Rythmique Jaques-Dalcroze : une méthode suisse pour réduire les risques de chute chez les seniors

En vieillissant, les chutes peuvent entraîner des conséquences fâcheuses voire fatales… Dans ce contexte, l’école de danse suisse, l’Institut Jaques-Dalcroze à Genève, propose depuis quelques années des cours de rythmique pour seniors qui visent à réduire les risques de chutes chez les personnes âgées. Explications.





Recherche scientifique concernant les effets de la rythmique Jaques-Dalcroze sur la marche, l’équilibre et le risque de chutes des seniors

La rythmique Jaques-Dalcroze améliore la marche, l’équilibre et prévient la chute du sujet âgé.

En début d’année, les résultats de la recherche scientifique mise en place conjointement par le Département de Réhabilitation et Gériatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève et l’Institut Jaques-Dalcroze ont été présentés au public. En voici les grandes lignes.

La chute du sujet âgé : un enjeu majeur de santé publique

Les chutes de la personne âgée constituent un problème majeur de santé publique du fait de leur fréquence élevée, de leurs conséquences traumatiques et du coût financier substantiel associé à la prise en charge médico-sociale.

C’est en effet plus d’un tiers de la population de plus de 65 ans qui chute au moins une fois par an, dont la moitié de manière répétée. Environ 20% des chutes vont nécessiter une attention médicale et une chute sur dix s’accompagner d’un traumatisme sévère tel qu’une fracture ou un traumatisme crânien. En outre, Les chutes constituent, chez le sujet âgé, la première cause d’hospitalisation liée à des blessures et de décès accidentel. Elles sont responsables de 25% des admissions dans les Hôpitaux Universitaires de Genève.

Face au retentissement humain et socio-économique des chutes, dans un contexte de population vieillissante, des stratégies de prévention efficaces doivent être promues et développées. Malgré les données probantes supportant l’effet bénéfique de certains programmes axés sur l’exercice physique en prévention des chutes, un écueil majeur à leur développement à large échelle dans la population seniors provient du faible intérêt des personnes âgées pour ce type de programmes, avec peu d’adhérence.

La rythmique Jaques-Dalcroze : promotion d’une nouvelle forme d’activité physique au service des seniors

La rythmique Jaques-Dalcroze, méthode d’éducation musicale développée à Genève au début du XXe siècle par Emile Jaques-Dalcroze (1865–1950), occupe depuis plus d’un siècle une place de référence dans l’enseignement musical pour les enfants et les adultes en Suisse et dans le monde entier. Favorisant un lien fort entre le mouvement corporel et le mouvement musical, elle comprend des exercices multitâches exécutés au rythme d’une musique improvisée jouée au piano, sollicitant à la fois les fonctions d’équilibration et de marche, tout en faisant appel à la coordination, l’attention, la mémoire et plus globalement aux fonctions dites exécutives ou du lobe cérébral frontal.

L’idée de son utilisation comme activité physique régulière auprès des personnes âgées est récente. Elle se base essentiellement sur une observation menée auprès d’un petit collectif de femmes âgées ayant une pratique régulière de la rythmique Jaques-Dalcroze depuis plus de 40 ans, et chez qui on observait une variabilité de marche comparable à celle de jeunes adultes, particulièrement en condition dite de double-tâche (marcher et décompter d’un en un à partir de 50 en même temps par exemple).

Chez le sujet âgé n’ayant pas pratiqué de rythmique, on observe au contraire une interférence entre la marche et la tâche de décompte, avec une augmentation de la variabilité de la marche. Un rythme de marche irrégulier, traduit par une variabilité de marche élevée, est considéré comme un facteur de risque de chutes majeur. L’avance en âge peut être associée à une perte de l’automaticité de la marche progressivement supplantée par un contrôle plus volontaire, le sujet âgé mobilisant d’avantage de ressources attentionnelles pour se déplacer comparé à un sujet jeune. Ainsi, le sujet chuteur a souvent des difficultés à faire face à plusieurs tâches simultanées (par exemple marcher et engager une conversation) car une partie de son attention ou de ses facultés à été captée par la marche elle-même.

Néanmoins, aucune donnée ne permettait d’affirmer que la rythmique initiée auprès de personnes âgées était capable de réduire la variabilité de la marche et de diminuer le risque de chutes. Afin d’évaluer les effets bénéfiques liés à la pratique de la rythmique Jaques-Dalcroze chez le sujet âgé, une large étude scientifique a débuté en avril 2008.

Cette étude visait à évaluer l’efficacité et la persistance de l’effet d’une intervention de six mois de rythmique, initiée auprès de personnes de plus de 65 ans, sur la variabilité des paramètres de marche. L’impact sur l’équilibre et le risque de chutes, ainsi que sur la qualité de vie, le moral, les fonctions cérébrales dites « cognitives » et l’état nutritionnel était également évalué.
Rythmique Jaques-Dalcroze : une méthode suisse pour réduire les risques de chute chez les seniors

Quelques résultats

Amélioration de la marche et de l’équilibre

- L’analyse quantifiée de la marche et de l’équilibre, réalisée à partir du tapis de marche intégrant des capteurs de pression plantaires et des gyroscopes, révèle une réduction significative de la variabilité de la marche, ainsi qu’une amélioration de l’équilibre dans le groupe ayant bénéficié de l’intervention de rythmique Jaques-Dalcroze, comparé au groupe contrôle.
- Les performances aux tests fonctionnels, appréciant également les capacités de marche et d’équilibre, sont également améliorées dans ce groupe.

Diminution des chutes

- Au terme de 6 mois d’intervention, une diminution significative du nombre de chutes et de chuteurs est observée.

Autres effets bénéfiques

- Diverses analyses viennent compléter les effets bénéfiques liés à la pratique de la rythmique
Jaques-Dalcroze, avec notamment la mise en évidence d’un impact significatif sur l’anxiété des
participants.

La rythmique Jaques-Dalcroze seniors : développement de l’activité en prévention des chutes chez le sujet âgé

Dans une perspective de santé publique, face au fardeau personnel, sociétal et financier imposé par les chutes, l’enjeu lié au développement de la rythmique Jaques-Dalcroze auprès des seniors est de taille. A la lumière de nos résultats, il paraît évident que sa pratique peut contribuer à un vieillissement « réussi » où autonomie et qualité de vie sont préservées. Le contexte ludique, convivial et socialisant, dans lequel est réalisé cette activité et auquel la musique contribue fortement, demeure propice au développement et au maintien de l’intérêt pour l’exercice physique, composante clef d’une stratégie efficace chez la personne âgée.

En témoigne le taux d’adhérence élevé des participants de l’étude et qui souhaitent majoritairement poursuivre l’activité. Au-delà de contribuer à préserver les capacités fonctionnelles et l’indépendance, cette activité va impliquer de plus l’exécution d’exercices multitâches qui vont solliciter les fonctions cognitives.

Un large développement des cours de rythmique seniors est prévu dans un premier temps en Suisse puis à l’étranger, associé à une vaste campagne de promotion. Pour mieux relever ce nouveau défi, l’Institut Jaques-Dalcroze, dont la formation professionnelle est rattachée à la Haute Ecole de Musique de Genève et intégrée dans le dispositif des Hautes écoles spécialisées (HES-SO), a mis sur pied une formation post-grade. Celle-ci, composée de six modules, complète les connaissances des professeurs de rythmique dans ce domaine d’intervention et permet de répondre aux demandes spécifiques croissantes, tant des seniors à domicile que des milieux spécialisés tels que les établissements médico-sociaux.

De nouveaux postes d’enseignement s’ouvrent déjà à Genève, dans le canton de Vaud, à Bâle, ainsi qu’à l’étranger. Une demande de remboursement des coûts auprès des assurances est à l’étude. Les recherches futures s’attacheront à évaluer l’efficacité d’une intervention initiée auprès de sujets encore plus fragiles ou présentant des atteintes pathologiques spécifiques et devraient permettre de mieux appréhender les différents mécanismes qui sous-tendent les effets bénéfiques observés.

Article publié le 01/10/2010 à 10:15 | Lu 6108 fois