Vers un retour en grâce des protéines végétales...

La planète bleue se retrouve devant un défi de taille : couvrir les besoins en protéines des humains qui l’habitent et de leurs animaux domestiques. Ceci, sans épuiser les ressources naturelles. Déjà, une chose est sûre : les protéines végétales doivent garder une part importante dans le cadre d’une alimentation durable et équitable.





Voilà pourquoi, les Nations Unies ont déclaré que 2016 serait l’année internationale des légumineuses. Lentilles, pois-chiches, fèves et haricots sont ainsi mis à l’honneur dans un but bien précis : sensibiliser les populations aux avantages nutritionnels de ces aliments riches en protéines, mais aussi à leurs avantages environnementaux.
 
En effet, les légumineuses possèdent un véritable superpouvoir : grâce à une association avec une bactérie, elles peuvent assimiler l’azote de l’air. Elles n’ont donc pas besoin d’engrais chimiques pour croître. Lorsque l’on sait que l’une des principales contributions de l’agriculture au réchauffement global provient de la production d’engrais azotés, on comprend pourquoi les légumineuses ont un vrai rôle à jouer dans un contexte d’agriculture durable.
 
Par ailleurs, les légumineuses ont toute leur place dans une alimentation équilibrée et variée : de plus en plus de travaux scientifiques montrent que leur consommation a des effets très positifs sur la santé, et qu’elles pourraient aider à combattre certaines maladies telles que le diabète ou des affections cardiovasculaires.
 
Mais malgré tous ces avantages, la consommation de protéines végétales n’a cessé de se réduire dans la plupart des pays développés, et parmi les populations aisées des pays émergents. Comment renverser cette tendance, et donner une impulsion à des filières basées sur les légumineuses ? Voilà la question que se posent tous les jours les chercheurs de l’Inra.
 
Un grand retour des protéines végétales passe par un effort d’innovation auquel s’attachent les laboratoires. Innovations agronomiques et industrielles, développement de nouveaux produits adaptés aux modes de vie du XXIème siècle : voilà quelques aspects qui mobilisent les chercheurs.
 
Mais l’essor des protéines végétales passe aussi par une meilleure connaissance de leurs propriétés alimentaires ainsi que par une analyse plus fine des verrous économiques qui fragilisent la filière. 

​Interview de Jean-Michel Chardigny

Jean Michel Chardigny est directeur de recherches Inra au Département Alimentation Humaine, chargé de mission pour le département et la Direction Scientifique Alimentation et Bioéconomie. Il anime notamment une réflexion à l’Inra sur la question des protéines « durables ».
 
En 2050, la terre portera 9 milliards d’êtres humains. Quel sera alors le rôle des protéines végétales ? Les études prospectives montrent en effet que la tension alimentaire reposera sur les protéines plutôt que sur les lipides et glucides. Or, les protéines végétales peuvent être produites à un moindre coût environnemental et énergétique. Voilà pourquoi il faut trouver un équilibre entre sources végétales et animales de protéines.
 
En Occident, on consomme un tiers de protéines végétales pour deux tiers de protéines animales, alors que les recommandations internationales préconisent plutôt que ce soit moitié moitié. Nous devons donc consommer un peu moins de protéines animales et peu plus de protéines végétales, et permettre ainsi l’accès aux produits animaux à une plus grande partie de la population mondiale.
 
Les protéines végétales sont donc un élément majeur de l’alimentation durable.
Oui. Elles font partie d’un ensemble de leviers pour atteindre cet objectif, et qui peut inclure d’autres sources de protéines émergentes comme les algues, les insectes, les levures, qui sont des approches plus biotechnologiques. En tout cas, couvrir les besoins en protéines, reste un challenge à l’échelle de 2050.
 
Doit-on parler de compétition entre protéines végétales et animales ?
Ce n’est surtout pas une compétition, mais une complémentarité, basée notamment sur des apports équilibrés en acides aminés, les briques qui constituent les protéines. A la différence des sucres et des matières grasses, nous n’avons pas la capacité de stocker des acides aminés. On doit donc trouver des apports réguliers et équilibrés dans notre alimentation afin de maintenir notre masse musculaire et les fonctions liées aux protéines.
 
Pensez-vous qu’au niveau politique, l’on a conscience de l’importance des protéines végétales ? Probablement pas assez. Par exemple, en France, les légumineuses sont encore classées parmi les féculents qui ont cette connotation négative d’aliments riches en sucre. On en est encore aux schémas des manuels scolaires : les protéines proviennent du trio viande, poisson, œufs, et l’on oublie les lentilles, les pois, les haricots secs. Il y a donc encore un peu de chemin à faire au niveau des politiques publiques et des recommandations alimentaires.
 
Voit-on une intensification de l’effort de recherche, notamment à l’Inra, autour des protéines végétales ?
L’Inra s’intéresse aux légumineuses depuis des dizaines d’années, notamment sur leur génétique et l’amélioration des variétés. Mais il y a bien un regain d’intérêt, en lien notamment avec les tensions que l’on peut anticiper au niveau mondial vis-à-vis des besoins en protéines. Ce que l’on essaie de faire aujourd’hui, c’est de voir les protéines végétales de façon intégrée, dans une approche système qui inclue aussi l’économie ou la relation avec les territoires.
 
Quels sont les verrous à lever pour augmenter la part des protéines végétales ?
Il y a des verrous au niveau de la production. La culture des légumineuses permet de réduire l’utilisation d’engrais azotés, mais, dans la comptabilité des agriculteurs, ce bénéfice n’est pas mesuré. L’une de nos priorités est de mesurer la valeur des services écosystémiques, tels que l’enrichissement en azote du sol, qu’offrent les légumineuses.
 
D’autres verrous se trouvent au niveau de l’offre en produits contenant des protéines végétales. Celle-ci est encore limitée si on compare à l’offre en viandes ou produits laitiers.  Il faut pouvoir lever ces verrous ensemble, sinon, on ne pourra développer une filière qui est encore fragile.
 
De nouveaux produits permettraient donc de rééquilibrer la balance en faveur des protéines végétales ?
On peut l’espérer. Il y a des chercheurs et des entreprises qui travaillent sur des produits innovants acceptables par le consommateur et qui s’adaptent au mode de vie du 21éme siècle. Ceux-ci pourraient changer l’image des protéines végétales qui sont encore considérées comme l’aliment du pauvre. Ce sont de vieux préjugés contre lesquels il faut lutter.
 
Et vous, comment consommez-vous les protéines végétales ?
Là-dessus, je ne suis pas très innovant ! Je consomme des pois-chiches en salades, dans le couscous et la paella. J’aime aussi les lentilles dans des plats cuisinés. Cela fait partie de mon alimentation et je ne me demande pas si les protéines végétales sont bonnes pour ma santé, ou si je me dois d’en consommer. Quand on a une alimentation équilibrée, les protéines végétales viennent tout naturellement.

Article publié le 27/05/2016 à 09:29 | Lu 2100 fois