Qui m'aime me suive ! Entretien avec Catherine Frot

Le dernier film de José Alcala, Qui m’aime me suive, sort sur les écrans le 20 mars prochain. Il met en scène Catherine Frot, Daniel Auteuil et Bernard Le Coq dans une comédie qui aborde les amours seniors et leurs difficultés ! De l’humour certes, mais une véritable problématique de société. Entretien avec Catherine Frot.





Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
En 2010, j’avais tourné avec José Coup d’éclat et nous nous étions merveilleusement entendus. C’est un être exquis, très doux et en même temps déterminé. J’aime beaucoup sa personnalité. Mais après ce film, José, qui vient du documentaire, y était retourné.
 
Nous ne nous sommes pourtant pas perdus de vue. Bien qu’il soit un documentariste passionné par les problèmes sociaux, je lui avais suggéré à plusieurs reprises de revenir à la fiction. Un jour, il m’annonce qu’il a écrit une histoire de trio amoureux mais qu’elle n’est pas pour moi parce que ses personnages ont soixante-quinze ans !
 
Trois mois après, il me rappelle et me dit qu’il les a rajeunis. Il m’apporte son scénario, je le lis, il me touche, je lui dis banco !
 
Qu’est-ce qui vous touche à sa lecture ?
Les personnages du trio. Ce sont des gens un peu usés par la vie, qui ont l’âge, ou presque, de la retraite mais qui dans leur tête ont toujours 17 ans. Ils fument des pétards, picolent, font l’amour et adorent les fêtes. Ils se chamaillent pour un rien mais ils savent se rabibocher sur un simple regard parce que, malgré leurs différends, ils sont inséparables.
 
Ce sont des gens simples. Ils ont des fins de mois difficiles et pourtant, ils continuent de faire comme si la vie ne les avait pas esquintés. Tout en se rendant compte, quand même, que quelque chose a changé, que leurs rêves se sont enfuis… Dans leur vérité et leur authenticité, leur fragilité et leurs certitudes, ils sont émouvants ces trois-là. On en connaît tous des gens comme eux. L’identification est facile.
 
Vous, vous êtes Simone, la femme entre les deux hommes du trio, Gilbert, le mari, et Étienne, l’amant…
Je l’ai tout de suite aimée, Simone. C’est une belle « âme », comme on disait dans le temps. Elle est féminine, curieuse, drôle et profonde. Elle n’est pas coincée. Elle assume et ne compose pas. Elle adore la vie et elle aime l’amour.
 
Elle est nature et simple, ce qui ne l’empêche pas d’avoir du caractère et de l’ironie, jusqu’à en devenir parfois mordante. À ce tournant de son existence, celui de la retraite de son mari, elle réalise qu’elle commence à s’abimer et à s’autodétruire, coincée qu’elle est entre un mari « vieux jeu », amoureux mais possessif, un peu raciste, bougon et taiseux, et un amant un peu plus marrant, plus ouvert mais un peu trop égoïste et qui ne la satisfait plus et la fait moins rire.
 
Elle rêvait d’une pizzeria, d’un quotidien moins étriqué et financièrement plus aisé, mais elle a dû mettre ces petites ambitions au placard. Alors, comme elle n’est pas du genre à renoncer à tout : elle part ! Elle quitte d’abord son mari pour son amant, puis plaque son amant pour aller se griser et « rajeunir » au vent de la liberté.
 
C’est comme ça qu’elle devient la reine du jeu et rend ses deux « hommes » un peu ridicules, mais sans l’avoir vraiment voulu, car dans le fond, elle est très gentille, Simone. C’est une femme du peuple magnifique.
 
Une femme libre, sensuelle, épicurienne, sans une once de coquetterie… On ne vous a jamais vue comme cela, ni sur les planches, ni sur grand écran…
Tant mieux. J’aime surprendre, changer de registre. Je trouve qu’on s’use vite au cinéma et qu’on peut aussi rapidement s’enfermer. Chaque rôle doit être un petit « défi ». Avec Simone, c’était celui de donner à retrouver, dans cette femme ayant passé la cinquantaine, l’insouciance, le charme et la simplicité de ses vingt ans.
 
Comment travaillez-vous vos rôles ?
Étant une fausse spontanée, je les prépare très en avance. J’ai besoin de les sentir m’envahir petit à petit, pour qu’à l’écran, ils paraissent aller de soi. Même quand il n’y a pas d’enjeu particulier -physique, technique ou autre- j’ai besoin de ce temps d’immersion, qui peut être variable. Je lis et relis le scénario et j’imagine tout ce qui peut concerner mon personnage : son métier, son époque, son statut social…
 
Qui m’aime me suive ! affiche un trio d’acteurs inédit. Vous n’aviez encore jamais joué, ni avec Daniel Auteuil, ni avec Bernard Le Coq…
Ce n’est pas tout à fait exact en ce qui concerne Daniel. Nous avions tourné ensemble, en 1977, dans un téléfilm de Gérard Vergez. C’est un comédien immense. Il s’intéresse autant au théâtre qu’au cinéma, nous avons aussi cela en commun. J’étais enthousiaste à l’idée de le revoir et j’ai été très heureuse de le retrouver.
 
Et en ce qui concerne Bernard, je n’avais jamais travaillé avec lui, je ne l’avais même d’ailleurs jamais rencontré. C’est assez inexplicable parce qu’en tant qu’acteur, je l’aime depuis toujours. Il reste pour moi inoubliable dans le Van Gogh de Pialat et dans beaucoup d’autres rôles.
 
J’adore sa prestance, son élégance, sa classe et son humour. C’est moi qui ai soufflé son nom à José Alcala pour jouer Étienne. J’ai vraiment eu deux partenaires formidables.
 
Gilbert, le mari, et Étienne, l’amant, sont deux hommes très différents. Comment Simone a-t-elle joué et avec l’un et avec l’autre ?
Avec Gilbert, il fallait qu’elle illustre une lassitude et un agacement à fleur de peau. Avec Étienne, elle devait se montrer plus enjouée, plus gaie, jusqu’au moment où, quand elle le suit derrière son vélo, il lui prend l’envie de l’envoyer balader lui aussi. En même temps, on devait sentir qu’elle est une femme entière, une et indivisible, qu’elle ne joue pas double jeu.
 
Épouse ou maîtresse, elle reste ce qu’elle est : saine, enfantine, fraternelle. Elle est aussi une mère aimante et responsable. Pour moi, Simone pourrait être un archétype de la femme idéale.
 
On a beau avoir bien préparé son rôle, sur le plateau, quand on joue, il y a toujours une part d’instinct.
Il faut à la fois être sûr de soi, sinon on risque de limiter son jeu, et en même temps, il faut garder le sens de la nuance, et bien sûr, être à l’écoute de son partenaire. Au milieu de ces contraintes, j’essaie toujours, je dirais presque avant tout, de montrer la vie.
 
Pour Simone, qui est une femme solaire, ça a été ma préoccupation principale. Je voulais la rendre comme elle est écrite dans le scénario : vraie et concrète, je voulais qu’elle crève l’écran.
 
Comment était l’ambiance sur le plateau ?
À l’image de José, douce, sereine, amicale et studieuse, ce qui est essentiel pour moi qui ai un grand besoin de concentration. Je ne suis pas spécialement austère, je partage, mais je n’aime pas les ambiances colonies de vacances où on se tape sur l’épaule et où on s’esclaffe pour un oui pour un non.
 
C’est difficile le cinéma. Il y a beaucoup de monde, une technique lourde et aucun argent à gaspiller. Il faut que le travail avance. C’est sérieux. Moi, mon plaisir, c’est avant tout de fabriquer du jeu, pas de créer de la connivence avec Pierre, Paul ou Jacques.
 
Cela ne m’empêche pas de nouer des amitiés sur les plateaux. Mais ce n’est pas pour moi une préoccupation majeure, qui est celle, inégalable en plaisir, de construire et de jouer un rôle.
 
Quelle a été pour vous la scène la plus éprouvante à tourner ?
Celle où Simone va voir sa fille à la clinique. Elle m’a d’autant plus remuée que l’actrice qui la joue, Vanessa Paric, est bouleversante. Mais à part cette séquence, le tournage s’est déroulé pour moi dans une sensation de légèreté. Je me suis beaucoup amusée avec les sentiments parfois légers, parfois profonds de Simone. Avec mes « deux hommes » on a formé un vrai trio, aussi inséparable que peuvent l’être les trios de frères et soeurs. C’était bien d’être dans ce film plein d’humanité qui me faisait revivre ma jeunesse.
 
Comment qualifieriez-vous Qui m’aime me suive ! ?
Pour employer une expression que je n’aime pas beaucoup, je dirais c’est « un feel good movie », un film qui fait du bien. Il dégage un vrai humanisme, mais sans être gentillet, ce qui est un petit tour de force. Il déborde autant de tendresse qu’il est bourré de cocasserie On pourrait l’apparenter aux comédies sociales de Mike Leigh, ou à certaines comédies « à l’italienne ». Si ce n’est que dans la faconde si fraternelle de ses personnages, il fait beaucoup penser à Giono.


Article publié le 20/03/2019 à 02:00 | Lu 1692 fois