Retour chez ma mère : la génération boomerang au cinéma

Voici un film tout à fait dans l’air du temps. En effet, Retour chez ma mère d’Eric Lavaine, évoque ces enfants quadragénaires qui suite à un « accident de la vie » doivent retourner vivre chez leurs parents seniors. C’est le cas de Stéphanie (Alexandra Lamy) qui revient s’installer chez sa mère (Josiane Balasko)… Avec toutes les conséquences que cela va entrainer sur la famille. En salles depuis le 1er juin 2016. Entretien avec le réalisateur.


Eric Lavaine, comment est né ce projet ?

En voyant des reportages sur la « génération boomerang ». Sous cette consonance plutôt fun se cache un drame. On connaissait la « génération Tanguy », celle qui reste tranquillement chez papa et maman, il y a désormais la « génération boomerang », celle qui, contrainte et forcée, revient s’installer chez les parents. Ce phénomène qui était surtout l’apanage des pays du sud de l’Europe -à commencer par l’Espagne- toucherait 410.000 Français adultes. C’est contraint et forcé que l’on retourne vivre chez ses parents généralement suite à un licenciement, à des difficultés matérielles ou à une rupture sentimentale. Ce n’est donc pas par choix que l’on regagne le cocon familial !
 
Pour vous, c’est l’occasion d’évoquer la famille…

Dans Barbecue, mon avant dernier-film, je m’étais intéressé aux amis, et cette fois dans je m’attaque à la famille : une quadragénaire qui retourne vivre chez sa maman me semblait un bon prétexte pour aborder le sujet. C’est quelque chose qui me touche car, comme je le fais dire à l’un des personnages : « On adore ses parents, mais de là à passer sa vie avec eux… Un week-end c’est le max ! ». C’est toute l’ambiguïté de la famille : c’est le siège des règlements de compte, des non-dits, et des conflits, tout en étant aussi un socle extraordinaire.
 
Faire rire avec ce type de sujet était une gageure

Même en restant ancré dans le réalité, on peut avoir des situations très drôles. Le drame génère souvent de la comédie. Et le rire est une façon formidable de communiquer des sensations et des idées. Ce qui était toujours compliqué, c’est que le rire peut « casser » l’émotion. Dans ce long-métrage, il a fallu doser pour laisser la place au désarroi de Stéphanie.
 
Vous n’hésitez pas non plus à aborder la sexualité des seniors

L’autre point qui m’intéressait dans la situation d’une fille qui retourne chez sa mère, c’est que lorsque, adulte, on a la chance d’avoir ses parents en vie, on se sent toujours enfant. On attribue à son parent un rôle de mère ou de père, et on le déleste de sa fonction d’amant. Du coup, parler de la sexualité des anciens est souvent tabou : on dénie à nos parents le droit d’avoir une vie sentimentale et sexuelle. La vision infantilisée qu’a Stéphanie de sa mère m’amusait.
 
Au final, le personnage de Josiane Balasko est le seul qui ait une vie amoureuse satisfaisante ?

Exactement ! Ce sont toujours ceux qu’on ne remarque pas qui sont les plus heureux. Dans nos sociétés, en raison du poids des conventions, on a tendance à refuser que nos parents aient une vie amoureuse et intime. Or, les enfants de Josiane Balasko devraient se réjouir que leur mère soit heureuse. Au fond, dans le film, c’est la mère qui, malgré son âge, est le personnage le plus ouvert : elle a sans doute mieux compris la vie que les autres.
 
Je pense qu’elle a quelque chose de très moderne. Elle a eu une double vie très longtemps, sans que jamais son mari ou ses enfants ne se doutent de quelque chose. C’est là encore tiré d’une histoire vraie : j’ai un de mes amis qui m’a raconté que lorsqu’il avait 10 ans, avec sa mère, il est tombé en panne en pleine nuit. C’était les vacances de juillet et son père était resté à Paris. Et bien, c’est le voisin du deuxième étage qui a dépanné sa maman « comme par hasard », il roulait derrière eux à trois heures du matin au fin fond de la Bretagne !
 
À noter qu’à la mort du père de mon pote, sa mère et son voisin se sont installés ensemble et ont, d’une certaine façon, officialisé une liaison secrète de vingt ans !

Et qu’en pense Josiane Balasko ?

Qu’est-ce qui vous a touchée et amusée dans le scénario ?

Cette histoire est très drôle car c’est le personnage le plus âgé – en l’occurrence moi ! – qui s’éclate le plus : elle est veuve et elle a un amant qu’elle cache depuis longtemps (rires). Bref, elle est plus heureuse que ses filles. D’ailleurs, elle aime ses enfants tout en tenant à préserver sa vie privée. D’où des malentendus multiples. J’ai aussi été sensible à l’écriture des dialogues et à certaines scènes hilarantes comme le repas, très drôle dès la lecture. Tout à coup, tout ce chaos met des bâtons dans les roues du train-train de mon personnage…
 
Est-elle contente de voir revenir sa fille ?

C’est un peu difficile pour elle : elle comprend qu’il va falloir la jouer fin pour éviter de se faire surprendre avec son amant et du coup ses enfants pensent qu’elle a de graves problèmes de mémoire. C’est la première fois que je joue une dame aussi différente de moi : elle a ses petites habitudes, elle joue au Scrabble avec ses amies, elle est minutieuse, voire maniaque –autant de traits de caractère qui me sont étrangers et qui étaient intéressants à jouer. C’est ce que j’aime faire : explorer des facettes différentes et aller dans des registres différents.
 
Pourquoi est-elle aussi réticente à l’idée de parler de son amant à sa fille ?

Parce qu’elle est avec lui depuis longtemps ! Elle ne l’a pas rencontré par hasard dans les six derniers mois. Il sont amants depuis au moins vingt ans : elle a réussi à préserver sa vie de famille tout en ayant une vie amoureuse romanesque. Elle a envie d’en parler bien sûr. D’ailleurs le jour du repas, elle est tentée d’évoquer sa vie amoureuse à ses enfants –ce qui donne lieu à une séquence très drôle– mais elle se ravise face à l’hostilité entre ses filles.



Publié le 02/06/2016 à 09:57 | Lu 2269 fois