Risques cardiovasculaires : les paradoxes du progrès médical et sociétal

Dans le cadre du Medec, qui s'annonce comme le « plus grand congrès de médecins généralistes en France » et qui se tiendra au Palais de Congrès (Paris) à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 20 mars prochain, différents thèmes médicaux seront abordés. Parmi eux, les maladies cardiovasculaires. En attendant l'ouverture officielle de ce grand rendez-vous, le Pr. Eric Bruckert, chef service d'endocrinologie-métabolisme, Hôpital Pitié-Salpêtrière, a accepté en avant-première du Medec de commenter de récentes études dans le domaine cardio-vasculaire et de donner sa perception du progrès médical et sociétal.





Risques cardiovasculaires : les paradoxes du progrès médical et sociétal
Pendant de longues années, les maladies cardiovasculaires ont représenté la première cause de décès en France devant le cancer.

Ce n’est plus le cas depuis 2004, selon les conclusions tirées de l’étude des certificats de décès, désormais transmis électroniquement.

Aujourd’hui on meurt moins de maladies cardiovasculaires que de tumeurs, mais les variations restent importantes en fonction du sexe, de l’âge ou encore du lieu de vie (le fameux gradient nord-sud). Et après 65 ans, les maladies cardiovasculaires prédominent.

Ces constats peuvent contribuer à la recherche et à la mise en œuvre de moyens de prévention adaptés. Dans le domaine cardiovasculaire, les premières bases ont été jetées avec l’étude de cohorte de Framingham. En effet, cette petite ville américaine du Massachussetts est devenue célèbre grâce au suivi de plus de 5.000 de ses habitants sur une durée de 40 ans. Lancée en 1948, cette étude, qui a largement contribué à la connaissance des facteurs de risque cardiovasculaire, se poursuit actuellement avec une troisième génération de participants.

On lui doit d’avoir mis en évidence le rôle des facteurs de risques comme l'hypertension artérielle (HTA), les dyslipidémies, l’âge, le diabète, le tabac, etc. Depuis, d’autres modèles ont été publiés, parmi lesquels on peut citer le projet européen SCORE (issu de plusieurs études de cohorte européennes, publié en 2003).

Les publications sur les facteurs de risque cardiovasculaire et sur les études cliniques de traitements médicamenteux pour les réduire sont nombreuses. A elle seule, l’étude Framingham Heart Study a fait l’objet de plus de 1.200 publications. Au niveau international, l’étude Monica, placée sous l’égide de l’OMS, a permis de confirmer la baisse de la mortalité coronaire dans le monde au cours des années 1980. Mais si la mortalité baisse, le nombre de malades continue de progresser. En France, la Cnamts indiquait que 10,5 millions de personnes étaient traitées pour l’HTA en 2006 (chiffre qui a augmenté de 2 millions en six ans). Les autres facteurs de risques –diabète, hypercholestérolémie et obésité- ne sont pas en reste. Les dépenses liées à l’HTA et à ses facteurs de risques ont atteint 4,4 milliards d’euros en 2006 (contre 2,6 milliards en 2000). .../...


Le professeur Eric Bruckert, chef service d'endocrinologie-métabolisme, Hôpital Pitié-Salpêtrière, a accepté en avant-première du Medec de commenter de récentes études dans le domaine cardio-vasculaire et de donner sa perception du progrès médical et sociétal.

Les maladies cardiovasculaires sont-elles mieux traitées aujourd’hui ?
Globalement, on relève une baisse des décès liés à des maladies cardiovasculaires. Ce constat a été validé à l’occasion de la publication, en juin 2007 dans le NEJM (New England Journal of Medecine)(1), d’une importante étude portant sur les bénéfices de la prévention et des progrès cardiovasculaires entre 1980 et 2000.

Ce progrès s’explique à la fois par les progrès de la prise en charge médicamenteuse et par ceux de la prise en charge des facteurs de risque des maladies cardiovasculaires, en particulier du cholestérol et du diabète.

Pourquoi parler de paradoxe ?
Les avancées sont loin d’être uniformes. En ce qui concerne le tabac, il n’y a pas eu de progrès remarquable et l’augmentation du poids de la population a atténué les progrès obtenus. Par ailleurs, on connaît encore des difficultés à traiter certains patients. C’est le cas notamment de ceux qui sont atteints d’hypercholestérolémie sévère et intolérants aux statines (environ 10 % des patients). Il y a donc toujours besoin de nouveaux médicaments dans le domaine cardiovasculaire. Enfin, se pose un vrai problème d’observance thérapeutique. On estime qu’un patient sur deux a arrêté ou ne suit pas correctement son traitement au bout de la première année de son instauration. On peut penser que si tout le monde suivait correctement son traitement et ne fumait plus, la diminution des accidents cardiovasculaires serait encore beaucoup plus importante.

Dispose-t-on de données épidémiologiques récentes ?
Une méta-analyse portant sur des données épidémiologiques incluant au total 900 000 personnes a été publiée en décembre 2007 dans le The Lancet (2). Elle visait à étudier les relations cholestérol-maladies cardiovasculaires et pression artérielle-maladies cardiovasculaires.

Cette étude n’a pas apporté de message vraiment nouveau, mais a validé ou confirmé des résultats antérieurs sur des échantillons de moindre importance :
- le lien très fort entre cholestérol et maladie cardiovasculaire, avec une atténuation avec l’âge (quand on vieillit, le cholestérol diminue dès qu’on est malade) ;
- on a retrouvé qu’il n’y avait pas de relations entre le cholestérol et les accidents vasculaires cérébraux ;
- on a également retrouvé une relation entre un bas niveau de cholestérol et risques hémorragiques, en particulier chez les hypertendus.

Quel est le poids des facteurs de risques dans la survenue d’infarctus du myocarde ?
Selon les résultats de l’étude Inter-Heart, 90 % est infarctus sont expliqués par les neuf facteurs de risques suivants :
1. hypertension artérielle,
2. tabagisme,
3. diabète,
4. obésité abdominale,
5. stress,
6. consommation d'alcool (excepté une consommation de deux à trois à verres par semaine, qui serait plutôt protectrice),
7. apport quotidien insuffisant en fruits et légumes,
8. manque d'exercice physique,
9. rapport ApoB/ApoA1 anormal.
La fréquence d’infarctus chez des patients sans facteurs de risques est donc très faible.

Quelles sont les voies à explorer pour améliorer la prise en charge des maladies cardiovasculaires ?
Aujourd’hui, compte tenu des moyens thérapeutiques dont nous disposons, des progrès peuvent être obtenus en agissant en particulier sur quatre composantes : l’observance thérapeutique, la prise en charge du diabète, la diététique et le tabagisme.

Les traitements de l’hypertension et de l’hypercholestérolémie sont en général mieux suivis que ceux du diabète. L’observance des traitements du diabète est faible, d’autant qu’il est évolutif et nécessite d’instaurer progressivement une plurithérapie et parfois une insulinothérapie. Pour cette maladie, une vraie amélioration thérapeutique est attendue avec la mise à disposition prochaine des analogues du GLP-1 et des inhibiteurs DPP IV.

En ce qui concerne le progrès à effectuer au plan la diététique, il n’y a pas de données nouvelles, si ce n’est qu’aujourd’hui des messages contradictoires fusent. Il faut donc donner le plus possible des recommandations claires aux patients qui sont parfois un peu perdus. Changer ses habitudes alimentaires est souvent plus difficile que de prendre un médicament.

Pour la lutte contre le tabagisme, les dernières mesures sont encore trop récentes pour en mesurer l’impact en terme de santé publique. La guerre contre le tabac est cependant loin d’être gagnée : la légère baisse observée chez les adultes est à mettre en parallèle avec l’inquiétante augmentation chez les jeunes, et en particulier les jeunes femmes.

Quel rôle peuvent jouer les médecins généralistes pour améliorer ce suivi ?
L’écrasante majorité des traitements du diabète et du cholestérol sont prescrits par des médecins généralistes. Ils sont donc au cœur de cette problématique d’autant que ce sont eux qui voient les patients le plus fréquemment. A côté des généralistes, il est essentiel que les patients, les cardiologues ou autres spécialistes concernés s’interrogent aussi systématiquement sur le bon suivi des traitements et la réduction des facteurs de risques.

1 - “Explaining the Decrease in U.S. Deaths from Coronary Disease”, 1980–2000 NEJM, 7 juin 2007
2 - “Blood cholesterol and vascular mortality by age, sex, and blood pressure: a metaanalysis of individual data from 61 prospective studies with 55 000 vascular death”, The Lancet, 1er décembre 2007

Article publié le 18/03/2008 à 10:35 | Lu 9776 fois