Rose : entretien avec l'actrice principale Françoise Fabian (film)

Le film Rose d’Aurélie Saada est sorti le 8 décembre dans les salles obscures. L’histoire ? Celle de Rose et de la révolution intime qu’elle va expérimenter. Celle d’une femme de 78 ans qui, après avoir perdu son mari qu’elle aimait tant, se découvre et réalise qu’elle n’est pas juste une mère, une grand-mère et une veuve, mais qu’elle est une femme aussi et qu’elle a le droit d’en jouir et de désirer jusqu’au bout de la vie. Avec Françoise Fabian, Aure Atika et Gregory Montel.


Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Tout ! (rire) C’est-à-dire tout ce qui était raconté dans le scénario, et tout ce qui s’en dégageait : le charme, l’équilibre, la vérité, la vitalité, la sensualité, le culot... J’ai aussi aimé ces personnages, dont, évidemment, celui de Rose, qui m’était destiné. Je les ai trouvés vrais : entiers mais complexes, joyeux mais tourmentés, enquiquineurs et pourtant follement sympathiques car tournés vers les autres. En somme à l’image des gens que j’aime...
 
En général, je réfléchis beaucoup avant d’accepter un rôle. Je m’interroge sur ce que lui et moi allons mutuellement pouvoir nous apporter, je pèse le pour et le contre. Mais pour Rose, mon emballement a tenu du coup de foudre. J’ai dit oui tout de suite, en priant le ciel qu’Aurélie Saada, que je ne connaissais pas, ne le propose pas à quelqu’un d’autre !
 
Un rôle comme celui-là, j’aurais frappé du pied pour l’obtenir. C’est un cadeau dans la vie d’actrice. Et puis j’avais l’âge de le jouer !
 
Aurélie dit qu’elle l’a écrit pour vous...
C’est ce qu’elle a eu la gentillesse de me dire aussi. Et j’ai tant de points communs avec Rose, que je n’ai aucune raison de mettre sa parole en doute. D’autant qu’elle n’est pas quelqu’un qui triche ou qui flatte. Aurélie est une femme entière, qui s’engage et « assume ». Elle est le reflet de ses chansons.
 
Venons-en à Rose...
À cette toute petite différence près que je suis née à Alger et non à Tunis comme elle. Si Rose n’était pas un personnage de cinéma, elle pourrait être ma sœur ! (rire) Nous avons les mêmes rythmes, de pensée et de vie. Nous sommes toutes les deux méditerranéennes, vivantes, sensuelles, orientales, adorons les fêtes et surtout aimons passionnément nos enfants, nos familles, et, bien sûr, nos maris.
 
Rose, c’est la joie de vivre incarnée, jusqu’au jour où son époux meurt, et qu’elle sombre dans un chagrin dont elle pense qu’il va l’engloutir. Exactement ce qui m’est arrivé lorsque mon mari - Marcel Bozzuffi - est décédé. J’ai vraiment cru que j’allais en mourir. Et puis, comme Rose, je me suis reprise.
 
À cette différence près que ce n’est pas un homme qui m’a sauvée, mais mon métier. Je me suis réfugiée dans le théâtre et le cinéma. Je n’ai jamais remplacé mon mari. Depuis sa disparition, j’ai toujours vécu seule. C’est le métier qui m’a accompagnée. Mon appétit de vivre, c’est sur les plateaux de théâtre et de cinéma que je l’ai exprimé. Evidemment, tout cela est assez illusoire. Rose sait bien qu’elle n’est pas éternelle, que sa « résurrection » ne va durer qu’un temps et qu’elle aussi, finira par mourir.
 
Mais elle décide de profiter de cette petite embellie dans sa vie pour s’évader de son chagrin et de ses problèmes familiaux. Les choses se présentent à elle comme une invitation à un bal. Au lieu d’y assister, en restant sagement assise sur sa chaise, elle se lève pour aller danser elle aussi.
 
Elle danse, elle mange, elle boit, et... Elle chante aussi. Encore quelque chose qui a du vous emballer en tant que chanteuse-musicienne...
Ah oui, car j’aime chanter. Depuis toujours. J’ai sorti un album récemment, et je n’ai qu’une envie : en réaliser un deuxième. Mais pour revenir au film... Chanter n’était pas dans le scénario original. Cela a été une surprise magnifique, un cadeau supplémentaire de la part d’Aurélie...
 
Elle est arrivée un jour en me suggérant de fredonner quelque chose pendant la séquence où je prépare des makrouts. Ça tombait bien car j’ai toujours aimé chantonner en cuisinant. Je lui ai proposé de chanter une vieille chanson de paysanne d’Afrique du Nord, une chanson que ma mère - qui parlait arabe - me chantait tellement souvent quand j’étais petite que je la connais encore par cœur.
 
Aurélie a accepté d’autant plus volontiers que cette chanson, tombée depuis longtemps dans le domaine public, était libre de droit. Encore une scène qui a été pour moi délicieuse à tourner, d’autant qu’elle ne m’a pas non plus demandé beaucoup d’effort de composition. J’ai été, je crois, une assez bonne cuisinière ! (rire)...
 
Aurélie dit avoir été bluffée par votre force de proposition et votre capacité de travail. Votre plaisir de jouer est-il toujours intact ?
Intact, oui, c’est le mot ! Comme je n’accepte que les projets qui m’emballent, lorsque je m’engage, je me lance vraiment. Je ne fais pas semblant. Ni au cinéma, ni au théâtre d’ailleurs. Aucun pépin -et j’en ai eu- ne m’a jamais arrêtée. Je suis un bon soldat (rire).
 
Vous êtes une comédienne qui avez du cran -votre filmographie le prouve- mais vous êtes une femme pudique. Avez-vous redouté la scène de la séduction avec Pascal Elbé ?
Pas du tout. Je ne suis pas pudibonde, vous savez. Je me suis « dévoilée » à chaque fois qu’on m’en a donné l’occasion. Mais cela ne s’est pas produit très souvent ! (rire). Tourner cette scène avec Pascal m’a beaucoup amusée, d’autant plus qu’il y a dix ans -magie et facétie du cinéma- Pascal avait joué mon fils dans le film d’Arcady, Comme les cinq doigts de la main !
 
Je l’ai abordée avec d’autant moins d’appréhension qu’elle n’était pas « gratuite ». Elle arrivait au bon moment dans l’histoire. Rose en a assez de pleurer sur elle-même, assez de se plaindre de ses enfants, assez de ne pas se « soigner », assez de sortir sans rouge à lèvres. Alors, tout d’un coup, elle fait un truc qu’elle ne faisait jamais avec son mari : elle boit de la vodka. C’est le petit déclic qui va lui donner le culot d’essayer de séduire pour retrouver sa féminité.
 
J’ai vraiment adoré tourner cette scène. Non seulement, elle ne m’a demandé aucun effort, mais elle m’a apporté un plaisir fou. Je m’y suis sentie bien, vivante. Cela doit être mon côté Sophia Loren, avec qui, parfois, on me trouve une sorte de « cousinage ».
 
Ce rapprochement m’enchante, parce que, deux fois au théâtre, j’ai joué des textes qu’elle avait joué au cinéma : Filumena Marturano d’Eduardo de Filippo (qui donna au cinéma Mariage à l’italienne), et Une journée particulière d’après Ettore Scola.
 
Sous sa sensualité éclatante, Rose est, à sa façon, féministe. Cette dimension-là a-t-elle pesé dans votre acceptation de l’interpréter, vous qui n’avez jamais cessé d’être une militante de la cause des femmes, et qui, notamment, avez signé en 1971, le « Manifeste des 343 » femmes déclarant avoir avorté alors que c’était encore interdit dans notre pays ?
Bien sûr. Dans l’exercice de mon travail d’actrice, c’est une dimension qui a toujours beaucoup compté pour moi. Ayant toujours été très occupée, je n’ai pas souvent eu le temps de descendre dans la rue, mais ma façon de militer a été de refuser les projets qui dégradaient l’image des femmes. J’ai essayé de n’incarner que des femmes libres, même passionnément amoureuses.
 
Cela depuis mes débuts, au cinéma comme au théâtre. Dans sa revendication à vouloir continuer à être elle-même malgré son veuvage, Rose était comme une porte-parole de mon engagement.
 
Comment vous êtes-vous sentie avec vos trois « enfants » ?
Merveilleusement bien. Comment aurait-il pu en être autrement ? Aure, Grégory et Damien m’ont chouchoutée comme si j’avais été leur vraie mère. Ce sont tous les trois des amours. Nos échanges ont été magnifiques.
 
Comment avez-vous reçu le film ?
J’ai découvert un film qui raconte une belle histoire de femme, un film dont la sensualité et la bonne humeur donnent, je trouve, envie de mordre la vie à pleines dents. Rose est un manifeste pour la vie.
 
À qui selon vous s’adresse-t-il ?
À tout le monde. Aux femmes, à qui, j’espère, il donnera le courage et l’envie d’assumer leurs désirs jusqu’au bout. Et aux hommes, qui comprendront peut-être pourquoi ils doivent les laisser faire (rire).
 
Qu’a apporté Rose à la comédienne que vous êtes ?
Un plaisir immense. Je vous l’ai dit, j’ai reçu ce film comme un cadeau et je l’ai fait sans aucune réserve. J’en ai aimé l’écriture, fluide d’un bout à l’autre, jamais prétentieuse ni démonstrative. J’en ai aimé le ton, humain et simple. J’en ai aimé, évidemment aussi, le féminisme qu’il véhicule, légèrement, sans relever du militantisme. Rose est universel. Il aurait pu être écrit à l’époque de Molière, ou celle Balzac. Il est de tous les temps.

Françoise Fabian, dont la carrière est aussi brillante au théâtre qu’au cinéma, a collaboré avec les plus grands metteurs en scène et cinéastes français (Yves Boisset, André Delvaux, Pierre Granier-Deferre, Alex Joffé, Nelly Kaplan, Louis Malle, Édouard Molinaro, Jacques Rivette, Manoel de Oliveira, François Ozon, Danièle Thompson...).
 
Parmi ses rôles marquants on compte notamment Ma nuit chez Maud (1969) de Eric Rohmer aux côtés de Jean-Louis Trintignant et La Bonne année (1973) de Claude Lelouch. En 1989, elle reçoit le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour Trois Places pour le 26 de Jacques Demy.

En 2014, elle reçoit à la fois le César de la meilleure Actrice dans un second rôle pour Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne, et le Molière de la comédienne dans un second rôle pour « Tartuffe », mis en scène par Luc Bondy au Théâtre de l’Odéon.


Publié le 10/12/2021 à 01:00 | Lu 3148 fois



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