Oui, il y a de plus en plus de vieux pauvres… chronique de Serge Guérin

Il n’y a pas de hasard. Encore moins de hasard social. Cette semaine, j’ai été amené à débattre sur la radio RFI, dans l’excellente émission Microscopie avec Christophe Robert, le délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre, puis à déjeuner le lendemain avec Jean-François Serre, le délégué général de l’association les petits frères des Pauvres. Dans les deux cas, un même sujet est revenu : la précarité et l’isolement croissant des plus âgés.


Ces plus âgés, ce sont autant les très vieux, ceux qui ont dépassé les 75 ans que les « jeunes » seniors entre 55 et 65 ans.

Les premiers subissent l’isolement, la fragilité physique et se débattent avec des revenus souvent faibles -voire en dessous du seuil de pauvreté. Les seconds, en particulier lorsqu’ils sont sans emploi, sont de plus en fragilisés et isolés.

A mesure qu’ils s’éloignent de l’emploi, ils se perdent dans l’anomie sociale*. Mais conserver ou retrouver un emploi n’est pas suffisant ; de plus de seniors doivent supporter des salaires très peu rémunérées ou souffrent de l’absence de sens donné à leur activité.

La hausse du prix des logements, la diminution des aides sociales, l’abaissement des liens sociaux, la montée du chômage, etc. changent lentement et silencieusement le quotidien de centaines de milliers de personnes qui voient s’éloigner toute chance de vivre une vie convenable. Par ailleurs, la réforme des retraites qui s’annonce ne présage rien de bon : elle risque d’éloigner encore plus les seniors les plus fragiles -ceux qui ont commencé à travailler très tôt et qui ont le plus grand mal à trouver un emploi après 50 ans- de la possibilité de toucher une pension décente.
Oui, il y a de plus en plus de vieux pauvres… chronique de Serge Guérin

Nous sommes loin des discours faisant des seniors les privilégiés de la société. Raisonner en grande masse, c’est souvent raisonner à côté. C’est éviter de se coltiner avec la complexité des choses.

Rappelons que plus de 600.000 personnes âgées vivent avec le minimum vieillesse qui se situe 100 euros en dessous du seuil de pauvreté (dans les années 1990, il était équivalent) et que 56% des retraités touchent une pension de seulement1.300 euros par mois.

Certains diront que les seniors sont majoritairement propriétaires de leur logement, mais cela les protègent-ils nécessairement ? Non ! La valeur moyenne de leur logement se situe à 153.000 euros. C’est beaucoup et c’est pas grand-chose au regard du prix moyen des appartements en centre-ville que l’on recherche lorsque que la mobilité se réduit ou lorsqu’il faut se rapprocher des centres de soin.

Parfois, ce petit logement devient une prison dont il est impossible de se sortir alors que tout s’abîme, que tout se lézarde, qu’il faudrait faire des réparations qu’il n’est plus possible de faire soi-même, qu’il n’est pas possible de financer. Parfois, être propriétaire renforce encore l’isolement des personnes… assigne à résidence.

Soyons clairs et disons les choses simplement : cette précarité croissante qui touche –et qui va toucher de plus en plus– les seniors, cela s’appelle la pauvreté et la misère. Les réformes du financement de la retraite et de la grande perte d’autonomie doivent se comprendre dans cette réalité.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG

*Le concept d'anomie forgé par Durkheim est un des plus importants de la théorie sociologique. Il caractérise la situation où se trouvent les individus lorsque les règles sociales qui guident leurs conduites et leurs aspirations perdent leur pouvoir, sont incompatibles entre elles ou lorsque, minées par les changements sociaux, elles doivent céder la place à d'autres (source Encyclopédie Universalis).

Publié le 06/09/2010 à 10:04 | Lu 3131 fois