Tribune : réflexion nécessaire sur la fin de vie par Valérie Sugg, psycho-oncologue

Pendant près de vingt ans, Valérie Sugg a arpenté les services de cancérologie hospitaliers auprès des personnes malades, de leurs proches souvent vers la rémission mais parfois, aussi, dans un accompagnement en fin de vie. Son analyse sur la façon dont les personnes en fin de vie sont accompagnées en France, ce qu'elles en disent, comment le vivent les proches, ce que les personnes concernées attendent, elle aborde tout et sans tabou dans « Cancer : sans tabou ni trompette » aux éditions Kawa.





Les Etats généraux de la bioéthique doivent mettre un terme aux discussions sur la façon dont chacun peut vivre sa fin de vivre et proposer concrètement une évolution indispensable.
 
Peut-on parler de tout, faut-il évoquer la fin de vie, la mort ? N'est-ce pas justement un sujet tabou ?
Dans la société actuelle, qui se veut ouverte, les tabous demeurent assez nombreux et la mort est sûrement le plus tenace de tous. On n'est pas préparé à cela, surtout pas dans notre culture occidentale, où toute ride doit être effacée, tout cheveu blanc coloré, tout vieillissement l'objet de traitements, crèmes, piqûres.
 
S'il existe une course actuelle, c'est bien celle de l'éternelle jeunesse, même les selfies ont des filtres rajeunissants : alors oser parler de la mort c'est compliqué. Elle est bannie, niée, rejetée. Il n'y a plus vraiment de symboles du deuil. Dans le temps, porter du noir symbolisait que vous veniez de perdre un proche.
 
La souffrance liée à la mort est cachée, la tristesse rejetée. Dans cette société qui se rêve immortelle, oser aborder la maladie est déjà complexe mais la fin de vie et la mort est un vrai challenge.
 
Comment définir la fin de vie ?
Dans l'inconscient collectif la fin de vie est souvent envisagée comme les derniers instants de vie. C'est un peu caricatural alors que dans le quotidien des personnes malades, la prise de conscience est progressive parce que forcément, c'est un traumatisme profond que d'entrevoir, comprendre que la seule issue à venir est la mort, inéluctable.
 
Petit à petit ou rapidement, la maladie semble prendre le dessus. Le patient sent bien que l'équipe médicale fait tout pour la soigner, que les infirmières sont prévenantes et douces, mais justement tant de gentillesse inquiète parfois. Il y a surtout les ressentis de chacun : l'épuisement, la fatigue du corps qui lutte contre le mal qui progresse, la perte progressive de certaines capacités… mais aussi les douleurs, les raideurs.
 
À ce moment-là, il peut y avoir un rapprochement avec la religion ou au contraire un rejet par colère, par dépit, par peur, par désespoir. Émerge ou se renforce le sentiment d'injustice. Pourquoi le traitement ne marche plus. La redoutable décision médicale qui peut arrêter tout traitement. Parce qu'après la récidive, la reprise des traitements, bon nombre se retrouvent licenciés, sans le sou, avec parfois une famille à charge, des emprunts en cours, des dettes… La souffrance est physique, psychique, sociale et spirituelle.
 
Quand la personne comprend qu'il n'y a plus rien à faire que se passe-t-il ?
Accompagner une personne en fin de vie c'est tout faire pour que ce qui lui reste à vivre se passe dans les meilleures conditions pour elle. Des équipes pluridisciplinaires sont là, pour l'accompagner, associant professionnels, bénévoles et représentants du culte parfois selon les désirs et selon aussi l'endroit où la personne est suivie, car tous les centres de traitements n'ont pas les mêmes services à proposer, il y a encore beaucoup trop d'inégalités, il manque de services de soins palliatifs partout !
 
Ce qu'il ne faut jamais oublier c'est que la fin de vie, c'est encore la vie et donc, ne jamais abandonner les personnes en fin de vie mais leur proposer de répondre à leurs attentes et à leurs besoins, de pouvoir préparer comme ils le ressentent cette vie qu'il leur reste à vivre.
 
Selon l'écoute, l'ouverture d'esprit et la formation des équipes soignantes En accompagnant la personne jusqu'au bout en milieu hospitalier ou au domicile. Il demeure aussi des médecins qui sont dans l'acharnement thérapeutique, soit parce qu'ils ne parviennent pas à s'avouer vaincus, soit parce que la personne malade ne peut envisager qu'on abandonne les traitements. D'autres encore qui, en concertation avec la personne malade ou pas, abrègent leurs souffrances.
 
Il n'est pas admissible que le déroulement des dernières semaines de vie d'une personne dépende du bon vouloir de l'équipe soignante qui l'accompagne. Il est plus que temps que chacun puisse être entendu dans la façon dont il souhaite être accompagné et de pouvoir répondre à sa demande s'il souhaite que l'on abrège son agonie. Pour parler clairement : de pouvoir obtenir, dans un cadre réglementé, le droit d'accéder à une aide à mourir.
 
Il existe bien une loi sur la fin de vie, pourquoi n'est-elle pas suffisante ?
Une loi visant à légaliser le suicide assisté et à assurer un accès universel aux soins palliatifs devrait être votée par le Parlement, comme le réclament 96% des Français interrogés par l'institut de sondage Ifop en octobre 2014. L'objectif est que les Français puissent bénéficier de la même liberté que les Néerlandais, les Belges, les Luxembourgeois, les Allemands et les Suisses, entre autres.
 
Les résistances sont nombreuses au nom de la religion, de l'éthique, des représentations que chacun peut avoir de ce qu'est ou doit être la fin de vie. Consciemment ou pas, nous avons un avis sur le sujet qui tient compte de notre éducation, de nos croyances, de notre environnement et de notre évolution personnelle et cela est respectable.
 
En revanche, en quoi le fait de pouvoir choisir sa propre mort peut déranger votre voisin ? Il n'est pas question de décider pour tous, mais bien de pouvoir choisir pour soi. En quoi le fait que vous souhaitiez qu'on abrège vos souffrances peut gêner une partie de la société ?
 
La loi n°2005-370 relative aux droits des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005 (dite « loi Leonetti ») précise les droits des malades et organise les pratiques des professionnels de santé en France au moment de la fin de vie d'une personne malade. Elle a été « approfondie » et modifiée en mars 2015. Il en reste néanmoins une évolution nouvelle, obtenue aux forceps.
 
Si le texte du 17 mars 2015 n'autorise ni l'aide à mourir, ni le suicide assisté, il instaure un droit à une sédation « profonde et continue » jusqu'au décès pour les malades en phase terminale et rend contraignantes les « directives anticipées ». La loi Leonetti veut « protéger » la personne malade de l'acharnement thérapeutique et condamner l'euthanasie active.
 
Autrement dit, elle permet à vous ou votre proche de refuser un ou des traitement(s), s'il le souhaite. Si la personne n'est pas en état d'exprimer sa volonté, la loi permet au médecin de limiter ou d'arrêter un ou des traitement(s), dans le cadre d'une procédure très réglementée. Ensuite, la loi réaffirme un engagement de non abandon de la personne en fin de vie par l'équipe soignante. Celle-ci doit tout mettre en œuvre pour soulager et accompagner la personne malade, jusqu'à son décès.
 
La décision de limiter ou arrêter des traitements appartient toujours au médecin. Toutefois, le médecin doit mettre en œuvre une procédure collégiale pour décider, c'est-à-dire qu'il ne doit pas prendre seul la décision de limiter ou d'arrêter les traitements. La procédure collégiale est définie dans l'article 37 du Code de Déontologie médicale.
 
Le médecin doit prendre en compte les directives anticipées du patient si celui-ci les a rédigées. Il doit consulter la famille, la personne de confiance si le malade en a désigné une et l'équipe soignante. Il doit également faire appel à un médecin consultant. Ce dernier, qui ne doit avoir aucun rapport hiérarchique avec le médecin qui prend la décision, donne son avis médical.
 
Au terme de ses diverses consultations, le médecin en charge du patient prend la décision d'arrêter ou non certains traitements. Il doit s'engager à soulager le patient jusqu'à la mort et de permettre donc nouvellement une sédation continue.
 
En clair, nous progressons très lentement sur certains sujets !
 
Si une personne est soudainement en grande détresse respiratoire ou autre, dans un état douloureux extrême, proche du coma, etc. et pour laquelle une décision devrait pouvoir être prise dans l'heure ou les heures qui suivent… personne n'a de réponse, tout dépend alors du mode de fonctionnement instauré par le chef du service concerné.
 
Pour l'aide à mourir, la loi Léonetti interdit donc la décision qu'un acte médical puisse provoquer intentionnellement la mort pour mettre un terme aux souffrances physiques et psychiques insupportables pour une personne en fin de vie. C'est-à-dire que l'on peut décider d'arrêter les traitements, de tenter de soulager les douleurs de la personne en fin de vie, de la plonger dans une sorte de sommeil par la sédation, mais pas de faciliter sa mort si la personne malade souhaite être aidée pour que son agonie cesse.
 
Si la personne en fin de vie a laissé des directives écrites, c'est alors son avis qui est suivi, mais dans les limites énoncées plus haut. Si le consentement de la personne ne peut être connu dans le cas où la personne n'est plus consciente et si la famille se déchire entre deux avis, cela donne le cas Vincent Lambert ! Cela provoque aussi le cas Nicolas Bonnemaison.
 
Le 29 octobre 2015, le Sénat a adopté sa version de la loi sur la fin de vie, différente de celle de l'Assemblée nationale... Nous sommes au paroxysme de l'évolution de notre prétendue humanité ? On peut émettre quelques doutes…
 
Si la loi de 2005 demande au médecin de « respecter la volonté du patient », le Code de déontologie des médecins précise que l'information donnée peut être « modulée dans son intérêt en fonction du contexte, de sa personnalité et de sa psychologie du moment » ce qui favorise parfois un manque d'informations des personnes malades en fin de vie à qui on ne dit pas forcément la gravité de leur état, que l'on envoie dans des services de soins palliatifs sous le prétexte du traitement de la douleur et à qui certains médecins n'auront pas dit la vérité.
 
Certaines personnes arrivées au bout de leur chemin peuvent aussi ne pas vouloir entendre ce que tente d'expliquer le médecin parce qu'il y a quelque chose d'inacceptable à s'entendre dire que la vie va bientôt nous échapper. Dans ce cas, l'accompagnement demande plus de temps et d'investissement de la part de l'équipe.
 
Les quelques services de soins palliatifs existants tentent tant bien que mal d'accueillir les personnes conscientes ou non de leur fin de vie. Ces personnes sont très entourées alors par une équipe dont le seul objectif est d'accompagner le mieux possible chacun, de proposer un accompagnement psychologique, social, familial mais aussi des soins de confort (massages, bains parfumés…).
 
Les chambres sont parfois dotées d'un salon, d'une salle de bain privative avec une vue dégagée sur la ville ou le parc mitoyen. Le personnel y est joignable à tout moment. Les proches peuvent venir y dormir ou passer à n'importe quelle heure. En revanche, proposer de remplir vos directives anticipées semble être aussi une option facultative sous prétexte, encore une fois, que la plupart des personnes en fin de vie ne veulent pas entendre qu'elles le sont.
 
Dans la réalité du quotidien des services, le refus d'acharnement de la loi Léonetti ne prend pas toujours vraiment sens parce que la notion est trop vague. Donner de l'oxygène à une personne en stade terminal ou poser une sonde gastrique, est-ce de l'acharnement ? Hydrater une personne qui ne peut plus boire, est-ce de l'acharnement ou simplement lui donner à boire autrement ? Une sédation terminale telle qu'elle a été décidée suffit-elle à répondre aux attentes de certains ou bien, est-ce qu’i faut continuer de laisser une personne sans traitement, mourir à petit feu pendant plusieurs semaines, sans mettre un terme à certains calvaires ?
 
2018 doit être l'année du droit de chacun à décider pour lui-même de son agonie ou pas.
 
Valérie Sugg, psycho-oncologue, auteur de « Cancer : sans tabou ni trompette » et « L'hôpital : sans tabou ni trompette » aux éditions Kawa.

Article publié le 21/02/2018 à 02:40 | Lu 3405 fois