Polyarthrite rhumatoïde, vie intime et sexualité : pour la première fois, les patients en parlent…

Rarement évoqué par les malades, la sexualité est pourtant une vraie source de préoccupation pour les personnes qui vivent avec la polyarthrite rhumatoïde (PR). Une enquête menée par l’Association Nationale de Défense contre l’Arthrite Rhumatoïde (ANDAR) montre que pour près de 70% des personnes interrogées, la PR entraine des répercussions négatives sur leurs relations intimes et qu’environ la moitié est sexuellement inactive.


Avant d’aller plus loin, rappelons que la polyarthrite rhumatoïde est le plus fréquent des rhumatismes inflammatoires chroniques. En France, on estime à près de 300.000 le nombre de personnes atteintes. Les femmes seraient deux à trois fois plus touchées que les hommes. Bien que la polyarthrite rhumatoïde puisse apparaître à n’importe quel âge, les premiers symptômes surviennent en général entre 40 et 60 ans.

Plus précisément, la PR est une maladie auto-immune d’origine multifactorielle qui évolue par poussées inflammatoires et affecte les articulations. Chaque poussée se manifeste par un gonflement et une raideur des articulations s’accompagnant de douleurs très vives, notamment la nuit.

L’inflammation chronique entraîne une destruction progressive des cartilages et des os, à l’origine de la déformation des articulations, puis du handicap physique. La polyarthrite dégrade fortement la qualité de vie : douleurs constantes, fatigue et perte de mobilité en sont les principales responsables. Aujourd’hui, les traitements biologiques permettent de mieux contrôler la maladie et parfois d’aboutir à des rémissions.

L’ANDAR (3.500 adhérents) œuvre depuis plus de vingt ans, à mieux faire connaître les réalités des personnes malades et les conseille face aux difficultés engendrées par la maladie dans leur vie quotidienne. L’enquête qu’elle vient de conduire, en partenariat avec les laboratoires Roche et Chugai, vise à évaluer pour la première fois dans une étude de grande envergure, les conséquences de la polyarthrite rhumatoïde sur la fatigue, la vie intime et la sexualité. En effet, jusqu’à maintenant, très peu de données existaient sur ces sujets en France.

Plus de 1.200 patients interrogés

L’enquête a été directement réalisée par l’intermédiaire de l’ANDAR auprès de plus de 1.200 patients (84% de femmes) atteints de polyarthrite rhumatoïde de différents niveaux de sévérité, suivis par des médecins spécialistes et généralistes, aussi bien en milieu hospitalier qu’en médecine de ville.

La moyenne d’âge des patients ayant participé à l’enquête est de 64 ans et ils présentent une PR dont le diagnostic a été établi il y a environ 19 ans. Près de deux tiers des patients souffrent d’une autre pathologie. Près de 40% sont traités par biothérapie et 11,4% ont changé de traitement au cours de la dernière année pour raison d’efficacité insuffisante. On constate que 72% des patients âgés de moins de 50 ans et 29% des patients entre 50 et 65 ans, travaillent à plein temps ou à temps partiel.

La capacité fonctionnelle évaluée par le score HAQ (Health Assessment Questionnaire) montre que 37,5% des patients présentent un handicap léger, 42,5% un handicap modéré et près de 20% un handicap sévère. Quant à la qualité de vie, elle a été évaluée par le score moyen d’utilité (EuroQuol 5D). Ce questionnaire comporte cinq questions relatives à cinq domaines de santé (mobilité, autonomie, activités courantes, douleurs/gêne, anxiété/dépression) avec trois niveaux de réponses.

Le score EQ 5D s’est établi à 0.55, ce qui démontre une qualité de vie assez basse. La présence de douleurs avec une gêne modérée ou extrême représente le domaine de la qualité de vie le plus fréquemment cité comme problématique.

Presque tous les patients sont fatigués, mais près de 27% d’entre eux présentent une fatigue sévère

La fatigue est très présente dans l’étude, puisque le score moyen de fatigue est de 5,6 sur une échelle de 10 avec 90% des patients déclarant être fatigués. Pour les patients ayant répondu au questionnaire de Pichot, le score est de 17,2 (sur un score de 32 maximum) et 27% des patients atteignent un score de fatigue « pathologique » (plus de 20) ou une fatigue excessive pour 6,1% d’entre eux (score > 27).

Pour deux patients sur cinq, la fatigue a été variable ces six derniers mois et pour un patient sur cinq, elle a augmenté. Près de huit patients sur dix déclarent que la fatigue éprouvée est liée à leur PR et près de la moitié pensent qu’elle est consécutive aux troubles du sommeil. Viennent ensuite l’âge, puis le traitement médical et ses effets secondaires.

La fatigue a des conséquences sur la vie quotidienne des patients : plus de la moitié déclarent qu’ils ont dû diminuer ou supprimer leurs activités de loisirs ou qu’ils ont dû se faire aider dans leur vie quotidienne. L’impact de la fatigue sur l’état psychologique est également fréquemment cité. Près de la moitié des patients déclarent se faire aider par l’entourage, mais il faut aussi noter que 25% n’ont personne pour les assister. La sieste apparaît être le meilleur recours contre la fatigue. Plus de 60% des patients parlent de leur fatigue avec leur médecin rhumatologue ou généraliste.

Facteurs liés à la fatigue

L’enquête montre par ailleurs qu’il existe une corrélation importante entre le niveau de fatigue évaluée par l’EVA et les autres indicateurs : état de santé, activité de la polyarthrite rhumatoïde, capacité fonctionnelle et qualité de vie.

Les patients se sentant très fatigués sont aussi ceux dont la PR est la plus active, dont la capacité fonctionnelle est la plus affectée, dont les douleurs sont importantes, pour lesquels l’état de santé et le moral sont bas et dont les niveaux de qualité de vie sont faibles. Le fait d’avoir une activité professionnelle est lié à un niveau de fatigue plus faible. On peut également noter un impact positif des biothérapies sur la fatigue (corrélation entre un état de fatigue faible et la prise d’une biothérapie.)

Pour 66% des patients, la polyarthrite a un impact sur leur sexualité

En ce qui concerne le problème de la vie intime et de la sexualité, il est tout d’abord important de remarquer que la majorité de l’échantillon (plus de 80%) a répondu à ces questions qui abordent pourtant un sujet rarement évoqué et considéré comme tabou.

Les réponses sont unanimes : la polyarthrite rhumatoïde a pour 60% des personnes un impact sur leur vie sentimentale et pour 66% un impact sur leur sexualité. Plus de la moitié des patients (56%) a déclaré avoir eu une activité sexuelle au cours des douze derniers mois (85% dans le groupe de patients âgés de moins de 55 ans, 66% dans le groupe 55-65 ans et 36% dans le groupe âgé de plus de 65 ans).

Parmi les personnes n’ayant pas eu d’activité sexuelle, la polyarthrite apparaît pour 80% d’entre elles, comme l’un des facteurs causal important. Les difficultés rencontrées sont la baisse ou l’absence de désir (47% des patients), la sécheresse vaginale pour près de la moitié des femmes, les difficultés d’érection pour la moitié des hommes et les douleurs articulaires (35% des patients). Les conséquences sont importantes : tensions et incompréhensions avec le partenaire (26%), sentiment de culpabilité (25%), frustration (24%), rupture ou divorce (15,5%)…

Parmi les personnes ayant eu une activité sexuelle la polyarthrite a également eu un impact négatif important avec des difficultés rencontrées (problèmes de libido...) et des répercussions similaires à celles faites par les personnes n’ayant pas eu d’activité sexuelle cette dernière année (sentiment de culpabilité 39%, frustration 36%...). Ainsi, quelque soit l’activité sexuelle des personnes, leur vie intime est très affectée…

Facteurs liés aux problèmes de sexualité

L’âge joue certainement un rôle important dans la perception des liens entre PR et vie sentimentale et sexuelle. Au-delà de 65 ans, il semble que, si répercussions il y a, celles-ci ne semblent pas avoir la même importance aux yeux des patients. Le fait de vivre seul(e) ou en couple (famille) est également un facteur important. Il existe également une corrélation très nette entre une forte activité de la polyarthrite rhumatoïde, une faible qualité de vie associée à des douleurs ou raideurs articulaires, de la fatigue et un moral bas et le fait de ne pas avoir eu d’activité sexuelle pendant les douze derniers mois.

Trop peu de patients font appel à des aides

Même si la polyarthrite est un véritable obstacle dans leur vie intime, les patients semblent assez résignés. Plus de la moitié (51,3%) d’entre eux n’a pas eu recours à des aides ou à des solutions : utilisation de gel lubrifiant (26,5%), techniques de relaxation (6,3%), prise de décontractants musculaires ou d’analgésiques avant les rapports (4,4%)…

De toute façon, ils n’en parlent pas et ne peuvent donc pas être aidés : 72% n’abordent pas le sujet avec les professionnels de santé et n’ont pas envie de le faire avec qui que ce soit. 62% ne souhaitent pas d’aide particulière. S’ils en parlent, le médecin traitant est l’interlocuteur privilégié (48,5%) ainsi que le gynécologue ou le sexologue, avant le rhumatologue (26%). Ainsi, il apparaît bien que malgré les liens forts qui existent entre polyarthrite rhumatoïde et sexualité, le sujet reste tabou et difficile à aborder. Il appartient aux professionnels de santé de faire le premier pas afin d’aider les patients dans leur vie intime.

L’avis de l’expert : le Dr Aleth Perdriger, rhumatologue au CHR Pontchaillou, Rennes

- Pensez-vous que le rhumatologue doit absolument évoquer la question de la sexualité avec son patient (sa patiente) et si oui, à quel moment et de quelle manière ?

Le rhumatologue ne doit pas avoir peur d’aborder la sexualité avec son malade, mais il n’a pas besoin de le faire systématiquement. Les enquêtes réalisées chez les patients souffrant d’une polyarthrite montrent l’influence de la maladie sur la sexualité des malades. Les difficultés sexuelles peuvent altérer la qualité de vie des malades et à ce titre concernent le rhumatologue, comme un des aspects de l’activité de la maladie. Il n’est cependant pas nécessaire d’évoquer la sexualité chez tous les malades. Mais si les activités du quotidien sont difficiles à cause des douleurs et de la fatigue, il faut savoir aborder les problèmes liés à la sexualité, comme ceux de la vie de famille ou de la vie professionnelle,... La sexualité doit être abordée comme un élément important du quotidien du malade qui aide à comprendre les difficultés au quotidien de la polyarthrite.

- Comment abordez-vous la question de la vie intime avec vos patient(e)s atteint(e)s de PR ?

Ce n’est pas tant les problèmes sexuels en soit qui doivent être abordés, mais les difficultés au quotidien. En essayant de comprendre le vécu de la polyarthrite, ses difficultés personnelles avec la maladie, la sexualité peut être abordée. On y arrive progressivement, avec du temps. Il faut savoir écouter les problèmes du malade, lui laisser une possibilité, pendant l’interrogatoire, pour qu’il puisse laisser s’exprimer, s’il en ressent le besoin, sa souffrance vis-à-vis de son couple ou sa sexualité.

- Quel(s) conseil(s) pratique(s) leur donnez-vous pour améliorer la qualité de leur vie intime ?

Les problèmes sexuels sont souvent multi-factoriels, et, dans certains cas, seul un spécialiste, un sexologue ou un gynécologue, pourra aider le malade. Le rôle du rhumatologue, c’est de savoir et de faire comprendre que la polyarthrite peut conduire à des difficultés sexuelles. Une polyarthrite active entraîne des douleurs, de la fatigue et parfois une diminution du désir sexuel. Le rhumatologue peut aider un malade à faire le lien entre les difficultés sexuelles rencontrées et la maladie. Pour un patient qui affronte sa maladie, avec souvent des conséquences professionnelles et familiales, pouvoir associer des difficultés sexuelles à la maladie permet souvent de diminuer un sentiment de culpabilité que l’on peut ressentir de ne pas être « normal ». Cela pourra également aider le malade pour aborder ses difficultés avec son conjoint en donnant un nom à son problème : une polyarthrite rhumatoïde.

Publié le 12/10/2010 à 11:27 | Lu 6952 fois