Qui m'aime me suive ! Entretien avec José Alcala

Le dernier film de José Alcala, Qui m’aime me suive, sort sur les écrans le 20 mars prochain. Il met en scène Catherine Frot, Daniel Auteuil et Bernard Lecoq dans une comédie qui aborde les amours seniors et leurs difficultés ! De l’humour certes, mais une véritable problématique de société. Entretien avec le réalisateur José Alcala.


D’où vous est venue l’idée de Qui m’aime me suive ! ?
J’ai une maison dans un petit village du Sud de la France. À sa périphérie, il y a une station-service fermée depuis longtemps et, juste derrière, une maison en vente depuis toujours. Elle appartient à des retraités, des gens simples qui ont tout tenté pour essayer d’améliorer leur retraite.
 
Ils ont même essayé de faire des pizzas, mais ça n’a pas marché. L’idée du film est partie de là : parler de ces gens qui ont une retraite insuffisante pour subvenir à leurs besoins, mais qui, pour autant, n’ont pas perdu leur envie de vivre.
 
Qui m’aime me suive ! est un film d’aujourd’hui, même si on y évoque une génération qui avait inventé, en 68, des idéaux de liberté et de fraternité, et qui avait quelque chose de formidable à transmettre.
 
Mais le relais ne s’est pas fait, en partie à cause d’eux d’ailleurs. Aujourd’hui on les désigne comme responsables de toutes les dérives consuméristes, mais ils pleurent leurs illusions perdues, en essayant, malgré tout, de s’y accrocher. Même si ce naufrage sociétal n’est pas le sujet de mon film, il y court, tout du long, en filigrane.
 
On semble loin de votre histoire de triangle amoureux…
Pas tant que cela. Quand on trouve des personnages, on a souvent les fondations d’un scénario. Je me souviens de Pourquoi pas de Coline Serreau qui raconte, avec une audace tranquille et poétique, le quotidien bien huilé d’un ménage à trois.
 
À quelques années près, les personnages de ce film auraient aujourd’hui l’âge de mes trois retraités. J’ai eu envie de réécrire une histoire de triangle amoureux.
 
Tendre, forte, fraternelle. Dans Qui m’aime me suive !, les deux hommes sont les maillons faibles. C’est la femme qui est leur souveraine. Elle aimante leurs regards. Elle est celle qui continue de porter leurs illusions et leurs rêves perdus.
 
Gilbert, le taiseux, égaye son quotidien en bricolant des sculptures colorées à la Tinguely, Étienne, le baba cool, fuit le sien dans des échappées en vélo élevées au rang de grand art, Simone a placé Épicure au centre de sa vie.
 
Pourquoi leur avez-vous offert une personnalité d’artiste ?
Dans les années 70, la culture était présente dans toutes les couches de la société, ouvriers ou bourgeois, beaucoup avaient une culture innée, viscérale -au sens figuré du terme-, celle qui donne de la sensibilité, de l’humanité, de la fantaisie et un vrai regard sur la vie.
 
C’est de cette culture-là dont j’ai nourri mes trois personnages. Et puis au-delà de ça, nous portons tous en nous une part de rêve, exprimée pour Gilbert par des monstres de ferraille au sourire jovial.
 
Quand Gilbert regarde partir sa dépanneuse, c’est comme si un pan entier de sa vie s’effondrait. Il est sur sa terrasse décorée par ses statues. Sans leur présence, la scène n’aurait sans doute pas la même poésie.
 
Des personnages très incarnés, vrais, vivants, une atmosphère solaire, provençale… En regardant votre film, on ne peut s’empêcher de penser à Pagnol…
Pagnol a bercé mon enfance. Alors, forcément, il s’est invité dans mes dialogues ! Certains sont même des références directes à La Femme du Boulanger. Sauf que dans mon film ce n’est pas un boulanger qui court après sa femme, c’est un garagiste !
 
Qu’est-ce qui vous a séduit chez Bernard Le Coq ?
En dehors de la belle personne qu’il est sur le plan humain, c’est sa fantaisie qui m’a immédiatement séduit. Je l’ai tout de suite imaginé comme on ne l’avait jamais vu, avec une queue de cheval et sans lunettes. Comme j’aime beaucoup le vélo, je lui ai demandé d’en faire. Bernard s’est coulé avec une aisance folle dans l’Étienne que j’avais imaginé, un cycliste baba cool sympathique, battant et vif.
 
Connaissiez-vous Daniel Auteuil ?
Non, mais je rêvais de travailler avec lui. Je ne vais pas en rajouter dans les dithyrambes : tout le monde sait quel immense acteur il est. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, nous sommes allés déambuler dans l’Ile Saint-Louis.
 
Je lui ai dit que j’aimerais bien qu’on parle de la démarche de Gilbert. Il s’est alors planté devant moi, m’a dit : « mais il marche comme ça, Gilbert ! » et il a esquissé quelques pas. Incroyable, c’était ça, exactement ça ! Il m’a souri : « C’est ce que tu as écrit, fais confiance à ton scénario ». Le jour des essais costumes, il est arrivé, comme je le lui avais demandé, avec une barbe de trois jours, une moustache et des cheveux en bataille. Il a enfilé un jean usagé, une vieille chemise à carreaux. Il était déjà Gilbert.
 
Et Catherine Frot ?
Catherine c’est une cérébrale, une bâtisseuse. Elle aime accumuler les choses en elle et les lâcher au moment du tournage. Pour ce film, on a travaillé ensemble pendant environ un an. On se voyait à peu près tous les quinze jours. On parlait de Simone. On la cherchait. Catherine m’alimentait, je lui donnais des pistes. On discutait. C’est un délice de femme, un bonheur d’actrice. Même si on la pense complexe, elle est d’une grande simplicité. Catherine aime essayer toutes les couleurs d’un rôle. C’est une travailleuse infatigable.
 
La spontanéité des comédiens se ressent dans la façon qu’ils ont d’habiter leur personnage. Ils sont simples, natures, ils avancent droit.
Le psychologisme m’insupporte. Le maniérisme aussi. Dans ce film, je voulais rester à plat, avec des personnages qui regardent le monde au jour le jour, l’affrontent sans se cacher, sans se raconter de mensonges. Ce sont des gens opiniâtres qui se dépatouillent avec ce qu’ils sont et ce qu’ils ont, qui n’abandonnent jamais. Ils tombent et toujours se relèvent.
 
C’est surtout valable pour Gilbert, qui n’arrête pas de se casser la figure. Même salement amoché, il repart. Tant qu’on est debout c’est qu’on est en vie !
 
Comment qualifierez-vous Qui m’aime me suive ! ?
Le film parle d’amour, de tendresse, d’amitié indéfectible. Ça tiraille parce que ces sentiments sont forts et que pour qu’ils perdurent, il faut de la volonté, de la tolérance. Mes personnages en ont, beaucoup même puisque malgré leurs engueulades, leurs différents et leurs escapades, ils demeurent inséparables. Qui m’aime me suive ! pourrait s’apparenter à une romance sentimentale qui aurait des inflexions de comédie à l’italienne.


Publié le 18/03/2019 à 01:00 | Lu 2418 fois