Prix Chronos : parler d'Alzheimer aux enfants avec Martine Dorange

Aujourd’hui 21 septembre 2015, c’est la Journée Mondiale Alzheimer. Pour l’occasion, revenons sur cette pathologie neurodégénérative par un biais original imaginé par le Prix Chronos : « Comment parler l’Alzheimer aux enfants ? ». Dans cet esprit, le Prix Chronos a demandé l’avis de la psychologue Martine Dorange sur ce sujet.





Prix Chronos : parler d'Alzheimer aux enfants avec Martine Dorange
Prix Chronos : Les familles parlent-elles de la maladie d'Alzheimer aux jeunes quand un de leurs grands-parents ou arrière-grands-parents en est atteint ?

Martine Dorange : globalement, la plupart des petits-enfants savent peu de choses de la maladie de leur grand-parent. Il y a un double jeu qui s'instaure entre parents et enfants. Les parents sont « surprotecteurs » en disant qu'ils sont trop jeunes pour y être associés. Ils préfèrent les tenir à l'écart.
 
PC : Comment réagissent les jeunes ?

MD : Les plus jeunes supportent mal cette surprotection. Elle les empêche de parler et de questionner. Il y a aussi chez les jeunes un désir de ne pas blesser ou gêner un papa par exemple, qu'ils perçoivent, sans lui dire, en souffrance, parce que son père est atteint de la maladie d'Alzheimer. Les enfants se taisent pour le protéger lui aussi. Antoine, un petit-fils, nous a dit : « la parole circule, mais c'est aussi le problème, elle est un peu vide. Ma mère craque parfois devant mon frère et moi et c'est dur. Mais ce qui est marrant, c'est ce que ma mère reproche à ses parents, c'est ce que moi et mon frère, on pourrait lui reprocher plus tard ».
 
PC : Qu'est-ce qui vous a le plus frappé chez les jeunes ?

MD : Evidemment, on ne peut pas généraliser. Certains passent par des étapes qui vont de la révolte au rejet en fonction de l'évolution de la maladie. D'autres au contraire sont très proches et s'adaptent à l'évolution de la personne. Mathieu, un garçon d'une dizaine d'années, m'a dit de son grand-père : « ça n'est pas si grave, il est vivant, c'est cela qui est important, il suffit de l'aider, de le soutenir en essayant de ne pas trop lui faire remarquer ses erreurs ». Thiphaine, une jeune fille de vingt ans, aide beaucoup sa grand-mère et essaie de continuer à converser avec elle à partir d'une émission de TV ou de choses du quotidien extrêmement concrètes.
 
PC : Finalement, les jeunes sont assez lucides !

MD : C'est vrai, ils sont souvent lucides et positifs et semblent davantage débarrassés de la charge morale et physique de leurs parents. Ils sont dans un rapport affectif plus apaisé, bienveillant et souvent tolérant.
 
PC : Et les très petits ?

MD : Ils continuent d'aller vers leurs grands-parents sans difficulté, mais ils perçoivent, semble-t-il, que quelque chose a changé. Nous avons pu le constater à travers le dessin d'un enfant de 4 ans, Julien, représentant ses deux arrière-grands-parents. Julien dessine son arrière-grand-mère, assise et un peu « recroquevillée ». Il dit : « avec elle, je ne fais rien parce qu'elle est trop vieille ».
 
PC : Quelles sont les conséquences de ce silence protecteur ?

MD : Silence et non-dits n'engendrent que de la souffrance. Certains petits-enfants peuvent réclamer un répit, refuser de voir une grand-mère pendant un temps, parce que ça leur est insupportable. Il faut aussi savoir l'entendre et en parler, c'est une situation que nous avons rencontrée. La majorité des jeunes sont demandeurs d'explications sur la maladie, sur comment va évoluer leur grand-père ou leur grand-mère. Ils s'inquiètent également pour le grand-parent qui n'est pas malade et sur la réaction de leurs propres parents. Les mots ne peuvent que les rassurer.
 
PC : Que suggérez-vous pour rompre ce silence ?

MD : Ce n'est pas simple, chaque famille et chaque malade sont particuliers. Il faut essayer de parler en famille, se faire aider si nécessaire. Utiliser des supports qui facilitent la communication est souvent très utile. Par exemple, les livres, films peuvent dédramatiser, aider à comprendre, aider à accompagner et à vivre. Ce sont des médiateurs de parole en famille qui vont aider à admettre qu'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer est une personne vivante, à sa manière. Dans les sélections du Prix Chronos, plusieurs albums et romans ont été consacrés à la maladie d'Alzheimer. Certains ont même été choisis comme lauréats du Prix par les jeunes lecteurs. Le thème n'est donc pas tabou pour eux.
 
Source

En photo d'illustration, la couverture du roman de L'histoire du renard qui n'avait plus toute sa tête (paru aux Editions Rue du Monde) de Martin Baltscheit.

L'histoire ? Le renard qui apprenait tout de la chasse et de la vie aux jeunes renardeaux est devenu vieux. Il se trompe de mots, ne se souvient plus très bien... Il oublie même qu'il est un renard ! Mais personne n'oublie de rester à ses côtés.

Il s'agit de l'un des ouvrages choisis par le Prix Chronos pour illustrer cette thématique Alzheimer et enfants.

Article publié le 21/09/2015 à 11:10 | Lu 2590 fois