du poumon reste le plus meurtrier, responsable en Europe d’un décès par cancer sur cinq.
 
Des progrès, enfin…

En France, seuls 14% des patients sont encore en vie cinq ans après le diagnostic de leur maladie. Elle reste donc de mauvais pronostic, mais les lignes semblent commencer à bouger... « Une étude récente, parue dans Lung Cancer, réalisée dans une centaine de Centres Hospitaliers Généraux en France, montre une amélioration entre 2000 et 2010 » souligne Thierry Chinet.
 
Menée sur près de 11.000 patients atteints de la forme la plus fréquente de ce cancer, cette étude conclue que la survie à un an est passée en une décennie de 38,8% à 43,3% chez l’homme et de 41,9% à 49,1% chez la femme. Ces « petites » avancées statistiques recouvrent une réalité tangible, perçue par les équipes de soins. « Nous avons le sentiment que la survie est plus longue pour un nombre croissant de nos patients, relate Thierry Chinet. Cette amélioration récente reste à documenter. Elle est probablement liée aux progrès du diagnostic, mais aussi des traitements avec l’arrivée, il y a moins de dix ans, des premières thérapies ciblées dans le cancer du poumon ».
 
A chaque anomalie, sa thérapie sur-mesure

Chacune de ces thérapies ciblées est dirigée de façon spécifique, contre une anomalie moléculaire (mutation d’un gène, responsable de la fabrication d’une protéine anormale) qui intervient dans le développement de la tumeur. Ce principe se décline aujourd’hui en un nombre grandissant de médicaments, contre autant de mutations nouvellement identifiées.
 
« Chaque année, de nouvelles thérapies ciblées sont mises sur le marché » assure Thierry Chinet, qui illustre l’effervescence de la recherche par un exemple parlant. « Les premières étaient des inhibiteurs d’une enzyme, la tyrosine kinase, dirigés contre certaines mutations. On sait qu’un échappement à ces traitements peut survenir dans un deuxième temps, souvent lié à l’apparition de nouvelles mutations. Nous disposons désormais de thérapies ciblées pour lutter aussi contre ces nouvelles mutations ! ». Ce rythme de développement intense se double d’une grande rapidité de mise sur le marché, attribuable selon lui à deux facteurs.
 
« Tous les investissements réalisés depuis des années dans la recherche fondamentale sur le cancer commencent à vraiment porter leurs fruits. Par ailleurs, les laboratoires pharmaceutiques ont compris qu’il y avait en ce domaine une source potentielle d’innovation et donc, ce n’est pas péjoratif, de bénéfices potentiels considérables. Ils se sont donc lancés dans cette voie, qui représente clairement l’avenir ».
 
Réveiller le système de défense

Encore plus récente que les thérapies ciblées, l’immunothérapie possède un mode d’action différent. Pour pouvoir se développer sans être reconnue, et donc sans être éliminée, la tumeur met en place des barrières qui bloquent le système immunitaire. L’immunothérapie s’attache à lever ces barrières, pour mieux mobiliser le système immunitaire et aider l’organisme à se débarrasser des cellules cancéreuses.
 
« Cela faisait des décennies qu’on y pensait pour le cancer du poumon, et quelques années que ça bouillonnait avec plusieurs essais cliniques », explique Thierry Chinet. « Nous savions que cela allait arriver. C’est fait ! Lors du congrès annuel de l’ASCO au printemps dernier, un nouveau médicament, le nivolumab, a fait son entrée en force. Les patients ont pu en bénéficier très vite. Tant mieux, parce que nous avons des résultats véritablement exceptionnels ». Depuis le mois de juillet dernier, ce médicament d’immunothérapie bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché européen pour traiter les patients atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules (CBNPC), de type épidermoïde, localement avancé ou métastatique, en deuxième ligne de traitement c’est-à-dire après une chimiothérapie conventionnelle.
 
« Le taux de réponse de ces patients au nivolumab est de l’ordre de 20% » précise Thierry Chinet. « La grande question aujourd’hui, c’est de savoir quels marqueurs, fiables, pourraient permettre de prédire la réponse à l’immunothérapie. Une fois que nous les aurons identifiés, la stratégie thérapeutique actuelle, qui place les molécules d’immunothérapie en deuxième ligne, pourrait changer. Beaucoup d’équipes travaillent sur le sujet et nous devrions disposer de données solides à l’horizon 2017, peut-être même avant ».
 
Le coût en question

Si la chimiothérapie conventionnelle demeure le traitement de référence dans le cancer du poumon, les thérapies ciblées et l’immunothérapie ont d’ores et déjà modifié la donne. « Il s’agit d’une véritable révolution et elle n’est pas terminée, insiste Thierry Chinet. Nous sommes en train d’assister en oncologie à ce que nos anciens ont connu en infectiologie quand les premiers antibiotiques sont arrivés ». Ce bond en avant a toutefois un prix, non négligeable, pour la collectivité. Il fait aujourd’hui débat. « Ces traitements coûtent une fortune. C’est un vrai problème, mais qui détient la solution ? Certainement pas les médecins, qui peuvent simplement éclairer les décideurs » estime Thierry Chinet.
 
« Un certain nombre de pays restreignent l’accès à ces traitements coûteux, dans les situations où leur probabilité d’efficacité est très faible… Mais très faible ne signifie pas nul ! Face à patient qui a déjà reçu trois, quatre ou cinq traitements sans succès, mais qui est en état d’en recevoir un nouveau et conserve l’envie de se battre, comment refuser d’essayer un autre médicament pour des raisons économiques, sous prétexte qu’il n’a que 5% de chances d’en tirer bénéfice ? ».

Publié le 21/01/2016 à 01:00 | Lu 6577 fois