Mr Nobody : toutes les vies méritent d’être vécues (film)

Mr Nobody, le dernier long métrage de Jaco Van Dormael (Le huitième jour, Toto le héros) avec Jared Leto et Diane Kruger sortira demain dans les salles. Un enfant sur le quai d’une gare. Le train va partir. Doit-il monter avec sa mère ou rester avec son père ? Une multitude de vies possibles découlent de ce choix. Tant qu’il n’a pas choisi, tout reste possible. Toutes les vies méritent d’être vécues.


Dans la vie, c’est jojo ou c’est pas jojo. Si c’est jojo, faites-le. Si c’est pas jojo, ne le faites pas

Février 2092, Nemo Nobody (Jared Leto) a 120 ans. Il est le doyen et le dernier mortel d'un monde heureux peuplés d'immortels.

Il revoit en flash back toutes ses années passées auprès de sa femme Anna... A moins que ce ne soit Elise ...Ou Jeanne.

Son destin s'est joué sur le quai d'une gare, lorsqu'il avait 8 ans, confronté à un choix impossible : partir vivre en Amérique avec sa mère ou rester en Angleterre avec son père.

Aventures réelles ou fantasmées, l'effet papillon d'une goutte d'eau ou d'une coquille d'oeuf a modifié le cours de son existence.

Entretien avec Jaco Van Dormael, réalisateur et scénariste de Mr Nobody

Pourquoi avoir attendu autant de temps avant de revenir sur un plateau ?

J’ai vécu. Et j’ai écrit. Bien sûr, je ne pensais pas que ce film me prendrait autant de temps. Mais plus j’écrivais, plus j’avais à écrire.

Tant que je n’aimais pas, je continuais à expérimenter des pistes. Peut-être suis-je monomaniaque compulsif ? Au final, le scénario m’a pris sept ans, tous les jours, de 10h à 15h30, heure à laquelle finissait l’école de mes enfants. L’avantage, c’est que l’écriture est totalement compatible avec la vie de famille. Je n’avais aucune pression. Au cinéma, un film qui a cinq ans est un vieux film. C’est confortable d’être un « has-been ».

Quel est le point de départ de Mr. Nobody ?

Mr. Nobody est un film sur la complexité. Le challenge était de parler de la complexité à travers un médium qui tend à simplifier. C’est aussi un film sur la vie. Alors qu’au cinéma, chaque scène est indispensable et tout converge vers la fin ; ma vie, elle, est pleine de trous, de hasards, de scènes inutiles, et va inévitablement vers la mort. C’est ce qui fait sa beauté.
C’est un film sur le doute. Mais je peux me tromper…

Mais c’est avant tout un film sur le choix. Dans nos choix, quelle est la part de hasard ? Pourquoi fait-on un choix plutôt qu’un autre ? Qu’est-ce qui fait que notre vie est ce qu’elle est ? Quelle est la part de choix, et quelle est la part d’interaction d’une multitude de petites causes dont nous n’avons pas connaissance ? Est-ce qu’un inconnu à l’autre bout de la planète a changé sans le savoir le cours de votre vie en se faisant cuire un oeuf ? Quand je suis fou amoureux et que je me dis : « Je ne pourrais pas vivre sans elle », que se serait-il passé si je ne l’avais pas rencontrée ?

J’ai pris comme point de départ un court métrage de douze minutes que j’avais réalisé en 1982 : E pericoloso sporgersi. Un gamin court derrière un train avec deux choix possibles : partir avec sa mère ou avec son père. A partir de là, on suit les deux avenirs possibles. J’ai entamé une première version basée sur le fait qu’une femme prenne ou ne prenne pas un train. Et puis Pile et Face de Peter Howitt est sorti, suivi de Cours Lola cours de Tom Tykwer. J’ai dû chercher autre chose. Et c’est là que je me suis rendu compte que je ne cherchais pas à raconter quelque chose de binaire mais que j’étais avant tout intéressé par la multiplicité et la complexité des choix. Quand on doit faire un choix, il n’y a jamais seulement deux options possibles mais une infinité qui découlent des deux premières. C’est une arborescence. Avec ce scénario, j’avais envie de faire sentir ce gouffre né de l’infinité des possibilités.

Au-delà de ce sujet, je voulais aussi trouver une manière différente de raconter. Je voulais faire se croiser les regards d’un enfant sur son futur et du vieillard qu’il est devenu sur son passé. Je voulais parler de la complexité, à travers le cinéma qui est, lui, simplificateur. Alors que la réalité qui nous entoure est de plus en plus complexe, l’information est de plus en plus succincte, les discours politiques sont de plus en plus simples. C’est la complexité qui m’intéresse, pas les réponses simples, qui sont rassurantes mais forcément fausses.

Quand vous commencez à écrire, connaissez-vous déjà la fin de votre intrigue ?

Pas du tout. Si j’étais un scénariste efficace, je ne mettrais pas sept ans à écrire un film. Chez moi, l’écriture a quelque chose d’organique, comme une plante qui pousse. Je vais un peu dans toutes les directions. Un peu comme Le palais du facteur Cheval. Comme Nemo, j’ai beaucoup de difficultés à faire des choix. J’écris donc énormément de possibilités. Ensuite, j’élague. Mais moins je sais où je vais arriver, plus c’est mystérieux, plus ça m’échappe et plus ça m’intéresse.

Quand avez-vous compris que vous étiez arrivé au bout de l’écriture de Mr. Nobody ?

Comme disent les écrivains, un roman est fini quand on en a marre d’écrire ! Il y a un moment où j’ai pensé ne pas pouvoir faire mieux. A partir de là, il était temps de réécrire avec une caméra et des acteurs, différemment, visuellement. En fait, dès que je commence à me demander où je vais mettre ma caméra, je sais que le temps de l’écriture est arrivé à son terme !

Comment avez-vous vécu vos retrouvailles avec un plateau, après tant d’années d’absence ?

Je n’ai jamais eu autant de plaisir sur un plateau, essentiellement grâce à tous ceux qui m’ont entouré. Les choses coulaient naturellement. Je n’ai jamais été fatigué. Je pense aussi que, même sans tourner, j’ai évolué. Je pensais différemment, donc je filmais autrement.

Y a-t-il eu des scènes que vous redoutiez de tourner ?

J’étais un peu anxieux sur les scènes d’amour avec les adolescents. Je voulais montrer que l’attirance charnelle à l’adolescence est aussi forte qu’à l’âge adulte. Il fallait arriver à une pudeur et à une puissance en même temps, il fallait qu’il n’y ait aucune réserve dans le regard des personnages, sentimentalement, et qu’il n’y ait donc aucun malaise, ni entre les acteurs, ni par la présence de l’équipe. Et, rapidement, au bout de cinq minutes, j’étais rassuré parce que c’était de la chorégraphie. Sur les scènes intimes par les mots ou par un regard, ma caméra restait sur les visages. Alors que sur les scènes sensuelles, on faisait des choses assez chorégraphiques. Ils devaient par exemple s’embrasser debout contre le mur, rouler puis se retrouver couchés dans le lit. Pour tourner cette scène, le lit était debout contre le mur et les deux comédiens devaient faire semblant d’être couchés pendant que la caméra basculait. Du coup, la pudeur s’envolait au profit de l’exercice chorégraphique.

Une des gageures du film est la reconstitution du futur.

Cela tient essentiellement à trois personnes : Sylvie Olivé, que je viens d’évoquer, François Schuiten qui a supervisé le futur de manière générale, et Louis Morin qui s’est occupé des effets spéciaux. Je me suis reposé sur ces trois-là, dont le but était de montrer un futur comme on ne l’a pas encore fait au cinéma. Autant dire que c’est un but difficile à atteindre.

Plus on faisait des recherches, plus on voyait que tout avait été fait. L’idée du voyage touristique sur Mars nous est venue vers la fin. Ça permettait un décalage. Quant au conteneur qui recueille les corps endormis dans le vaisseau, il a nécessité des recherches, notamment sur la manière dont les animaux en hibernation dorment sans se créer d’escarres. Sylvie Olivé s’est inspirée des barquettes de viande sous cellophane. Elle a ensuite fait de nombreuses recherches et a fini par trouver chez un fabriquant de latex sado maso à Paris un latex de la bonne couleur, avant de faire des essais avec un aspirateur inversé pour arriver à pendre quelqu’un sous vide. Cela prend des mois pour que ça ait l’air normal et original. Le son contribue également beaucoup à créer cet univers du futur. Le son s’adresse à l’inconscient, il change l’image et laisse imaginer tout ce qu’on ne voit pas.

Parvenu au terme de cette aventure, qui est Mr. Nobody pour vous ?

« Un, cent, mille et personne ». Comme spectateur, j’aime le cinéma parce qu’il permet de vivre par procuration une expérience que notre existence ne pourra sans doute jamais nous offrir. Le cinéma permet de multiplier les hypothèses de vie. Vivre pour quelques heures la vie d’un habitant de l’Ouzbékistan, ou être trappeur en Alaska. L’expérience que propose Mr. Nobody est de ne pas choisir et de tout expérimenter, pour s’apercevoir à la fin que toutes les hypothèses sont intéressantes.

J’aimerais que les spectateurs ressentent cela : « Il n’y a pas de bon choix ou de mauvais choix mais seulement la manière de les vivre ». A ce titre, la question de la liberté est un des thèmes essentiels de mon film. Qu’est-ce qui fait que je me sens libre ? Est-ce quand je peux répondre positivement à une pulsion, à un désir ? Mais d’où vient cette pulsion ? De mon passé ? De mon éducation ? De mes parents ? De ce que mes grands-parents ont vécu ? Quelle est la liberté d’un choix ? Qu’est ce que le « libre arbitre », deux mots à mes yeux contradictoires ? Avec Mr. Nobody, j’ai donc souhaité, en quelque sorte, faire un conte philosophique sans morale.

Le vieux Nemo, après avoir vu s’écrouler toutes ses certitudes, après avoir appris à vivre sereinement dans le doute, aurait pu dire en conclusion : « Dans la vie, c’est jojo ou c’est pas jojo. Si c’est jojo, faites-le. Si c’est pas jojo, ne le faites pas ».

Mr Nobody
Un film de Jaco Van Dormael
Avec Jared Leto, Diane Kruger, Sarah Polley, Linh-Dan Pham, Nathasha Little, Rys Ifans, Toby Regbo, Juno Temple

Sortie nationale le 13 janvier 2010

Publié le 12/01/2010 à 10:33 | Lu 8113 fois