Non à la fracture numérique excluant les aînés, par Jacqueline Gaussens

En cette période de déclaration d’impôts, toutes ces personnes âgées -par ailleurs impeccables sur le plan cognitif– et qui gèrent personnellement leur vie administrative quotidienne, sont totalement déstabilisées par l’absence d’envoi des attestations des versements de retraite par leurs caisses, alors qu’elles tiennent à contrôler attentivement leur feuille de déclarations de revenus « pré-remplie ». « D’ailleurs pré-remplie ! », bof, par qui, dites-moi ! Tribune libre de Jacqueline Gaussens.


Ce besoin de vérification, détail pour certains, prouve pourtant leur volonté et leur capacité à continuer à vouloir se prendre en charge ! Qualités et compétences, que toutes les actions de prévention des services d’action sociale cherchent par ailleurs à maintenir à grand renfort des stages, conférences, et autres…
 
La réponse qui consiste à leur conseiller d’aller sur le site des institutions pour imprimer le document est une absurdité, compte-tenu du sous-équipement en matériel informatique personnel encore fréquent et de la complexité de « l’ouverture d’un compte » pour cette génération qui n’est pas née une souris greffée à la main droite. On les appelle d’ailleurs la génération « mulot*».
 
Le message ainsi envoyé aux personnes d’une autre génération est redoutable et totalement contre-productif, alors que par ailleurs, on s’inquiète de leur bien-être et de leur bon vieillissement ! Bonjour l’injonction paradoxale !
 
En effet, cela signifie pour elles, « vous êtes hors-course, incapables et nulles » et c’est aussi -et, c’est le pire- être dépendants de leurs enfants pour un acte administratif simple qui exprime la liberté, l’autonomie et la citoyenneté.
 
L’angoisse et la contrariété sont donc palpables dans cet environnement perçu comme hostile. Tout le monde le sait, le dit, l’écrit… La fracture numérique n’est pas que matérielle, elle est culturelle ! Une pédagogie vivante chaleureuse s’impose. Comment des organismes en lien avec leurs adhérents âgés peuvent-ils faire l’impasse sur cette réalité ? C’est une question de coût ? Oui peut-être, mais « c’est le sens de l’histoire… », « il faut qu’elles s’habituent … », « tout va passer par Internet maintenant… ». Pourquoi ne pas continuer à envoyer cette malheureuse petite feuille pour les plus anciens ; sans en faire un facteur de discrimination supplémentaire ? A moins qu’il s’agisse d’une nouvelle activité intergénérationnelle, pour rapprocher jeunes et vieux, autour de la déclaration d’impôts ?
 
L’estime de soi est pourtant le cœur, le principe et la base éthique de la prévention car : fragilisez leur estime de soi et vous ferez de ces personnes des vieux vulnérables ! Mais patience, cette fracture numérique est transitoire et va disparaitre… Avec la disparition même de cette génération !
 
En 2026, les septuagénaires actuels auront 80 ans, en 2031, Daniel Cohn-Bendit et la génération de mai 68 auront 85 ans. Ils sauront, eux, utiliser un ordinateur et se faire entendre, quitte à refaire des barricades, cette fois de fauteuils roulants et de cannes anglaises dans leurs EHPAD respectifs ou à domicile, avec ou sans lacrymo !
 
Ce texte se veut malgré tout, souriant et constructif ! Mais il est temps de réfléchir à « ceux dont leur monde est mort avant eux » dixit M. Dorange, psychologue à feu la FNG. Ces observations et ces remarques ne sont pas issues de considérations gérontologiques et théoriques venant de professionnels, mais de l’observation et de la présence concrète et quotidienne auprès de plusieurs  personnes âgées proches, disons de 80 à 94 ans.
 
Par Jacqueline Gaussens, ex-collaboratrice  de la FNG
 
 *le lapsus est assez fréquent, beaucoup considèrent comme identiques mulots et souris !

Publié le 11/05/2016 à 01:00 | Lu 1677 fois