Nutrition, vieillissement et muscle : sarcopénie ou sarcoporose

Lors de la 48ème Journée annuelle de nutrition et de diététiques (JAND) qui s’est tenue le 25 janvier dernier au Cnit de Paris-la-Défense, les scientifiques ont passé en revue les facteurs nutritionnels qui retardent la sénescence et facilitent un vieillissement réussi tout en permettant de rester le plus longtemps possible actif et pertinent. Dans ce contexte, le professeur Yves Boirie, de l’Université d’Auvergne, a expliqué les mécanismes du vieillissement musculaire, invalidant et diminuant la qualité de vie : la synthèse protéique diminue et ne compense plus les pertes physiologiques. Conserver des apports protéiques quantitativement et qualitativement corrects, supplémenter les repas avec des acides aminés, surtout au repas du midi, maintenir une activité musculaire, retarderont la sarcopénie.


Par Yves Boirie, Université de Nutrition Humaine, UMR INRA/Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand

La sarcopénie correspond à une réduction progressive de la masse musculaire associée au vieillissement. Ce phénomène constitue un facteur majeur d’invalidité et de baisse de la qualité de vie des personnes âgées : il provoque une réduction significative de la mobilité et une diminution globale des niveaux d’activité physique favorisant l’apparition d’altérations métaboliques telles qu’un accroissement de l’adiposité, une baisse de la sensibilité à l’insuline ou encore une diminution de la densité osseuse. Il s’accompagne en outre d’une augmentation du risque de chutes et de fractures, en particulier du col du fémur. En raison de ce dernier point, la fonte musculaire associée à l’âge peut conduire au développement d’une entité clinique que nous pourrions nommer « sarcoporose » par analogie avec l’ostéoporose.

Les facteurs impliqués dans le développement de la sarcopénie sont à la fois d’origine génétique et environnementale. Il reste encore difficile de savoir si la perte musculaire liée à l’âge est une conséquence inévitable du vieillissement ou si les facteurs environnementaux, en particulier des troubles nutritionnels et la sédentarité, sont les causes essentielles de la maladie. La mise au point de stratégies visant à prévenir, retarder ou inverser cette maladie représente donc un défi particulièrement important à remporter pour les populations âgées de demain. .../...

Un déséquilibre entre synthèse et dégradation des protéines
Sur le plan histologique, la sarcopénie est principalement associée à l’atrophie des fibres musculaires squelettiques notamment de type II (fibres à contraction rapide, sollicitées lors d’exercices brefs mais intenses). Sur le plan métabolique, la perte de muscle liée à l’âge résulterait d’un déséquilibre entre les processus de synthèse et de dégradation des protéines musculaires : la capacité à synthétiser des protéines musculaires, surtout en réponse aux facteurs anaboliques, diminuerait avec l’âge. Elle finirait par ne plus être suffisante pour compenser les pertes physiologiques.

Pour une étiologie nutritionnelle de la sarcopénie
Parmi les facteurs capables de modifier la capacité de l’organisme à synthétiser des protéines, le plus puissant est sans aucun doute l’apport alimentaire en protéines. Les acides aminés apportés par l’alimentation sont en effet de puissants stimulateurs de la synthèse protéique. Cet apport doit être défini aussi bien par sa quantité que par sa qualité, c'est-à-dire par sa composition en acides aminés. Sa répartition journalière joue également un rôle important.

Au cours du vieillissement, divers événements vont progressivement altérer la synthèse protéique musculaire post-prandiale :
- La réduction des apports alimentaires en protéines liée à une diminution de l’appétit, de l’appétence pour les aliments riches en protéines et/ou des capacités fonctionnelles à les ingérer (troubles de la mastication).
- L’augmentation de l’extraction splanchnique des acides aminés ingérés. Les acides aminés issus de l’alimentation rejoignent la circulation générale en passant par la veine porte puis le foie. Une grande partie d’entre eux sont utilisés par les tissus traversés lors de ce trajet et n’atteignent pas la périphérie. On parle d’extraction splanchnique. Les taux d’extraction splanchnique des acides aminés totaux est de l’ordre de 50%, mais il est extrêmement variable d’un acide aminé à l’autre, allant de 90% pour le glutamate à seulement 20% pour la leucine.
- L’apparition d’une résistance à l’action de l’insuline et à l’effet stimulant de la leucine sur la synthèse protéique musculaire.
- La réduction du flux sanguin capillaire au niveau des muscles.
- La réduction de l’activité physique et de son effet positif sur la conservation de la masse musculaire.
- L’impact des phénomènes inflammatoires liés à l’âge et la répétition d’épisodes cataboliques.

Améliorer la disponibilité post-prandiale des acides aminés
Les mécanismes précédemment évoqués impliquent que des stratégies visant à améliorer la disponibilité post-prandiale des acides aminés doivent être envisagées pour lutter contre la sarcopénie.

Ces stratégies passent par :
- Une augmentation des apports protéiques chez les sujets qui les ont spontanément réduits. Il est cependant illusoire d’imaginer que l’on puisse accroître la masse musculaire du sujet âgé par l’administration massive de protéines : les acides aminés conduisent à leur propre oxydation afin de limiter leur accumulation dans la circulation sanguine.
- Une supplémentation des repas avec des acides aminés particulièrement impliqués dans la synthèse protéique musculaire tels que la leucine. Certaines données indiquent en effet qu’un régime enrichi en leucine permettrait de restaurer la stimulation de la synthèse protéique musculaire chez l’homme âgé. La leucine joue un rôle majeur dans le contrôle de la synthèse protéique et elle est sujette à la séquestration splanchnique.
- Une modification de la chronologie d’administration journalière des protéines alimentaires. Une étude a montré que l’ingestion de 80% des apports protéiques quotidiens au cours du repas de midi conduit à une amélioration de la synthèse protéique, par comparaison avec un apport réparti sur l’ensemble des repas.
- Un enrichissement de l’alimentation en protéines rapidement digestibles ou « protéines rapides ». Ces protéines améliorent la disponibilité post-prandiale des acides aminés et stimule la synthèse protéique postprandiale, en particulier lorsqu’elles sont associées à des substrats énergétiques.

Ces mesures nutritionnelles doivent être associées à une reprise de l’activité physique et/ou à des traitements hormonaux. L’exercice physique est particulièrement important car la contraction musculaire induit la synthèse protéique musculaire et peut ainsi permettre de conserver une masse musculaire suffisante.

JAND : l’une des plus importantes réunions francophones de nutrition

Fondée en 1960 par les Professeurs Henri Bour et Maurice Dérot, alors Chefs de Service à l'Hôtel-Dieu et organisée en collaboration avec l'Institut Benjamin Delessert, la Journée Annuelle de Nutrition et de Diététique est l’une des plus importantes réunions francophones de Nutrition. Elle rassemble chaque année plus de 1000 participants : diététiciens et médecins (pour plus de la moitié) mais également des cadres de l’industrie alimentaire, des étudiants et des journalistes, parce que la Nutrition est devenue une préoccupation légitime et un centre d'intérêt majeur, bien au-delà du cercle des spécialistes.

Publié le 12/02/2008 à 12:53 | Lu 31025 fois