Nutrition, vieillissement et cerveau : prévention du déclin cognitif

Lors de la 48ème Journée annuelle de nutrition et de diététiques (JAND) qui s'est tenue le 25 janvier dernier au Cnit de Paris-la-Défense, les scientifiques ont passé en revue les facteurs nutritionnels qui retardent la sénescence et facilitent un vieillissement réussi tout en permettant de rester le plus longtemps possible actif et pertinent. Dans ce contexte, le professeur Bruno Vellas (Inserm Toulouse) passe en revue des facteurs nutritionnels qui pourraient retarder le déclin cognitif du vieillissement et l’apparition de la maladie d’Alzheimer. Acides gras, notamment n-3 au rôle encore discuté, vitamines B et folates, antioxydants (vitamines C et E), régime « méditerranéen », caféine… sont envisagés et discutés. Beaucoup d’études, difficiles, restent à faire.


Par le professeur Bruno Vellas du CHU Lagrave-Casselardit / Unité Inserm U558, Toulouse

Vieillissement de la population oblige, le nombre de personnes souffrant de pathologies liées à l’âge ne cesse d’augmenter dans les pays développés. L’élévation de la fréquence des déclins cognitifs et des démences telle que la maladie d’Alzheimer est particulièrement frappante. En conséquence, le développement de stratégies permettant de retarder, voire d’éviter la survenue de ces pathologies devient de plus en plus indispensable.

De nombreuses études ont permis d’identifier différents facteurs susceptibles d’influencer le déclin cognitif. Parmi eux, la nutrition pourrait jouer un rôle majeur. Il existe en effet de plus en plus d’arguments en faveur du rôle de nutriments comme les vitamines, les oligo-éléments et les lipides sur le risque de déclin cognitif et de démence.

Le rôle des acides gras

Des apports élevés en graisses saturées et en graisses transinsaturées (hydrogénées) sont généralement associés à une augmentation du risque de maladie d’Alzheimer. Des apports importants en acides gras poly et monoinsaturés auraient au contraire un effet protecteur contre le déclin cognitif. Les études concernant les relations entre les apports en acides gras essentiels et le déclin cognitif ou la démence sont cependant contradictoires.

Certaines indiquent l’existence d’une interaction complexe entre les apports alimentaires et les caractéristiques génétiques individuelles. Ainsi, un allèle particulier du gène de l’apolipoprotéine E (ApoE) module l’effet des apports en lipides sur le risque de démence et de maladie d’Alzheimer.

D’autres facteurs, de nature environnementale, semblent également jouer un rôle dans la réponse aux lipides : il a par exemple été suggéré que la consommation de cuivre pouvait aggraver l’effet délétère d’une alimentation riche en graisses saturées et trans-insaturées.

De nombreuses équipes de recherche ont évalué l’effet d’une alimentation riche en acides gras polyinsaturés n-3 sur l’évolution des fonctions cognitives. Huit études longitudinales ont conclu qu’une consommation au moins hebdomadaire serait associée à une diminution du risque de démence ou de déclin cognitif.

Un seul essai clinique visant à évaluer l’effet d’une supplémentation en acides gras n-3 sur les fonctions cognitives de patients atteints par la maladie d’Alzheimer a été publié jusqu’ici. Il n’a relevé aucun effet positif significatif. Un léger bénéfice a toutefois été noté chez les participants qui présentaient une forme très légère de la maladie au moment de l’inclusion. Trois autres essais cliniques randomisés sont en cours.

Le rôle des vitamines B et de l’homocystéine

De plus en plus d’études s’intéressent au rôle potentiel des vitamines du groupe B (en particulier les folates et les vitamines B12 et B6) dans la prévention du déclin cognitif et de la démence. Un déficit en vitamines B est en effet associé à une augmentation du niveau plasmatique d’homocystéine qui pourrait avoir des effets neurotoxiques et contribuer ainsi au déclin cognitif lié à l’âge.

La majorité des études conduites suggèrent un rôle protecteur des vitamines B. Une étude a cependant rapporté une augmentation de la vitesse du déclin cognitif chez des sujets qui avaient des apports totaux en folates supérieurs aux recommandations (400 microgrammes/jour). Cet effet pourrait s’expliquer par un manque de contrôle statistique des apports en d’autres nutriments influençant les fonctions cognitives.

D’autres études, des essais cliniques randomisés, ne sont pas parvenues à mettre en évidence le moindre effet d’une supplémentation en vitamines B sur le déclin cognitif. La faible taille des cohortes étudiées et la courte durée des interventions testées pourraient expliquer ces résultats négatifs.

Le rôle des antioxydants

Compte tenu du rôle du stress oxydatif dans les processus qui conduisent au déclin cognitif et à la démence liée à l’âge, il a été suggéré que les micronutriments au pouvoir antioxydant (la vitamine E, la vitamine C, les caroténoïdes et les cofacteurs enzymatiques de la superoxyde dismutase et de la glutathion synthétase) pourraient avoir une activité neuroprotectrice.

Les études longitudinales visant à tester cette hypothèse sont encore peu nombreuses et leurs résultats restent controversés. Ils sont néanmoins plutôt favorables à l’existence d’un rôle protecteur de la vitamine E.

Il apparaît en effet que les suppléments en vitamine E consistant en un apport en tocophérol alpha et gamma seraient associés de manière significative à une réduction du risque de déclin cognitif sur six ans ainsi qu’à une réduction de risque de maladie d’Alzheimer. L’effet serait encore plus important lorsque les deux formes de tocophérol sont associées.

Les travaux menés jusqu’ici indiquent en outre qu’il est indispensable de proposer une combinaison équilibrée de plusieurs nutriments antioxydants pour espérer obtenir un effet significatif en termes de prévention.

Deux autres pistes : le régime méditerranéen et la caféine

Le régime méditerranéen comprend de nombreux composants connus pour leurs effets bénéfiques sur le déclin cognitif et la démence. Une étude a d’ailleurs mis en évidence une diminution du risque de maladie d’Alzheimer chez les sujets qui ont une alimentation proche de ce régime, riches en fruits, en légumes, en céréales et graisses insaturées (huile d’olive), mais pauvre en graisses saturées. Ce travail souligne la nécessité de considérer les interactions entre les micro et les macronutriments dans les futures études relatives à l’effet de l’alimentation sur le risque de déclin cognitif.

Enfin, une récente étude a révélé qu’une consommation importante de caféine (à raison de plus de trois tasses de café par jour) a un effet bénéfique sur l’évolution de la fonction cognitive. Cet effet semble toutefois ne concerner que les femmes.

Pour mieux adapter le conseil nutritionnel

L’ensemble de ces éléments, caractérisés par l’existence de nombreux résultats contradictoires, souligne la nécessité de mener d’autres études prospectives sur l’effet des facteurs alimentaires sur l’évolution des fonctions cognitives chez le sujet âgé. Ces études devront être conduites sur des périodes de temps suffisantes. Elles devront en outre porter sur des cohortes des sujets mieux suivis sur le plan alimentaire et enrôlés à un stade précoce du déclin cognitif. L’impact des déterminants sociaux classiques de l’alimentation, tels que la culture régionale, la position sociale ou le niveau d’éducation devra être pris en compte.

Tout laisse en effet à penser que le conseil nutritionnel visant à retarder le déclin cognitif gagnera à être adapté au style alimentaire et à l’étape du cycle de vieillissement du patient concerné.

JAND : l'une des plus importantes réunions francophones de nutrition

Fondée en 1960 par les Professeurs Henri Bour et Maurice Dérot, alors Chefs de Service à l'Hôtel-Dieu et organisée en collaboration avec l'Institut Benjamin Delessert, la Journée Annuelle de Nutrition et de Diététique est l'une des plus importantes réunions francophones de Nutrition. Elle rassemble chaque année plus de 1000 participants : diététiciens et médecins (pour plus de la moitié) mais également des cadres de l'industrie alimentaire, des étudiants et des journalistes, parce que la Nutrition est devenue une préoccupation légitime et un centre d'intérêt majeur, bien au-delà du cercle des spécialistes.

Publié le 14/02/2008 à 09:46 | Lu 15810 fois