Usure dentaire : le point avec l’ADF

A l’occasion de la présentation de son Congrès annuel qui se tiendra fin novembre 2013 à Paris, l’Association Dentaire Française (ADF) fait le point sur l’usure dentaire et sur les premiers signes d’alerte des pathologies buccodentaires. Conseils de vigilance et réponses à apporter. D’après un entretien avec le Dr Richard Kaleka, chirurgien-dentiste, Paris.


Hypersensibilité dentinaire, épisodique ou continue, amincissement disgracieux de l’émail, sont les premières manifestations de l’usure dentaire.
 
Qu’est-ce que l’usure dentaire ?

L’usure dentaire n’est pas une pathologie, c’est un processus physiologique qui découle du fonctionnement des dents dans leur milieu naturel : la cavité buccale.
 
Les dents ont pour vocation biologique de nous accompagner durant toute notre vie. Mais toutes n’atteindront pas forcément la ligne d’arrivée ! En effet, la maladie carieuse et la maladie parodontale peuvent prélever sur elles un tribut de taille qui est variable selon les individus, les conditions de vie et de soins, mais aussi selon les paramètres généraux de santé et plus rarement, la génétique.
 
Toutes les études démontrent, depuis une trentaine d’années, que l’élévation du niveau d’hygiène dentaire dans les pays développés a permis de diminuer considérablement les maladies des dents et des gencives. Ces résultats positifs se lisent donc comme la promesse d’une longévité accrue de l’organe dentaire. Or, le paradoxe tient dans l’espérance de vie des personnes aujourd’hui : les dents, mieux préservées, ont une durée de vie plus longue et sont plus longtemps exposées ; comment vont-elles pouvoir se maintenir tout en remplissant pleinement leur fonction jusqu’à un âge avancé ?
 
Quels sont les facteurs responsables ?

L’usure naturelle des dents résulte des contacts répétés qu’elles entretiennent avec leurs voisines d’à côté et d’en face (attrition) pour déglutir, mastiquer (fonction) et éventuellement se serrer compulsivement pour gérer le stress (parafonction).
 
Ces multiples formes de friction déclenchées par une alimentation plus ou moins granuleuse, les mouvements de la langue, des lèvres et des joues, la brosse et le dentifrice…, altèrent progressivement les tissus durs de la dent en les abrasant. Ces corps durs, constitués de minéraux d’une très grande densité (phosphates de calcium/fluor) sont cependant extrêmement résistants à l’usure.
 
Mais leur talon d’Achille est leur vulnérabilité chimique due au contact prolongé avec des acides qui, contrairement à la maladie carieuse, ne sont pas générés localement par les bactéries dites cariogènes. Ces acides agresseurs de l’émail (la coque dure qui donne aux dents leur blancheur et leur capacité à couper, lacérer et broyer les aliments) sont d’origine externe (alimentaire) ou interne (digestive) ; l’acide chlorhydrique provenant de l’estomac affecte la bouche par vomissements ou reflux gastro-oesophagien.
 
Toutes les études récentes démontrent que la consommation alimentaire moderne use et abuse des boissons et aliments acides. Aussi bien chez les plus jeunes enfants, que chez les adolescents et les adultes. Le remplacement de l’eau, par des jus de fruits et des boissons acidifiées (sodas) a créé une addiction dont on peut constater les méfaits au quotidien dans les bouches. On voit en effet de plus en plus une usure des dents bien plus avancée que laisserait présager l’âge du patient.
 
Comment évaluer l’état de l’usure et ses causes ?

Deux situations cliniques sont possibles :

1. Le patient se plaint d’hypersensibilité dentinaire :
C’est la manifestation spécifique d’une mise à nu, même minuscule, de la dentine (le tissu minéralisé sensible qui est recouvert par l'émail au niveau de la couronne (partie émergée de la dent), et par le cément au niveau des racines. Une hyper sensibilité tactile, thermique ou chimique constitue un avertissement. Il s’agit là d’un premier signal qui ne doit pas être négligé.
 
Si une lésion d’usure est identifiée sur une dent (avec des aides visuelles), sa localisation au collet de la dent — avec ou sans récession gingivale — ou sur la face « triturante » orientera sur des tests de contact dentinaire (sonde) et des tests thermiques discrets (jet d’air sur la dent). Dans tous les cas, la totalité des dents des deux arcades sera examinée à la recherche d’autres signes d’usure dentaire.
 
2. Le patient se plaint de l’aspect disgracieux mais indolore de ses dents
Le jaunissement dentaire correspond à l’amincissement de l’émail des dents antérieures qui laisse voir la dentine plus jaune par transparence. Ces manifestations impliquent presque toujours la combinaison de l’action d’acide avec un brossage excessif doublé d’un mauvais choix de brosse et de dentifrice. L’examen de la zone concernée et celui de la totalité de la denture orientent le diagnostic étiologique.
 
Dans les deux cas, l’interrogatoire initial doit être approfondi pour rechercher l’origine externe et/ou interne des expositions acides :

- Externe : aliments (salades, sauces d’assaisonnement vinaigrées et/ou citronnées, fruits et jus, boissons acidulées ou gazeuse, vins) - médicaments (acide ascorbique, salbutamol) - environnement (chlore dans les piscines)

- Interne : acide chlorhydrique gastrique (reflux gastro-oesophagien, vomissements répétés). Si un reflux chronique est suspecté, le chirurgien-dentiste pourra alors conseiller à son patient de consulter un gastroentérologue (dans une très forte proportion de cas, le reflux est asymptomatique).
 
Le milieu buccal est normalement en mesure de limiter l’effet érosif sur les tissus dentaires par l’action de la salive : la pellicule organique et la biochimie salivaire (saturation ionique et pouvoir tampon) concourent à la protection et la régénération minérale des tissus durs, sauf si l’intensité et la fréquence de l’attaque acide débordent les ressources physiologiques. Les situations de diminution du flux salivaire sont, par conséquent, propices à une érosion dentaire accrue.
 
Est-il possible de traiter ?, comment prévenir ?

Certains auteurs ont proposé une analyse des lésions au travers d’un indice déterminé sur des critères de degré d’atteinte, assortie d’une grille de propositions de traitement. La perte tissulaire par usure est souvent constatée trop tardivement et la restauration, si elle est envisagée, reste problématique compte tenu de la localisation, du nombre de dents affectées et de la nécessité de contrôler les causes au préalable pour éviter un échec par récidive.
 
A ce titre, la prévention reste la meilleure solution. Elle implique un diagnostic ultra-précoce, basé sur la détection de signes d’appel et des pertes d’usure superficielles infra-cliniques (aides visuelles).L’aspect des dents doit être finement analysé : perte des périkymaties (micro-reliefs à la surface de l’émail), aspect de l’émail satiné plutôt que brillant, plages de dentine visibles sous l’émail aminci, perte des pointes des dents avec cratères, aplatissement des faces dentaires, etc.
 
Des mesures seront mises en place visant à supprimer les causes érosives (information sur les pratiques hygiéniques et alimentaires, traitements médicaux) ou à en minorer les effets (boissons sportives, dentifrices et bains de bouche renforcés en ions calcium/phosphate, fluorures minéraux et organiques). En regard des conseils du chirurgien-dentiste, c’est la prise de conscience et l’investissement personnel du patient dans la durée qui est gage de résultats. Des photos et des moulages permettront, dans les cas sévères, de contrôler l’évolution des usures.
 
L’usure dentaire révèle l’existence de contraintes mécaniques et chimiques s’exerçant sur les dents. C’est l’évolution moderne des modes de vie qui fait apparaître des formes pathologiques, altération de phénomènes physiologiques. Elle est en effet le plus souvent révélatrice de troubles du comportement alimentaire, de mauvais choix alimentaires ou d’hygiène dentaire compulsive et mal conçue. Le service rendu par le chirurgien-dentiste dans la prise en compte de l’usure dentaire, va donc au-delà de la seule réhabilitation esthétique et fonctionnelle et justifie pleinement la notion de prise en charge médicale globale.

Publié le 04/07/2013 à 07:00 | Lu 2436 fois