Philomena : à la recherche du fils perdu (film)

Le dernier film de Stephen Frears, Philomena, avec Judi Dench et Steve Coogan, sort sur les écrans le 8 janvier 2014. L’histoire ? Une femme âgée, infirmière à la retraite, part à la recherche de son fils Anthony qu’elle a perdu de vue depuis qu’il a eu trois ans. Un long-métrage émouvant basé sur des faits réels. Entretien avec Steve Coogan, l’un des coscénaristes et acteur du film.





En ce début d’année 2014, voici un beau film tiré d’une histoire vraie… Celle de Philomena (interprétée par Judi Dench, « M » dans James Bond).
 
Le jour des cinquante ans de son fils perdu, Philomena Lee a confié à sa fille qu’elle avait eu un enfant hors mariage cinquante ans plus tôt, qu’elle avait dû l’abandonner et que depuis, elle était à sa recherche. « Je ne crois pas qu’elle se soit imaginé une seconde que son histoire aboutirait sur grand écran » indique Jeff Pope, coscénariste.

« Elle a été élevée dans la religion catholique et ressent encore beaucoup de culpabilité par rapport à ce qui lui est arrivé. Elle s’inquiétait de savoir ce que les gens allaient penser d’elle. Elle ne voulait pas embarrasser sa famille. Mais je pense que le film lui a permis de prendre conscience qu’aujourd’hui encore, des milliers de gens sont confrontés à la même situation. Si en parler permet ne serait-ce qu’à une mère et son enfant de se retrouver, alors, pour elle, cela en vaut la peine ».
 
De son livre, Martin Sixsmith dit : « Comme beaucoup de bonnes histoires, celle-ci est née d’une coïncidence. Lors d’une soirée, j’ai rencontré quelqu’un, qui, sachant que j’étais journaliste, m’a raconté l’histoire de Philomena et de son fils perdu. C’était une histoire tellement poignante que j’ai ressenti le devoir de la raconter. Elle parlait d’amour, de séparation, d’espoir et finalement de rédemption. J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie –j’ai travaillé pour le gouvernement, pour la BBC, j’ai été historien– mais je n’avais encore jamais raconté une histoire vécue. Et plus Philomena et moi travaillions ensemble, plus cela me semblait en valoir la peine. Nous menions en quelque sorte une enquête policière. Nous savions ce qui était arrivé à son fils : il avait été adopté et était parti aux États-Unis, mais nous ignorions tout de sa vie. Philomena était partagée à l’idée que j’écrive ce livre. Durant cinquante ans, elle a eu le sentiment d’avoir commis une faute et de devoir garder tout cela pour elle. Mais je suis journaliste, c’est dans ma nature. Je ne suis ni irlandais ni catholique, j’ai donc pu écrire cette histoire avec un peu plus de distance ».
 
Le fait que Judi Dench ait très tôt donné son accord pour le film fut un réel avantage. L’actrice se souvient : « Steve a contacté Tor Belfrage, mon agent, et lui a exposé les grandes lignes de l’histoire. Tor m’a appelée pour me raconter le parcours de cette femme extraordinaire, toujours en vie, qui avait rencontré Martin Sixsmith et entrepris de découvrir ce qu’il était advenu de son fils. Steve est venu me rendre visite chez moi, nous nous sommes installés dans mon jardin. Il s’est mis à me lire le scénario et j’ai immédiatement été conquise ».
 
Le scénario se déroule dans l’Irlande des années 50. Philomena Lee, encore adolescente, tombe  enceinte. Un drame à l’époque dans ce pays catholique. La jeune fille est alors rejetée par sa famille et conduite dans un couvent…
 
Afin de compenser les soins prodigués par les bonnes soeurs avant et pendant la naissance, elle travaille à la blanchisserie, et n’est autorisée à voir son fils, Anthony, qu’une heure par jour.
 
Mais à l’âge de trois ans, son enfant lui est retiré pour être adopté par un couple aux Etats-Unis... Pendant de longues années, Philomena Lee va essayer de revoir son fils sans succès. Quand, cinquante ans plus tard, elle rencontre Martin Sixmith, un journaliste, elle lui raconte son histoire et ce dernier la persuade de l’accompagner aux Etats-Unis à la recherche d’Anthony !
 
Interpréter Philomena fut une grande responsabilité pour Judi Dench : « Lorsque le personnage que l’on joue est encore en vie, on porte une responsabilité encore plus grande. Il faut être d’autant plus fidèle à l’histoire ». Stephen Frears, le réalisateur, rejoint l’actrice sur ce point : « raconter la vie de personnes réelles est toujours une grande responsabilité, mais c’est encore plus vrai s’agissant de Philomena, car c’est une femme formidable qui nous montre l’exemple. Mais il m’a semblé qu’avec Judi, elle était entre de bonnes mains ».


Interview de Steve Coogan, coscénariste et acteur dans le film

Vous produisez, coécrivez et interprétez l’un des rôles principaux de Philomena. Quelle a été l’origine de ce projet ?

En 2010, j’ai lu un article sur le site du Guardian alors que je me trouvais à New York. Il était intitulé : « L’Église catholique a vendu mon enfant ». Il s’agissait d’une interview de Martin Sixsmith à propos de son livre, The Lost Child of Philomena Lee. Il y évoquait les détails et les grandes lignes de l’histoire. Ce papier m’a beaucoup ému.
 
Peu après, j’ai rencontré par hasard la productrice Gaby Tana et lui en ai parlé. Elle m’a alors proposé de le coproduire. J’ai pris contact avec Martin et les droits d’adaptation étant disponibles, j’ai donc pris une option dans l’espoir de pouvoir développer le projet.
 
Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressé dans l’histoire ?

J’étais à la recherche d’un projet que je puisse développer en parallèle de mes autres projets, majoritairement des comédies. Cette histoire m’a touché et a fait vibrer une part intime en raison de mes origines catholiques. D’autre part, je l’ai trouvée universelle. L’histoire nous transporte également en Irlande et aux États-Unis : l’Ancien et le Nouveau Monde. J’ai pensé que cela trouverait un écho chez beaucoup de gens, notamment en raison du lien particulier qui unit ces deux pays.
 
J’ai été saisi par une photo de Martin et de Philomena assis côte à côte sur un banc (ndlr : donc s’inspire s’ailleurs l’affiche du film) et par le duo improbable qu’ils formaient. Martin était journaliste, c’est un intellectuel issu de la classe moyenne, diplômé des plus grandes universités anglaises, et il avait fait la connaissance de cette infirmière irlandaise à la retraite, issue de la classe ouvrière. Leur relation m’a tout de suite intrigué.
 
Avez-vous pensé à produire vous-même le film  dès le début ?

Oui, mais je n’avais pas l’intention de l’écrire. Bien que j’aie trouvé le livre intéressant, ce n’était pas l’histoire que je voulais véritablement raconter. Je me suis donc mis à la recherche d’un coscénariste. Gaby a organisé un rendez-vous avec Christine Langan de chez BBC Films, qui nous a conseillé le scénariste Jeff Pope. Jeff et moi avons créé une histoire qui s’est transformée, d’une certaine manière, en un road-movie sur deux personnages dont la vision du monde est opposée mais qui finissent par accepter qu’il existe d’autres points de vue que le leur, et ce faisant, posent un nouveau regard sur leur propre existence. C’est une histoire sur la tolérance et la compréhension.
 
Le contraste entre les deux personnages est intéressant. Martin est sophistiqué, intelligent et instruit, tandis que Philomena est d’origine plus modeste, elle est impressionnée par la vie d’opulence qu’il mène et tout ce qu’il tient pour acquis, et pourtant elle fait souvent preuve de plus de perspicacité que lui sur le plan social.

En effet, Jeff et moi tenions également à ce que le film oppose l’intuition à l’intellect. Nous avons rencontré Philomena et Martin à plusieurs reprises et avons discuté avec eux pour nous aider à écrire le scénario. Nombre de leurs conversations dans le film sont d’ailleurs inspirées de ces entretiens.
 
Outre le fait de produire et d’écrire le film, qu’est-ce qui vous a décidé à incarner Martin ?

J’adore jouer dans des comédies, mais j’avais soif de quelque chose de différent, de me lancer dans des projets créatifs et de me mettre au défi. J’ai envie d’explorer les différentes problématiques de la vie. Aujourd’hui, j’aspire davantage à utiliser la comédie comme un outil au service d’autre chose. L’humour peut aider à faire passer un message plus sérieux. Par exemple, comment peut-on rendre une histoire comme celle de Philomena plaisante et positive ? C’est ce type de défi qui m’intéresse. On peut notamment intégrer des éléments comiques entre les deux personnages pour susciter le rire.
 
Interpréter Martin a-t-il été difficile ?

Oui, par certains aspects. Dans le personnage, il y a un peu de moi et un peu de Martin. Ce qu’il vit est très similaire à ce qu’a vécu Martin. Le plus difficile a été de résister à mon instinct comique. Martin est souvent venu nous rendre visite sur le tournage alors que je jouais son rôle, et je lui ai demandé de m’observer et de me donner des indications.
 
Vous avez eu beaucoup de chance que Judi Dench accepte d’incarner Philomena…

Oui, cela va sans dire. Tandis que nous écrivions le scénario, j’ai dit à Jeff : « Ce serait fantastique si Judi Dench acceptait de prendre part au projet. N’ayons pas peur de viser le plus haut possible ». Et elle nous a donné son accord.
 
Quant à Stephen Frears, quelle a été précisément son influence ?

Stephen ne laisse rien au hasard. Il est pointilleux et rigoureux, mais c’est très constructif. Nous avons eu de longues conversations au sujet du scénario. Nous avons beaucoup discuté de l’histoire et du fait qu’elle comprenait à la fois des éléments tragiques et comiques. Stephen a évoqué les films de Billy Wilder, qu’il affectionne particulièrement, et je lui ai parlé de mon admiration pour Jack Lemmon, qui est apparu dans de nombreux films de Wilder. Ensemble, ils ont fait des films qui ne sont pas faciles à étiqueter tant ils empruntent à différents genres. Ils ont réussi à trouver l’équilibre entre humour et drame

Article publié le 06/01/2014 à 10:06 | Lu 995 fois