Régimes alimentaires, obésité, diabète… L’Irin fait le point

Aux États-Unis, la nourriture est abordable, abondante, variée et savoureuse, mais elle n’est peut-être pas aussi bonne que ça pour la santé ! De fait, à cause de la consommation trop importante de matières grasses et de sucre, 36% des Américaines sont diabétiques et 46% sont obèses. Au Japon, au contraire, la nourriture est bien meilleure pour la santé, mais elle est extrêmement onéreuse et moins variée, indique un récent article de’Irin, le département d’informations humanitaires des Nations Unies.





Dans les pays les moins bien lotis, comme le Tchad et l’Angola, et toujours selon le classement d’Oxfam, la nourriture peut être hors de prix et peu nutritive. Elle peut aussi être particulièrement insipide.
 
À Madagascar, 79% de la nourriture est composée de céréales et de tubercules riches en féculents et inclut très peu de viande, de poisson, de fruits ou de légumes.
 
Toutefois, les chiffres les plus intéressants ne viennent peut-être pas des pays les plus riches ou des plus pauvres, mais des économies émergentes en passe d’acquérir le statut de pays à revenu intermédiaire ou supérieur. On trouve ainsi les régimes les moins bons pour la santé dans des pays comme les Fidji et le Mexique, où plus de 40% des adultes ne sont pas seulement en surpoids, mais carrément obèses !
 
Les raisons de cette situation sont bien connues. Lorsque les gens s’enrichissent, ils veulent manger davantage de viande, de poisson, de produits laitiers, de fritures, de desserts et de gâteaux et accompagner tout cela de boissons gazeuses. Les mets préférés varient d’un pays à l’autre, mais cette transition alimentaire est la même partout dans le monde.
 
Ce changement de régime, associé à l’exode rural, au manque de temps pour cuisiner et à un mode de vie plus sédentaire, a conduit à une hausse de poids de la population et une multiplication des problèmes de santé. Le nombre de personnes en surpoids ou obèses a triplé dans les pays en développement entre 1980 et 2008.
 
Tim Lang, professeur de politique alimentaire à la City University de Londres, a le sentiment que le monde se dirige vers une catastrophe tel un somnambule, malgré le nombre de preuves de ce qui est en train de se produire. « Pendant des années, nous avons produit à tour de bras des données démographiques et épidémiologiques stupéfiantes à ce sujet, explique-t-il. C’est presque comme voir, au ralenti, des populations entières basculer dans un précipice et se contenter de les observer et de les compter au fur et à mesure en disant “c’est terrible, n’est-ce pas ?” »
 
L’Institut de développement d’outre-mer britannique (Overseas Development Institute, ODI) a récemment publié un article intitulé Future Diets (régimes futurs) exposant les raisons pour lesquelles cette situation est inquiétante. Outre les problèmes de santé, l’article s’intéresse à la façon de répondre à la demande alimentaire d’un monde plus prospère, à la question de savoir si la production de viande et de produit laitiers peut suivre l’augmentation de la demande et si la hausse de la demande de céréales pour nourrir le bétail risque de rendre les denrées alimentaires de base encore plus inabordables pour les plus pauvres. 
 
Les réponses de l’ODI sur ces questions de durabilité sont rassurantes. La production devrait pouvoir être augmentée pour répondre à la demande et, étonnamment, les céréales fourragères ne vont pas nécessairement faire grimper les prix des céréales destinés à la consommation humaine. Mais les inquiétudes concernant la santé demeurent présentes. L’article s’est penché sur cinq pays émergents –Chine, Inde, Thaïlande, Égypte et Pérou– où des changements de régime alimentaire ont été observés. Il s’avère que ces changements ont été différents dans chaque pays.
 
La Chine a fortement augmenté sa consommation de viande. En Inde, où de nombreux habitants sont végétariens, l’accroissement de la richesse leur permet de consommer davantage de produits laitiers. Les Thaïs profitent d’avoir plus de moyens pour manger beaucoup de fruits, les Égyptiens peuvent satisfaire leur goût pour le poisson et les Péruviens peuvent manger davantage sans pour autant changer la composition de leur alimentation. Le régime riche en viande à l’américaine ne va donc pas forcément être adopté partout.
 
« Ce que l’on observe quand on regarde ce qui se passe dans le monde, c’est que les variations sont très importantes », a dit Steve Wiggins, l’auteur du rapport. « En Amérique latine, notamment au Mexique, dans certaines régions du Moyen-Orient et dans certaines îles du Pacifique, nous observons des taux très élevés de surpoids et d’obésité. Mais dans d’autres pays à revenu intermédiaire –notamment en Asie du Sud et du Sud-Est et dans certaines régions de l’est de l’Asie- ces taux sont moitié moins élevés. Il y a donc des leçons à tirer de ces pays aux taux de surpoids et d’obésité inférieurs. »
 
Différentes mesures peuvent être prises par les gouvernements qui veulent guider la transition alimentaire de leur pays dans la bonne direction. Ils peuvent interdire, rationner ou taxer les aliments qui sont mauvais pour la santé, subventionner les plus nutritifs, réglementer la production ou tenter d’éduquer le public.
 
Cette dernière mesure est celle qui prête le moins à controverse, mais elle s’est avérée peu efficace. Les Européens et les Nord-américains ont été fortement sensibilisés, mais continuent à manger des aliments peu sains. Barry Popkin, professeur de nutrition à l’université de Caroline du Nord, a observé que la Corée du Sud avait mené une campagne d’information très efficace jusqu’à l’ouverture de son économie.
 
« Chaque femme qui se mariait recevait une formation de deux semaines sur le régime traditionnel, qui portait principalement sur les plats riches en légumes. Des panneaux appelant à manger des mets traditionnels étaient installés partout. Les modes de transformation et de distribution modernes étaient exclus et le taux de surpoids était très faible. Mais lorsque l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a commencé à ouvrir le pays, les choses ont changé. Et les régimes changent de manière assez remarquable. »
 
Selon M. Popkin les réglementations de l’OMC ont également lié les mains de pays comme les îles Samoa, qui tentaient d’interdire l’importation d’aliments mauvais pour la santé. « Les pays du Pacifique occidental ont tenté d’interdire un certain nombre de produits qui représentaient la principale cause d’obésité et ils se sont heurtés à l’Organisation mondiale du commerce. Ils importaient des États-Unis des croupions de dinde et d’autres produits mauvais pour la santé auxquels nous ne toucherions jamais, de la graisse pure, et nous les avons empêchés, par le biais de l’OMC, d’interdire ces importations. »
 
Les subventions alimentaires coûtent cher et ne sont plus vraiment à la mode. La Norvège s’y est cependant essayée dans les années 1970 en subventionnant la production de lait semi-écrémé au détriment du lait entier et la production de volaille au détriment de la viande rouge. Les habitudes des consommateurs ont changé, mais l’incidence des subventions n’a pas été clairement établie.
 
Une nouvelle réglementation combinée à une forte taxation a été employée avec un certain succès pour limiter la consommation de tabac, malgré l’opposition de l’industrie du tabac. Mais les efforts de ce type dans le secteur alimentaire ont été plus timides. Le Mexique, qui a pris conscience de la gravité de ses problèmes de santé, a instauré une taxe sur les boissons sucrées début 2014. Roxana Valdes-Ramos, de l’Université autonome de Mexico, salue cette initiative, mais n’est pas sûre qu’elle fonctionne. « Nous ne savons tout simplement pas si cela va avoir une incidence sur le problème, indique-t-elle. La population mexicaine tient vraiment à ses boissons gazeuses, elle y est vraiment habituée et les aime. Je crains qu’ils dépensent juste plus d’argent pour consommer les mêmes aliments. »
 
Selon Tim Lang, de la City University de Londres, l’épidémie d’obésité résulte de plusieurs facteurs : pas seulement d’une mauvaise alimentation, mais également d’un manque d’exercice, d’un mode de vie plus urbain et de changements dans la production et la distribution de la nourriture. « Ce sont des facteurs complexes, des moteurs complexes, des données complexes qui forment le système alimentaire. Cela nécessite donc des leviers complexes. Je ne vois aucun point d’intervention simple ».
 
Neville Rigby, Président du Forum international sur l’obésité (International Obesity Forum), indique à IRIN qu’il faudrait s’attaquer aux intérêts de puissantes sociétés internationales. « Dans la pratique, l’éventail d’aliments disponibles est déterminé par une poignée de grandes sociétés. Les décisions concernant l’alimentation ne dépendent pas seulement des individus qui choisissent ce qu’ils mangent en tant que consommateurs, ni même des gouvernements ou de l’OMS. Et l’ordre du jour du commerce mondial et les stratégies en matière d’agriculture ne sont pas instaurés par des personnes préoccupées par la santé, mais par des personnes qui veulent gagner de l’argent. »

Article publié le 23/01/2014 à 11:41 | Lu 1791 fois