Cancer du poumon : l'épidémiologie change, les traitements aussi, par le professeur Mazières

Avec 40.000 nouveaux cas par an en France, le cancer du poumon n’est pas le plus fréquent. Néanmoins, il est le plus souvent mortel puisqu’il entraîne 30 000 décès chaque année.


Explications du professeur Julien Mazières, responsable de l'Unité de Cancérologie Cervico Thoracique Hôpital Larrey CHU de Toulouse- Chercheur Inserm (UMR 1037).

Les femmes et les non-fumeurs ne sont pas épargnés

Le profil des personnes touchées a sensiblement changé. « Le nombre de femmes continue à augmenter, alors que celui des hommes a atteint un plateau », précise Julien Mazières. La deuxième tendance, c’est la proportion croissante de non-fumeurs, même si le tabac reste la cause numéro 1 du cancer du poumon. Actuellement, les non-fumeurs représentent environ 20% des femmes et 10% des hommes atteints. Cette évolution suggère l’existence de nouveaux facteurs de risque, parmi lesquels le tabagisme passif, et la pollution environnementale au sens large.
 
Chez les femmes, il est possible que la prise de traitements à visée hormonale, pilule ou traitement hormonal substitutif de la ménopause, joue un rôle de cofacteur de risque. Ce n’est pas encore prouvé de manière formelle, mais cela fait partie des pistes sur lesquelles nous travaillons ».
 
Une dernière évolution porte sur les types de cancers rencontrés. « Avant, c’étaient plutôt des cancers épidermoïdes, proximaux, chez des fumeurs de cigarettes sans filtre », résume Julien Mazières. « Aujourd’hui, avec le développement des cigarettes lights et parfumées, nous diagnostiquons plus souvent des adénocarcinomes très distaux dans l’arbre bronchique, parce que l’inhalation de la fumée est plus profonde ».
 
Le dépistage fait parler de lui

Dans tous les cas, un diagnostic précoce optimise les chances de guérison. « Une très grande étude, qui a rassemblé plus de cinquante mille personnes, a montré que la pratique d’un scanner annuel pendant trois ans permettait de dépister le cancer du poumon et de réduire la mortalité de 20% », rappelle Julien Mazières. « Néanmoins, faire un scanner annuel à tous les fumeurs serait excessif. Nous en ferions beaucoup pour rien. D’autre part, cet examen peut aussi déceler des anomalies non cancéreuses, une situation anxiogène pour le patient et qui aboutit à de nouveaux examens complémentaires, non dénués de risques ».
 
Très récemment, une équipe du CHU de Nice a publié une étude sur la détection dans le sang de cellules tumorales circulantes, un à quatre ans avant que le cancer du poumon ne devienne visible sur le scanner. « C’est une technique intéressante, mais nous n’avons pas encore assez de recul pour l’utiliser dans le cadre d’un dépistage de masse », estime Julien Mazières. «  Différents travaux sont en cours sur ce type de dépistage, par une prise de sang. Pouvoir compléter le scanner par des tests biologiques serait bien sûr l’idéal ».
 
La palette thérapeutique s’enrichit

À l’étape du traitement, de grands progrès récents sont à retenir. Le premier concerne la chimiothérapie. « Elle reste le traitement de référence du cancer du poumon », signale Julien Mazières. «  Il n’y a pas eu de nouvelles molécules depuis cinq ans, mais de nouvelles stratégies sont apparues, en particulier des traitements de maintenance dans le cancer du poumon métastatique : le patient bénéficie d’une chimiothérapie moins toxique, donnée plus longtemps, avec un bénéfice en termes de survie ».
 
Les thérapies dites « ciblées » ont également beaucoup progressé. Leur principe ? Utiliser un médicament dirigé contre une anomalie spécifique des cellules de la tumeur, pour une efficacité maximale. Il épargne les cellules saines, d’où une réduction des effets indésirables. « C’est un domaine qui avance très vite, avec chaque année la découverte de nouvelles anomalies moléculaires et de nouveaux traitements. La France est en pointe dans ce domaine grâce à l’impulsion donnée par l’Institut National du Cancer », note Julien Mazières. Dans le cancer du poumon, quatre thérapies ciblées ont déjà obtenu leur autorisation de mise sur le marché. « D’autres sont en développement, pour les nouveaux marqueurs identifiés récemment ».

Fait unique au monde : en France, tout patient avec un cancer du poumon métastatique bénéficie d’une recherche de ces biomarqueurs. « Actuellement, environ un tiers des fumeurs et deux tiers des non-fumeurs atteints d’un cancer du poumon métastatique ont une anomalie génétique qui peut les orienter vers une thérapie ciblée » précise Julien Mazières.

Une autre voie de traitement, l’immunothérapie, pourrait s’adresser à un nombre encore plus grand de patients. Elle s’attache à bloquer les barrières mise en place par la tumeur pour ne pas être reconnue (et donc éliminée) par le système immunitaire. Ce concept n’est pas nouveau, mais pour la première fois des résultats prometteurs d’essais cliniques dans le cancer du poumon ont été publiés ces deux dernières années.

Publié le 21/01/2015 à 05:00 | Lu 4366 fois