Viande et cancer : interview du professeur Stefaan de Smet

La viande victime de nos nouvelles façons de produire et de consommer ? Avec les meilleurs experts mondiaux, l’association Bleu-Blanc-Cœur dévoile tout ce que l'on ne vous a pas dit sur le lien « Viandes » et « Cancer ». Interview du Professeur Stefaan de Smet, chercheur à l’Université de Gent en Belgique, membre du groupe des auteurs du rapport OMS.





Vous faites partie du groupe d’experts internationaux en charge de l’évaluation du risque. Pourriez-vous nous situer l’importance de ce risque lié aux viandes rouges et charcuteries et le comparer à des risques bien connus comme celui lié à la consommation d’alcool ou de tabac ?

D’après les études épidémiologiques, l’augmentation du risque de cancer colorectal est approximativement de 20% par tranche de 100g de consommation de viande rouge par jour ou par tranche de 50g de consommation de charcuterie par jour. Le risque est ainsi plus haut pour la viande de charcuterie que pour la viande rouge fraîche.
 
En comparaison, à partir de 10 cigarettes fumées par jour, le danger de cancer du poumon augmente de plus de 250% (comparé à non-fumeur) et boire 330 ml de soda par jour -ndlr : une canette- augmente le risque de diabète de 20% environ.
                                   
En France, le risque d’être diagnostiqué positivement pour le cancer colorectal avant l'âge de 75 ans est d’environ 3.5% ; cela signifie que pour une augmentation de consommation de 100g de viande rouge ou de 50g de charcuterie, le risque passe de 3,5 à 4% environ. C'est évidemment insignifiant pour une personne, vu la grande variabilité individuelle et l’impact de plusieurs autres facteurs de risque. C’est seulement au niveau de la population générale que réduire le niveau actuel de consommation de viande pourrait aboutir à un nombre significativement inférieur de cas de cancer colorectaux. 
               
 
Le risque (de cancer colorectal) augmente avec la consommation de viande et de charcuteries. Est-ce que la bonne recommandation serait alors de ne plus manger de viandes ni de charcuteries et de devenir végétarien ?
 
Il est important de se rendre compte que la tâche du Groupe de travail IARC (International Agency For Research on Cancer) sur la carcinogenicité de la consommation de viande rouge et de charcuterie était d'exécuter une analyse de la littérature pour établir l’évidence du « danger » et non de faire une évaluation complète de risque, ou d’élaborer des recommandations diététiques.
 
À cette fin, on devrait aussi considérer les bénéfices de la consommation de viande. Le Groupe de travail IARC et toutes les agences de nutrition et de santé dans le monde entier qui ont évalué les risques nutritionnels liés aux maladies chroniques reconnaissent vraiment le rôle positif de la viande dans les régimes. Le point négatif n’est pas la consommation de viandes et charcuteries, mais leur surconsommation.
 
Les viandes rouges et particulièrement les charcuteries devraient être consommées dans des quantités modérées dans le cadre de régimes équilibrés. Avec un style de vie sain et un respect des apports nutritionnels conseillés, il n'y a aucune raison de s'inquiéter.

                       
Puisque différentes causes sont évoquées, peut-on évoquer des pistes de prévention liée à la composition et à la préparation des repas des gens, mais peut-être aussi à la préparation et à la composition des repas des animaux ?
 
Nous avons maintenant une certaine explication de compréhension de la causalité pour les facteurs responsables de l’accroissement du risque. La connaissance de ces facteurs de risque peut permettre de développer des stratégies de réduction des risques. Des pratiques de cuisine appropriées, par exemple sans « combustion » de la viande, réduisent certainement la formation de certains composés toxiques.     
    
Les chercheurs Corpet et Pierre de Toulouse ont été plus loin et ont démontré que le fer héminique stimule la formation de composés délétères issus de la péroxydation, risques aggravés par les composés N-nitrosés. Par la suite, ce groupe a montré que l’apport dans le régime de calcium et/ou de vitamine E (anti-oxydante) réduit le risque lié au fer héminique.
 
Plus généralement, l’apport global d’antioxydants dans les régimes de l’homme et le statut oxydatif de la viande sont probablement importants à cet égard et devraient être pris en compte. On peut facilement imaginer que l'effet de la viande est différent dans un      régime riche en légumes et en fruits fournissant des antioxydants et des fibres. De même, l’amélioration de la qualité de la viande par la modification du régime des animaux mériterait d’être plus investiguée...   

Article publié le 19/09/2016 à 12:09 | Lu 2461 fois