Vortex, Alzheimer en split-screen : entretien avec le comédien Dario Argento

Le dernier film du sulfureux réalisateur franco-argentin Gaspar Noé, Vortex, est sorti cette semaine dans les salles obscures. L’histoire ? Celle d’un couple âgé vivant dans un appartement parisien entourés de livres et de souvenirs. Il est cinéphile, historien et théoricien du cinéma ; elle est psychanalyste à la retraite et atteinte de la maladie d’Alzheimer. Amoureux, ils vont vivre leurs derniers jours. Entretien avec l’acteur.


C’est la première fois que vous tenez le rôle principal d’un film.
J’ai été le narrateur de plusieurs de mes films, dont Suspiria, Opera ou Tenebrae et l’on voit mes mains qui poignardent des femmes dans les giallos. Gaspar est un de mes grands amis, nous nous connaissons depuis plus de vingt ans.
 
Il m’a supplié, m’a dit que le film était écrit pour moi, tout mon entourage m’a conseillé de tourner dans Vortex. Pourtant, quand Gaspar est venu me voir à Rome et m’a fait visionner son film Love, à dix heures du matin, je dois vous avouer que j’ai eu un gros doute...
 
C’est ma fille, Asia, qui m’a finalement convaincu. Et à 80 ans, j’ai donc accepté de jouer un premier rôle, en français en plus. J’y ai mis toute ma volonté, toute ma force, tout mon être.
 
Qu’avez-vous pensé du scénario ?
Mais il n’y avait pas de scénario, juste une quinzaine de pages. Avec mes deux partenaires, nous avons improvisé tout le film. Gaspar nous parlait d’une situation, et nous improvisions plus ou moins longtemps.

Mais ce n’était pas vraiment compliqué, je pense que cela aurait été plus dur pour moi avec un vrai scénario, des dialogues à respecter, alors que j’ai des difficultés avec le français. Il fallait aller chercher la vérité au plus profond de moi, de mes sentiments.
 
Votre expérience de metteur en scène vous a-t-elle servie pour incarner un personnage ?
Bien sûr. Pendant des années, j’ai dirigé des comédiens, j’étais à leurs côtés. Et je m’en suis souvenu. Sur Vortex, c’était parfois très technique, à cause du tournage avec deux caméras et du split screen, avec de nombreuses prises, même si je tourne moi aussi mes films avec deux caméras.
 
En tant qu’acteur, tu n’y penses pas, tu penses à tes marques, à ce que tu dois dire, mais pas aux
caméras. Gaspar cadrait lui-même, il était derrière une des caméras, il participait et parlait beaucoup
aux comédiens. Mais c’était très fatigant. On tournait plusieurs fois de suite la même scène,
mais je ne me souvenais pas de mes improvisations et donc je faisais autre chose...
 
Les séances d’improvisation étaient parfois très longues, je me souviens notamment de ma discussion au téléphone avec mon ami le critique Jean-Baptiste Thoret, cela a duré 31 minutes !
 
D’ailleurs, vous interprétez un critique de cinéma.
Vous savez, j’ai commencé ma carrière comme critique. Avant d’écrire le scénario d’Il était une fois dans l’Ouest pour Sergio Leone et de devenir metteur en scène, j’étais critique de cinéma, notamment pour le quotidien romain Paese Sera. Pour Vortex, Gaspar m’a demandé quelle était la profession de
mon personnage et j’ai pensé à critique de cinéma.
 
Un mot. sur vos partenaires, Françoise Lebrun et Alex Lutz.
Françoise est une comédienne très intéressante et Alex est un improvisateur né, vraiment très doué. Il m’a beaucoup aidé pour mes improvisations.
 
Vous débutez fin juin le tournage de votre nouveau film, Occiali Neri, alors que vous n’avez pas réalisé depuis dix ans. Comment vous sentez-vous ?
Un peu agité, je n’arrive plus à dormir (rires)... C’est bien sûr un giallo, « Lunettes noires », avec Asia.
 
Que retiendrez-vous de Vortex ?
C’est un film très intime pour Gaspar, une histoire personnelle qui le touche. C’est peut-être pour lui le film le plus important qu’il ait réalisé. Je suis très heureux de cette expérience, enthousiaste, mais je ne ferai plus jamais l’acteur, Vortex restera une expérience unique. C’est fini, absolument fini. Pour que cela reste unique.

Publié le 15/04/2022 à 01:00 | Lu 2536 fois