Microbiote et dermatite atopique par le Dr Audrey Nosbaum (Lyon)

Notre microbiote est l’ensemble des micro-organismes - saprophytes et pathogènes - qui colonisent notre corps. Les récents progrès des techniques d’analyse métagénomique ont élargi notre connaissance du microbiote, et transformé en profondeur notre vision des relations qu’il entretient avec le système immunitaire.


La flore saprophyte apparaît comme essentielle au développement harmonieux du système immunitaire, et la diversité du microbiote est corrélée avec le bon niveau de santé des individus. Avec ces découvertes s'ouvrent de nouvelles voies conceptuelles et thérapeutiques dans la dermatite atopique.
 
Microbiote et Microbiome : quelle différence ?
Bien que ces définitions ne soient pas consensuelles parmi les auteurs français, on peut définir ainsi les termes microbiote et microbiome : le microbiote désigne l'ensemble des espèces microbiennes dans un environnement, anciennement appelé "flore" ; le microbiome fait référence au génome d'un microbiote ; c'est l'ensemble des gènes présents dans celui-ci, dans un environnement donné tel que la peau.
 
Données générales sur la dermatite atopique
La dermatite atopique est une forme d'eczéma qui est due à des causes internes appelées autrefois constitutionnelles, à l'inverse des eczémas de contact qui sont dus à des facteurs externes en contact avec la peau.
 
La dermatite atopique se caractérise par une altération de la barrière cutanée (sécheresse) et une inflammation de la peau qui évoluent par poussées et rémissions, atteignant essentiellement les plis et le visage.
 
On parle de dermatose inflammatoire chronique.
La dermatite atopique est ainsi une maladie inflammatoire cutanée fréquente, touchant 10% des enfants et 4% des adultes, représentant presque 4 millions de personnes en France, parmi lesquelles 100.000 souffrent d'une forme sévère.
 
Cette pathologie définie par l'association de lésions d'eczéma et de démangeaisons a un fort retentissement sur la qualité de vie des patients qui en sont affectés, avec des répercussions dans tous les domaines socio-affectifs (vie scolaire, vie professionnelle, vie personnelle, sommeil…).
 
La majorité des patients sont atteints au début de leur vie, avant l'âge de 5 ans, mais les études épidémiologiques récentes ont montré que cette maladie pouvait se développer à tous les âges de la vie.
 
Ces dernières années, des avancées majeures ont été faites sur la compréhension des mécanismes de la dermatite atopique. Cette pathologie est due en premier lieu à une altération de la barrière cutanée d'origine génétique mais également environnementale (mode de vie, pollution).

Cette altération de la barrière cutanée rend la peau trop poreuse et induit la pénétration anormale d'agresseurs environnementaux dans la peau :
- allergènes, bactéries, chimiques, polluants… Cette pénétration accrue de molécules externes à la peau provoque une inflammation dans l'épiderme qui va aboutir au déclenchement d'une inflammation particulière appelée inflammation de type 2 qui va déclencher eczéma et démangeaisons. Cette inflammation de type 2 est caractérisée par la production de molécules inflammatoires particulières que sont l'Interleukine 4, 5, 13 et 31.
 
Dans le même temps cette inflammation aggrave la qualité de la barrière cutanée et créé un cercle vicieux inflammatoire. Ainsi, la physiopathologie de la dermatite atopique se résume par une anomalie de la barrière cutanée et une inflammatoire de type 2 dans la peau.
 
Cette inflammation de type 2 fait l'objet de toutes les stratégies de ciblage thérapeutique développées actuellement. A ce titre, la première biothérapie appelée Dupilumab a reçu une AMM depuis 1 an et est utilisée pour les dermatite atopique modérées à sévères, résistantes, intolérantes ou en inefficacité de la Ciclosporine.
 
Néanmoins, la base du traitement à ce jour repose sur l'usage quotidien d'émollients pour reconstituer la barrière cutanée et d'anti-inflammatoires locaux (dermocorticoïdes ou Tacrolimus).
 
Dès la naissance, chaque individu a une multitude de micro-organismes commensaux qui colonisent la surface cutanée. Ceux-ci créeront à terme la flore cutanée qu'on appelle microbiote. Le microbiote cutané est composé de milliers d'espèces bactériennes. On peut le considérer comme un organe à part entière comparable à un second foie.
 
Cette symbiose est un processus co-évolutif d'interactions bénéfiques entre le microbiote et la barrière cutanée. C'est comme une association intime et très durable entre deux organismes différents appartenant à des espèces différentes.
 
La peau du nourrisson est colonisée dès le plus jeune âge principalement par des Staphylocoques et des Streptocoques, des bactéries Propionibacterium et Corynebacterium, des Proteobacteria et des Bactéroides.
 
Cette répartition contraste avec le microbiote de l'adulte où les Proteobacteria dominent. Les différences anatomiques et l'augmentation de la diversité du microbiote avec l'âge indiquent que le microbiome cutané chez le nourrisson est instable. Cette instabilité peut être propice à un développement anormal de la fonction immunitaire de la peau dans le cas où l'installation du microbiote commensal est interrompue.
 
La composition et la stabilité du microbiote à l'âge adulte peuvent aussi être affectés. L'établissement d'un microbiote cutané sain joue un rôle central dans la prévention de la colonisation de la peau par des microbes potentiellement infectieux.
 
Dermatite atopique et staphylocoques :
Depuis 2012 il est reconnu que le microbiote cutané sur la peau des patients porteurs de dermatite atopique est déséquilibré par rapport à des patients sains. On parle alors de dysbiose. Ainsi on retrouve une abondance relative très augmentée de Staphylocoques jusqu'à plus de 100 fois plus que sur une peau normale au cours de la dermatite atopique.
 
Il a été démontré que la présence de ces Staphylocoques est corrélée avec le développement et la sévérité de la dermatite atopique. Ainsi, sur une peau normale de dermatite atopique, il y a plus de staphylocoques, avec une densité qui est multipliée par 10 en cas de poussée, et qui revient à la normale de la peau de dermatite atopique après traitement.
 
La présence de ces Staphylocoques fait poser les questions suivantes : est-elle une cause ou une conséquence des poussées inflammatoires, et tous les Staphylocoques sont-ils égaux dans ce contexte ? Dès lors, l'étude de la diversité des souches de Staphylocoques a été réalisée dans la population de dermatite atopique pédiatrique. Pour cela, des enfants porteurs de dermatite atopique et des enfants contrôles (sains) ont été suivis pendant 3 ans et ont eu des prélèvements bactériens dans les plis atteints, avec une analyse métagénomique non ciblée des bactéries ainsi prélevées.
 
De multiples types de Staphylocoques sont retrouvés : S. aureus, S. epidermidis, S. capitis, etc… Néanmoins il existe une corrélation nette entre l'abondance relative de S. aureus et la sévérité de la dermatite atopique, objectivée par le score de sévérité de la maladie (SCORAD). En revanche, la présence de S. epidermidis n'est pas corrélée à la sévérité.
 
Ainsi, les souches de Staphylocoques au cours des poussées de dermatite atopique ont une spécificité, et il a été montré que plus la dermatite atopique est légère, plus S. epidermidis est abondant, tandis que plus la dermatite atopique est sévère, plus S. aureus est présent et clonal. Ainsi, les Staphylocoques font partie de la flore cutanée, mais ne sont pas égaux à la surface de la peau des dermatites atopiques en termes de pathogénicité.
 
Les études sont allées plus loin, puisque les souches isolées à partir des enfants dermatite atopique ont été appliquées dans des modèle de souris expérimentales. Il a été réalisé une colonisation topique de souris avec les souches isolées des patients et des contrôles.
 
De façon intéressante, plus le S. aureus provient d'un enfant avec une dermatite atopique sévère, plus l'eczéma induit chez la souris est important. Cela indique donc que même au sein d'une même souche de Staphylocoques, tous les S. aureus ne se valent pas en termes de pathogénicité. Cette différence est désormais expliquée par la présence de facteurs de virulence propres à différentes souches de S. aureus.
 
On a pu identifier différents facteurs de virulence qui permettent à ces S. aureus les plus virulents soit de pénétrer de façon plus importante dans la peau, soit d'activer de façon plus importante le système immunitaire, soit d'avoir la capacité de détruire la barrière cutanée de manière plus conséquente. Ainsi, les S. aureus peuvent manipuler la barrière cutanée pour induire l'inflammation de la dermatite atopique.
 
Ainsi, il semble que la présence accrue de S. aureus sur la peau atopique soit promotrice des poussées de dermatite atopique plutôt qu’une conséquence. Ainsi dans la dermatite atopique tous les staphylocoques ne sont pas égaux. L'objectif thérapeutique n'est donc plus de détruire tous les S. aureus, mais de cibler les plus virulents ou au contraire de favoriser l'émergence de souches protectrices comme S. epidermidis.
 
Les stratégies actuelles visent à développer soit des molécules qui vont cibler les facteurs de virulence soit de développer - à l'inverse de l'antibiothérapie à large spectre - une bactériothérapie en isolant les souches protectrices sur la peau d'un patient donné, pour les réappliquer par voie topique afin de rééquilibrer cette dysbiose de façon personnalisée.
 
Faut-il désinfecter la peau atopique ?
La colonisation par les S. aureus au moment des poussées de la maladie est bien établie. Certaines mesures comme le recours aux antibiotiques ou les bains à l'eau de Javel diluée ont parfois été préconisées dans le passé.
 
Il s'avère que l'usage de ces traitements n'est actuellement plus recommandé. En effet, ils risquent de déséquilibrer d'autant plus le microbiote en décapitant les Staphylocoques protecteurs autant que ceux pathogènes. L'antibiothérapie et la désinfection cutanée ne sont donc recommandés qu'en cas de surinfection cutanée. C'est le cas de l'impétigo dont le diagnostic est clinique. Il ne faut pas désinfecter les peaux atopiques à moins d'une surinfection patente, tout en poursuivant le traitement de la dermatite atopique sous-jacente.
 
La priorité est surtout de traiter la poussée de la dermatite atopique par anti-inflammatoires locaux qui pourront être alors associés une antibiothérapie. En l'absence de surinfection, la dermatite atopique devra être traitée par émollients quotidiens et anti-inflammatoires locaux qui ont montré leur efficacité dans la rééquilibration de la dysbiose dans la dermatite atopique.
 
Source : 14ème Congrès Francophone d'Allergologie

Publié le 30/04/2019 à 01:00 | Lu 9140 fois