Sommeil, métabolisme et nutrition : des liens complexes et passionnants

L’interaction entre sommeil et nutrition est complexe. Cependant on peut évoquer deux grands types de mécanismes permettant d’expliquer les liens entre le rythme veille/sommeil et le métabolisme puis l’obésité. Le premier est d’ordre hormonal, le second d’ordre comportemental.





Sommeil et métabolisme : une origine hormonale

« Nombre d’hormones suivent des rythmes circadiens et sont sécrétées pendant la nuit, ou davantage la nuit que le jour » explique le Pr Léger. « Une diminution du temps de sommeil vient tout naturellement bouleverser le tempo physiologique des hormones impliquées à la fois dans la régulation du sommeil et dans le métabolisme énergétique ».
 
Leptine et ghréline : deux hormones impliquées dans la régulation de la balance énergétique

La ghréline, secrétée le jour, stimule l’appétit tandis que la leptine, hormone de la satiété secrétée pendant le sommeil, l’inhibe. D’où une diminution de la faim et une augmentation de sa sensation de satiété nocturne si on dort assez. Or, une réduction du temps de sommeil met à mal cet équilibre. Les concentrations de ghréline et de leptine se modifient. On a faim et on perd cette sensation de satiété.
 
Une étude a analysé le profil de ces hormones après une nuit normale vs une nuit courte (10H vs 4H). Les résultats suggèrent qu’un déficit de sommeil altère les mécanismes de régulation de ces hormones destinées à informer le cerveau sur les besoins énergétiques. Ils montrent en effet qu’en condition de réduction de sommeil, on observe une augmentation des concentrations de ghréline et une diminution des concentrations de leptine. La faim est accrue de 24% et l’appétit pour des aliments riches (matières grasses et glucides) de plus de 30%.
 
L’hormone de croissance, régulatrice de la masse grasse

La sécrétion de l’hormone de croissance augmente pendant la nuit, en particulier pendant les 2 à 3 premières heures de sommeil. Si, chez l’enfant, elle assure la croissance, elle joue également un rôle chez l’adolescent et chez l’adulte. « L’hormone de croissance régule la masse grasse » explique le Pr Léger. La réduction du temps de sommeil pourrait donc agir sur la masse grasse via la diminution de l’hormone de croissance.
 
Le cortisol, secrété la nuit

La sécrétion de cortisol augmente dans la deuxième partie de la nuit et atteint son pic maximum le matin. La privation de sommeil ou l’insomnie perturbent ce rythme circadien. En résulte une augmentation trop précoce du niveau de cortisol dans la journée, laquelle a un impact sur la faim, l’insulino‐résistance et le développement d’une obésité abdominale.
 
La régulation glycémique, déréglée en cas de manque de sommeil

Au cours de la nuit se produit une diminution de la consommation de glucose par le cerveau. Si on dort peu, ce mécanisme de régulation glycémique se dérègle, ce qui accroît encore l’impact du manque de sommeil sur la faim et la satiété.
 
Des marqueurs pro‐inflammatoires accentués par le manque de sommeil

Un déficit de sommeil induit une élévation de marqueurs pro‐inflammatoires sanguins, lesquels jouent un rôle dans l’état inflammatoire chronique qui caractérise l’obésité
 
Une composante comportementale

Sous l’effet d’une réduction du temps de sommeil, le comportement alimentaire se modifie tout à la fois la nuit et le jour.
 
La nuit

Quand on dort moins, on dispose de plus de temps à soi et l’on a tendance à grignoter, devant la télévision ou même dans sa chambre.
 
Le jour

Après une privation de sommeil, tout se ligue pour augmenter la faim et la quantité d’apports énergétiques, en particulier glucidiques.
 
On grignote plus…

Après une mauvaise nuit, on est fatigué. Et cette lassitude incite à rechercher de l’énergie : les grignotages, en particuliers de sucreries, augmentent, tout comme la quantité de calories ingérées. On ingère plus d’aliments, en particulier plus de glucides…
 
Après un déficit de sommeil, l’augmentation des apports énergétiques augmente, une étude faisant état d’une majoration de 22% de ces derniers. L’élévation des apports énergétiques se fait au profit des glucides. Toutes cohérentes, les études montrent qu’une restriction de sommeil sur plusieurs nuits entraîne une augmentation de la sensation de faim et des apports énergétiques, avec une attirance plus marquée vers les aliments caloriques riches en glucides.
 
Une autre étude a montré une augmentation de la sensation de faim (24%) et de l’appétit pour les aliments riches en glucides, très caloriques (23%) après deux nuits de restriction de sommeil. De même, on observe après une restriction de sommeil, une augmentation de la part des calories issues du grignotage et des apports plus riches en glucides.
 
On bouge moins…

Cette fatigue et ces variations alimentaires s’accompagnent d’une tendance à moins bouger. Cette diminution de l’activité physique diminue le métabolisme, et, en corollaire, augmente la mise en réserve des calories absorbées. Et les kilos en trop sur la balance !
 
On boit plus de café…

La consommation de café est, elle aussi, à la hausse. Et ce dernier stimule aussi l’appétit. L’envie de se faire plaisir augmente… Et favorise les petites douceurs et les excès…
 
In fine, l’augmentation de l’apport énergétique associée à une restriction de sommeil dépendrait : d'une composante hormonale affectant le contrôle de la faim et de l’appétit. D'une composante comportementale avec une augmentation de l’opportunité de manger et une sensibilité accrue au système de récompense.
 
La privation de sommeil : un facteur de risque d’obésité et de diabète de type 2

A la lumière de ces données, il apparaît évident qu’une dette de sommeil comporte des risques pour la santé. Le risque d’obésité est associé à la privation de sommeil. Il n’est pas possible, à l’issue de cette étude transversale, d’établir un lien de causalité directe. Beaucoup d’autres facteurs sont impliqués à la fois dans les troubles du sommeil et dans l’obésité : l’exercice physique, l’humeur, l’anxiété… Pour autant, il apparaît nettement qu’un déficit de sommeil est associé à un risque d’obésité, ce qui constitue également un facteur de risque pour d’autres maladies comme le diabète de type 2 ou les maladies cardiovasculaires.

Bénéfices d’une sieste sur le stress neuroendocrinien

Si les bénéfices d’une récupération courte (10‐30 mn) sur la vigilance, la mémorisation et l’humeur ont été décrits comme pouvant contrebalancer les effets délétères de la dette de sommeil, qui touche un nombre croissant d’actifs, les effets d’une sieste comme contremesure à la dette de sommeil sur l’activité des systèmes de stress neuroendocrinien sont moins connus.
 
Issues des récents travaux de Brice Faraut, chercheur en neurosciences à L’Hôtel‐Dieu de Paris, de nouvelles données montrent que la restriction de sommeil augmente la libération de la norépinephrine, alors que deux épisodes de sieste de 30 mn dans la journée limitent cet effet dans un groupe de jeunes hommes en bonne santé.
 
Il avait été précédemment montré qu’une sieste de 30 mn induisait également une chute immédiate des niveaux de cortisol salivaire. Norépinephrine et cortisol sont deux hormones jouant un rôle important dans la réaction de l'organisme au stress, qui accroît le rythme cardiaque, la tension artérielle et la glycémie. Ainsi lorsqu’une perte de sommeil est contrebalancée par une sieste de 30 min (avec sommeil lent profond), cette dernière restaure en partie l’effet « stress neuroendocrinien » induit par la privation  de sommeil, soulignant l’existence de mécanismes dépendant du sommeil entre le système nerveux central et les fonctions neuroendocrines.

Article publié le 02/04/2015 à 02:11 | Lu 30360 fois