Observatoire B2V des Mémoires : la mémoire vue par les membres du Comité Scientifique (Partie 1)

Les membres du comité scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, qui vient tout juste de voir le jour, font le point sur les connaissances actuelles en matière de mémoire. Passionnant. Partie 1.





La mémoire vue par le Professeur Francis Eustache

« Qu’avons-nous vécu ? Appris ? Qui sommes-nous ? »
 
La mémoire permet de nous souvenir et de décrypter le monde qui nous entoure, mais aussi de faire des choix en fonction de notre histoire et de nous projeter dans le futur. Ces dernières années, nos connaissances sur la structure et le fonctionnement de la mémoire humaine ont beaucoup progressé.
 
L’étude des maladies (syndromes amnésiques et maladie d’Alzheimer essentiellement) nous renseigne, mieux que toute autre démonstration, sur cette fonction mentale qui se trouve au coeur de notre subjectivité et de notre identité. Ainsi ce patient, surpris de voir « les hommes mettre des sapins dans les maisons à Noël », nous rappelle que la mémoire enregistre non seulement nos souvenirs, mais aussi ce que nous savons sur le monde.
 
Un tri au jour le jour

Selon le Pr Francis Eustache, « la mémoire effectue un travail de synthèse au jour le jour, à notre insu. Elle va choisir de retenir certaines choses et d’en oublier d’autres ». Notre mémoire ne se mesure pas seulement à notre capacité à engranger de l’information et à la retenir, mais aussi à notre aptitude à évacuer l’information non pertinente, qui risque de l’encombrer et d’empêcher d’extraire les informations utiles. Deux structures de notre cerveau sont chargées de faire le tri.
 
Réussir à focaliser notre attention

Qu’est-ce qui fait que certaines informations qui transitent par la mémoire de travail vont continuer leur chemin vers la mémoire à long terme, tandis que d’autres vont passer aux oubliettes? C’est l’attention! Elle est le moteur indispensable de la mémoire de travail. Selon le Pr Eustache, de nombreux facteurs contribuent à attirer et focaliser notre attention, et ainsi mieux retenir :

- les facteurs psychophysiques. Plus les éléments apparaîtront sous leur meilleur aspect (couleur, contraste, luminosité), plus ils capteront notre attention,
- les facteurs physiologiques, comme la fatigue par exemple. Plus on est fatigué, moins on est attentif,
- les acteurs environnementaux. Plus il y a de bruit, plus il sera difficile de focaliser son attention,
- la motivation. Si vous avez une grande connaissance du domaine en question, l’information s’intégrera mieux à votre réseau de connaissances; sinon, elle restera plus isolée.
 
Comprendre les relations entre les différentes mémoires

Les fonctions des différentes mémoires, (en référence au travail du neuroscientifique Endel Tulving), ont été repérées, sans que l’on comprenne encore vraiment bien comment elles se redistribuent et s’inter-relationnent en système global, (avec l’aide par exemple et encore mal connue de l’émotion). Les interactions et les concurrences entre mémoire à long terme et mémoire à court terme (désormais appelée « mémoire de travail), mémoire déclarative et mémoire procédurale, mémoire épisodique et mémoire sémantique sont des notions et des concepts qui émaillent désormais les neurosciences.
 
L’imagerie cérébrale – Le Pr Eustache dirige l’unité Cyceron.

« Dans les connaissances actuelles, l’imagerie cérébrale tient un rôle important qui permet de comprendre la mise en place progressive de la mémoire chez l’enfant, comme ses modifications au cours du vieillissement ».

Les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle permettent d’avoir accès in vivo au fonctionnement du cerveau ; elles reposent sur le postulat de base qu’une activité cognitive engendre une cascade d’événements neuronaux (modifications électriques, neurochimiques, vasculaires et métaboliques de l’activité synaptique); elles se différencient par le type de signal qu’elles mesurent. Ses mots pour définir la mémoire… se souvenir, savoir, maîtriser
 
En savoir plus « les processus compensatoire » :

Il faut également relever une évolution dans notre approche duvieillissement normal : si les chercheurs s’intéressent toujours aux mécanismes du déclin, ils se tournent de plus en plus vers l’étude des processus compensatoires, des mécanismes préservés, ce qui est indéniablement une approche plus positive du vieillissement. Comme l’ont judicieusement souligné Park et Reuter-Lorenz, « ce qui est intrigant pour les chercheurs actuellement, ce n’est pas tellement de comprendre le déclin cognitif lié à l’âge mais plutôt comment les sujets âgés maintiennent un si haut niveau de fonctionnement cognitif malgré de réelles altérations sur le plan cérébral ». Enfin, il faut rappeler que les structures les plus touchées dans la maladie d’Alzheimer sont celles qui sont les mieux préservées dans le vieillissement normal. Le message est clair : les deux processus sont radicalement différents.

La mémoire vue par le Professeur Hélène Amiéva

La mémoire est un phénomène complexe. La recherche fondamentale doit s’appuyer sur des études qui apportent des preuves, qui permettent de vérifier des hypothèses, en s’inscrivant dans le temps et auprès d’échantillons de population importants et bien ciblés. Ce n’est pas toujours le cas et Hélène Amiéva combat les approximations en participant à la mise en oeuvre de grandes cohortes (échantillon d’études) prospectives au cours de très longue période, pour prendre en compte la dimension dynamique des évolutions.

L’approche épidémiologique :

« Etudier le vieillissement cognitif ce n’est pas seulement comparer un groupe de sujets âgés qui présentent une particularité sur le plan de la mémoire à des personnes jeunes, mais c’est avoir accès à des grandes populations au cours du temps, par exemple 4 000 personnes depuis 22 ans, comme la cohorte Paquid, pour voir comment évoluent ces phénomènes cognitifs, mnésiques et cérébraux. »

Pour H. Amiéva, l’Observatoire B2V permettra d’avancer sur la connaissance de la mémoire humaine. « Mieux connaître les représentations sociales des maladies, les changements psychologiques qui s’opèrent chez le malade, ou encore s’interroger sur les possibilités d’améliorer la qualité de vie des personnes malades et des familles, y compris par des voies qui ne reposent pas sur la pharmacothérapie, sont des questions essentielles. Il est intéressant que le groupe B2V admette l’idée qu’il soit important aujourd’hui d’avancer dans les connaissances fondamentales de la mémoire humaine. Et en même temps de donner les moyens de faire émerger des pistes crédibles de compréhension des troubles de la mémoire. Il est très étonnant et toujours inexpliqué de constater les différences qui existent entre les individus... pourquoi deux personnes qui ont les mêmes lésions n’expriment pas les mêmes déficits. Certains vont mourir sans exprimer vraiment la maladie et d’autres vont les exprimer très vite. »

Des pistes de prévention existent :

La piste de prévention la plus accessible est celle concernant les facteurs de risques cardiovasculaire notamment l’hypertension artérielle. Il est important de faire comprendre à la population âgée que détecter et traiter correctement une hypertension est non seulement utile pour éviter une mort subite à 85 ans, mais aussi pour éviter cinq ans de dépendance plus ou moins lourde liée à une démence en fin de vie.

La piste nutritionnelle est également prometteuse bien qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une évaluation convaincante. La consommation régulière de fruit, de légumes, de poissons aurait un effet préventif. Nous avons récemment montré, dans le cadre de l’étude dite « Des Trois Cités » que des sujets consommant ces aliments présentaient moins de risques de développer la maladie d‘Alzheimer au cours des quatre ans après le recueil des données. Cela étant d'autant plus avéré pour les personnes présentant un facteur de risque génétique.

Les autres pistes de prévention sont axées sur la préservation des capacités cognitives de réserve par une vie sociale et culturelle active et stimulante, l’exercice physique régulier et la lutte contre la solitude et les troubles affectifs. Dans l’ensemble des mesures de prévention qui pourraient être proposées ne sont pas très contraignantes et devraient être acceptées sans difficultés."

Une récente étude publiée portant sur les besoins formulés par les aidants des malades atteints d’Alzheimer révèle leur nécessité d’information en priorité. Cette étude a été menée sur deux ans dans une quarantaine de centres hospitaliers auprès de 650 familles.

Ses mots pour définir la mémoire : la mémoire accapare 90% des activités mentales.

Article publié le 02/05/2013 à 05:00 | Lu 923 fois