Qui m'aime me suive ! Entretien avec Bernard Le Coq

Le dernier film de José Alcala, Qui m’aime me suive, sort sur les écrans le 20 mars prochain. Il met en scène Catherine Frot, Daniel Auteuil et Bernard Le Coq dans une comédie qui aborde les amours seniors et leurs difficultés ! De l’humour certes, mais une véritable problématique de société. Entretien avec Bernard Le Coq.


Vous avez fait une drôle d’entrée dans la distribution  de Qui m’aime me suive !...
Être recommandé par une comédienne que je ne n’avais jamais rencontrée pour jouer dans un registre nouveau pour moi, sous la direction d’un réalisateur que je ne connaissais pas…
 
Je dois dire que cela ne m’était jamais arrivé ! J’ai été d’autant plus touché que cette recommandation émanait de Catherine Frot, qui est une star du théâtre et du ciné.
 
J’ai d’abord lu le scénario et après, j’ai rencontré José Alcala. J’avais le coeur un peu battant… Mais notre entente a été immédiate et nous avons tout de suite commencé à travailler.
 
Qu’est-ce qui vous avait séduit dans le scénario ?
À la fois l’élégance de son ton et son originalité. Aujourd’hui les histoires d’amour triangulaire sont devenues banales. Mais celle-là ne l’est pas parce que ses personnages sont tous les trois décalés et sont sincères. Ils ont beau avoir chacun autour de la soixantaine, ils persistent à vivre avec les idéaux et les valeurs de leurs vingt ans, en faisant semblant de ne pas se rendre compte que le temps a passé et que le monde a changé.
 
Ils sont restés dans l’authenticité de leur jeunesse, ont gardé leurs valeurs, sont demeurés sans calcul et surtout, ils s’arrogent, encore, le droit d’être libres. Ils agissent comme bon leur semble, en assumant les conséquences et le prix de leurs actes, surtout Simone.
 
Il faut placer très haut l’idée de liberté pour prendre le large sans assurer ses arrières, en laissant deux hommes sur le pavé ! C’est assez rare, mais je me suis senti d’aplomb avec ces personnages dès la première lecture.
 
Pourquoi ?
Parce que j’ai retrouvé en eux l’adolescent puis le jeune homme que j’avais été. En mai 68, j’étais un peu trop jeune, Daniel aussi, et Catherine encore plus. Nous n’avons pas jeté de pavé mais nous avons quand même grandi dans la fantaisie de l’après révolution, avec l’idée qu’on allait vers une grande liberté de vie, sociale et sexuelle, libérés des corsets moraux des débuts de la Vème République.
 
On a eu dix-huit ans dans une période épatante, et les revivre aujourd’hui, à travers des personnages qui n’ont jamais voulu vieillir nous a, je crois, tous les trois, enchantés.
 
Ce qu’il y a de formidable aussi dans le scénario, c’est qu’à aucun moment il ne suggère que « c’était mieux avant ». Il n’est ni passéiste, ni donneur de leçons. Il est simplement vrai.
 
Quand Simone prend le large, le trio vacille. C’est l’amitié que se portent ses deux hommes qui va le ressouder…
Ces trois-là se connaissent, s’estiment et s’aiment depuis longtemps, sans doute même depuis leur enfance. Il ne pouvait y avoir qu’un mari, alors il y a eu un amant. En dépit des disputes et des sales coups du sort, ils sont et resteront inséparables. Quand la femme s’en va, le mari et l’amant se retrouvent, oubliant leurs bobos et leur jalousie. Cela s’appelle l’amitié. C’est beau.
 
C’est un peu enfantin. C’est une jolie manière de voir le monde. Brassens a chanté Les Copains d’abord, José Alcala a écrit Qui m’aime me suive ! une histoire « à la vie, à la vie ! ».
 
Comment avez-vous construit votre Étienne ?
Parfois l’habit fait le moine ! José m’a demandé d’enlever mes lunettes, il m’a accroché un catogan et mis sur un vélo. Mon seul vrai travail a été d’apprendre à mettre mes pieds dans les calepieds de façon naturelle, sans me ramasser le museau. À part cela, rien n’a été compliqué. Quand on a la chance d’avoir un rôle bien écrit, de bons partenaires et un metteur en scène attentif, le personnage vient tout seul. Il suffit de jouer ce qui est écrit.
 
J’ai adoré être Étienne. J’ai cru revivre mes dix-huit ans dans une époque que j’ai aimée, face à des partenaires qui sont des champions du monde de la transformation. Ce tournage a été d’autant plus délicieux qu’on n’a jamais eu l’impression d’être dans quelque chose de plaqué, de caricatural ou de reconstitué.
 
Tout a semblé naturel, franc du collier. José est un directeur d’acteurs comme tout comédien en rêve. Il est calme, précis, dénué de tout autoritarisme, et surtout, il n‘est pas un obsédé de l’accumulation des prises. Il respecte ses acteurs et ne les épuise pas. Ajoutez à cela qu’on tournait dans le Midi… Demander plus aurait été demander trop !
 
C’est donc la première fois que vous tourniez avec Catherine Frot et Daniel Auteuil…
C’était à la fois assez stressant, et en même temps assez cocasse parce qu’en fait, aucun de nous trois n’avait jamais joué (ou presque) avec les deux autres. Or nous allions devoir donner l’illusion d’un trio inséparable depuis toujours. Mais, comme je vous l’ai dit, le « clan » s’est tout de suite soudé.
 
Catherine a une vraie richesse, l’énergie d’une diablesse et la fantaisie et la fraicheur d’une jeune fille. Quand elle endosse un rôle, même a priori celui d’une personne banale, elle le rend singulier et attachant, le transforme en or. Son jeu est nourri de beaucoup de réflexion, mais quand on dit moteur, son instinct reprend le dessus. Elle est très impressionnante.
 
Et Daniel ?
Daniel est dans mon petit panthéon personnel d’acteurs. J’ai pour lui une admiration sans borne. C’est un comédien qui n’a pas de ficelle, ne truque jamais, a une puissance de jeu époustouflante et un charme fou. On le croit nonchalant, il s’engage dans chaque prise avec une spontanéité et une vitalité foudroyantes. Avec lui, on ne discutaille pas beaucoup avant pour savoir comment on va faire. On y va. C’est tout.
 
Et vous, quel genre de comédien êtes-vous ?
Je suis plutôt un acteur de l’instant. Je ne gamberge pas beaucoup en amont du plateau. Le jeu me vient quand j’ai les mains dans la pâte, quand j’entends : « moteur ! ». Ce qui n’empêche que je sais quand même reconnaître à la lecture si un projet est bon ou pas. Mais mon jugement est plus instinctif qu’analytique ! S’il m’arrive de demander des corrections de texte, par exemple, c’est presque toujours au moment des prises, rarement avant.
 
Jouer un personnage de fiction est-il pour vous plus confortable que d’incarner, comme vous l’avez souvent fait, un personnage ayant réellement existé ?
Pas du tout. Plus un personnage est célèbre, moins c’est compliqué. Plus on a d’informations sur lui, plus il est facile de l’endosser. Le travail consiste surtout à aller au plus près de lui, évidemment sans le copier ni le caricaturer. Mais c’est assez simple et sécurisant. Pour les personnages de fiction, au contraire, tout est à inventer.
 
La base, c’est partir de données concrètes, comme apprendre les gestes du métier qu’ils exercent. Ensuite, on fait au mieux. On s’ancre dans des gestes de la vie quotidienne et on fait marcher notre imaginaire. Jean Gabin qui est mon idole absolue, faisait ça très bien. Il était capable de tout jouer.
 
Comment qualifieriez-vous Qui m’aime me suive ! ?
Pour moi c’est un film assez inclassable, qui emprunte à beaucoup de genres, la comédie, la chronique et même le drame sentimental. Ce qui compte, ce n’est pas la case où on met un film mais l’émotion qu’il dégage. J’espère que les gens vont être sensibles à la sensualité de celui-ci, à la beauté de sa nostalgie et à sa drôlerie. J’espère aussi qu’ils en aimeront les personnages autant que je les ai aimés.


Publié le 21/03/2019 à 01:08 | Lu 1802 fois