Réforme des retraites : un sujet de société, chronique de Serge Guérin (Partie 1)

Depuis plus de vingt ans, les mêmes débats ont lieu autour de la retraite... Toujours perçue comme une question économique ou démographique. On dénonce la faiblesse du taux d’activité des plus de cinquante ans, on s’alarme du rapport entre le nombre d’actifs pouvant cotiser par rapport aux inactifs qui ne cotisent plus, on s’indigne du déficit « catastrophique » de la branche retraite, etc. Bref, pas question de poser la question sociale, d’imaginer que la retraite est aussi un levier de liberté et d’enrichissement des personnes et de la société…





Le débat tourne en rond : relever les cotisations, diminuer le montant des pensions (ce qui est fait depuis quinze ans et qui conduit inexorablement à l’appauvrissement des plus âgés), augmenter la durée de cotisation, relever l’âge de départ à la retraite…

La question des retraites n’est pas un sujet démographique, mais bien un sujet de société. Certes, à mesure que notre espérance de vie a augmenté, notre espérance de vie professionnelle a diminué. Il y a là comme un paradoxe… Il y a une logique, dans certains cas et en prenant en compte les parcours de chacun, à ce qu’une partie de la population travaille plus longtemps. Généralement, ces personnes le désirent et y trouvent satisfaction…

Mais en faire une obligation identique pour tous n’a pas de sens. Pour trois raisons essentielles : premièrement, l’emploi des seniors ne se décrète pas. Les entreprise vont continuer de pousser les plus de cinquante ans hors de l’emploi tout en proposant aux jeunes des parcours d’entrée semés de stages non ou peu rémunérés et toujours sans cotisations associées, puis de CDD plus ou moins renouvelables.

Deuxièmement, la priorité restera aux gains de productivité obtenus par la pression croissante sur la minorité de ceux ayant encore un emploi et l’éviction d’une part croissante de salariés. Cette priorité donnée à la productivité génère par ailleurs une perte de sens du travail qui conduit les salariés à espérer en finir au plus vite.

Troisièmement, cette réforme est marquée par une vision comptable et dépassée de l’âge. Si globalement l’âge a « rajeuni » (avoir 60 ans en 2010 ou avoir 60 en 1960, ce n’est pas la même chose) pour autant, l’âge n’est pas un fait identique. Il est fonction des origines, des parcours et des histoires de vie de chacun.

En effet, au même âge, on peut avoir dix ou vingt ans d’écart… Ainsi, l’espérance de vie en bonne santé d’un ouvrier est en moyenne inférieure de dix ans à celle d’un cadre supérieur. Bref, relever l’âge de la retraite de façon uniforme fait peser le gros de la charge sur ceux qui ont commencé à travailler tôt, qui souvent ont eu des conditions de travail pénibles et des rémunérations faibles et qui ont une espérance de vie plus réduite... C’est donc la quadruple peine ! Et pour les femmes ce sera même la quintuple peine…

Par ailleurs, au regard de la faiblesse du taux d’activité des seniors et des habitudes d’éviction par l’âge des entreprises, il y a fort à parier que le relèvement des seuils à 62 ans et 67 ans va surtout transformer les retraités en chômeurs… ou en malades de longue durée. Il est vrai que dans ce second cas de figure, ils seront moins bien indemnisés…

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Réforme des retraites : un sujet de société, chronique de Serge Guérin (Partie 1)

Article publié le 13/09/2010 à 10:01 | Lu 1074 fois