Permanence de la solidarité (4), chronique de Serge Guérin

Le don est bel et bien une façon de comprendre les enjeux de la solidarité. Au sens où le don enclenche un retour qui n’appelle pas à être comparé. Le don ne fonctionne pas dans une logique de réciprocité comptable et attendue, mais entraîne à terme, une spirale vertueuse. Il est des actes de solidarité qui sont à la fois gratuits dans l’instant, et payants dans la durée.


Du payant qui n’implique pas de la rentabilité ou du profit, mais simplement du sens, un sentiment d’accomplissement personnel, un nouveau regard posé sur soi…

Ainsi, plus des trois-quarts (78%) des aidants estiment que s’occuper d’une personne malade ou dépendante a des effets positifs dans leurs relations avec leurs amis.

De même, ils sont 72% à considérer que cela entraine des effets positifs sur leur vie de famille et les deux-tiers pensent que cela est bénéfique à leur forme physique. Mieux encore, à 86%, ils ont le sentiment d’être suffisamment considéré en tant qu’aidant.

Plus largement, sans doute peut-on penser que le marché a besoin pour se maintenir ou se développer d’actions qui se situent hors de sa logique. Un marché qui ne fonctionne que grâce au « hors-marché ».

L’aide à un parent très âgé ou à un enfant subissant une maladie invalidante s’inscrit dans une logique de don qui échappe à la perspective matérialiste du « donnant-donnant » au sens où elle n’entraîne guère de possibilités de « retour » matériel de la part de l’aidé. On est, ici, plongé dans une société du regard, du sens et de l’estime de soi. Le binaire du « donnant-donnant » laisse place au triptyque du « donner-recevoir-rendre ».
Permanence de la solidarité (4), chronique de Serge Guérin

Dans cette optique, il est intéressant de souligner que les solidarités familiales perdurent alors que la famille n’existe plus. Du moins dans la forme normative soutenue par l’institution depuis le Moyen-âge. Si elle a changé de temporalité et de structures, pour autant, elle est loin d’avoir disparue. Elle reste, pour reprendre la formule de Martine Segalen, le « pilier des identités ».

Les transformations de la structure de la famille ne conduisent pas à la disparition des solidarités familiales. Au contraire ! Elles étaient imposées hier ; elles sont largement choisies aujourd’hui.

Au temps jadis, on parlait de la « fille sacrifiée » : dans chaque famille, un enfant (généralement une fille) était désigné -le plus souvent de façon non-dite- par tous pour prendre en charge dans le futur les parents, voire les beaux-parents.

Aujourd’hui, les formes d’appui de la part des proches ont aussi évolué. On doit à Claudine Attias-Donfut de magnifiques travaux sur l’importance du soutien au sein des familles. L’aide familiale apparaît d’abord réalisée par les femmes, compagnes ou filles. Mais, sous l’influence de la mutation de la famille et d’une autonomisation croissante des femmes et de leur rôle social traditionnel, les choses évoluent.

Ainsi, Simone Pennec montre pour sa part que la présence des fils est plus importante pour aider leur mère qu’auparavant. La taille de la fraterie-sororie, l’existence d’un ou de deux parents, les modes de vie, communs ou séparés, la présence ou non d’autres ascendants comme la composition des descendances contribuent à nuancer les pratiques.

Chacun cherche à « bricoler » entre les normes sociales, la régulation de ses tensions familiales et professionnelles et les valeurs individuelles et du groupe. Les rôles au sein de la famille sont de plus en plus polyvalents et évolutifs, y compris lorsqu’il s’agit de mobiliser les ressources de la solidarité.

Signalons d’ailleurs que les nouveaux seniors forment la première génération à devoir s’occuper de leurs parents et de leurs enfants à la fois. C’est ce que l’on peut nommer la génération pivot, la génération solidaire.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Dernier ouvrage, La société des seniors Editions Michalon

Publié le 07/12/2009 à 09:01 | Lu 2225 fois