Ménopause : allons-nous vers une réhabilitation du THS ?

La Fédération Nationale des Collèges de Gynécologie Médicale (FNCGM) vient de présenter une toute nouvelle étude française baptisée MISSION. Celle-ci, réalisée sur 6.600 femmes, s’est penchée sur le traitement hormonal substitutif (THS) et ses conséquences, notamment par rapport au cancer du sein. Et selon les premiers résultats de cette enquête, tout porte à croire qu’il n’y a pas de risque plus élevé de cancer du sein chez les femmes suivies par un gynécologue et traitées par un THS « à la française », par rapport aux femmes ne prenant pas de THS.


Hormones et cancer du sein : les résultats de l’étude françaises Misssion, par le docteur Pia de Reilhac, gynécologue à Nantes, coordinatrice de l’étude MISSION et présidente d’Honneur de la FNCGM et par le docteur Marc Espie, sénologue à H

1/ Faut-il avoir peur du traitement hormonal substitutif ?
Début 2006 la réanalyse de l’étude WHI, selon l’âge des patientes, a montré qu’il n’y avait pas d’augmentation du risque d’évènements coronariens lorsque les œstrogènes étaient donnés dès le début de la ménopause, chez les 50-60 ans, sans antécédent cardio-vasculaire.

Depuis, d’autres études sont venues confirmer cette notion de « fenêtre d’intervention » selon laquelle les bénéfices et risques des œstrogènes dépendent de l’âge de la femme et de l’ancienneté de la ménopause lors de l’instauration du THS.

En 2007, lors d’une nouvelle réanalyse de l’étude WHI, il n’a pas été observé chez les femmes sous œstrogènes associés ou non à un progestatif au cours des dix premières années de leur ménopause, de surrisque d’évènements coronariens par rapport aux femmes non traitées.

Aujourd’hui, l’étude française MISSION apporte son éclairage sur les pratiques des gynécologues français en ce qui concerne le cancer du sein. Menée par la Fédération Nationale des Collèges de Gynécologie Médicale (FNCGM), l’étude MISSION réalisée auprès de plus de 6 600 femmes suivies par un gynécologue a pour objectif principal de comparer le risque de cancer du sein chez les femmes françaises ménopausées ayant recours, ou non, à un THS. Elle a débuté en 2004 et fait l’objet régulier d’état des lieux, le premier suivi dont les résultats sont présentés aujourd’hui et ont été publiés en 2007 dans la revue Gynecological Endocrinology.

2/ Etude MISSION
Pourquoi une étude « à la française » ?
Depuis la publication des études anglo-saxonnes, la relation entre risque de cancer du sein chez la femme ménopausée et l’usage d’un traitement hormonal substitutif destiné à soulager les symptômes de la ménopause fait l’objet de nombreuses controverses chez les médecins.

Le débat repose, entre autres, sur les difficultés à extrapoler à la France les résultats issus de ces études et ce, pour deux raisons principales :
- Les caractéristiques de la population étudiée sont très différentes de celles de la France notamment en termes d’âge, de poids (indice de masse corporelle moyen de 28,5 contre 24 en France) et d’antécédents médicaux.
- Les traitements disponibles en France et pris par la grande majorité des femmes sous THS sont différents des traitements évalués dans les études anglo-saxonnes.

Le manque de données propres à la situation française (les données de l’étude E3N n’étaient pas encore publiées) demeurant un sujet sensible à la fois pour les gynécologues prescripteurs et pour les femmes concernées, l’étude MISSION a été mise en place début janvier 2004. .../...
Ménopause : allons-nous vers une réhabilitation du THS ?

Les résultats sur le cancer du sein

La durée de traitement par THS :
Grâce à l’analyse des dossiers des patientes recrutées par les gynécologues, l’étude MISSION porte sur des durées de traitement par THS de 8,3 ans en moyenne et de plus de 10 ans pour 31,2% des patientes. Cette durée de traitement par THS est supérieure à celle rapportée dans les études anglo-saxonnes jusqu’alors.

Le THS et le cancer du sein :
- Parmi les patientes analysables, 2 693 étaient dans le groupe traité, 2 256 dans le groupe non traité.
- L’incidence du cancer du sein après 2 ans de suivi n’était pas statistiquement différente dans les deux groupes : 0,6% pour le groupe traité, 0,7% pour l’autre. Le risque relatif est de 0,9.

Dans cette étude française, on n’observe pas de différence de risque de cancer du sein chez les femmes sous THS par rapport aux femmes non traitées.

- Dans le groupe sous THS, on n’observe pas de différence d'incidence des cancers du sein selon que l’on considère la voie d’administration des oestrogènes (voie orale ou voie cutanée) ou le type de progestatif utilisé (progestérone, assimilé, ou dérivé prégnane ou nor-prégnane)

Les progestatifs prescrits avant la ménopause et le cancer du sein :
- Le premier groupe incluait 1 727 patientes traitées, le second 2 806 patientes non traitées.
- Dans cette étude, aucune différence de risque de cancer du sein n’a été observée entre les femmes qui ont été traitées par un progestatif entre l’âge de 40 ans et la ménopause (1,31%) et les femmes non traitées (1,78%) ; le risque relatif est de 0,7.

A l’issue de l’étude française MISSION, on n’observe pas de risque plus élevé de cancer du sein chez les femmes suivies par un gynécologue et traitées par un THS « à la française » par rapport aux femmes ne prenant pas de THS.

De même, on n’observe pas de risque plus élevé de cancer du sein chez les femmes ayant reçu un traitement hormonal progestatif avant la ménopause par rapport aux femmes qui n’en ont pas pris.

Histoire du THS ces cinq dernières années, de 2002 à nos jours : où en sommes-nous en 2008 ? Par le docteur Christian Jamin, gynécologue-endocrinologue, Paris

Plus de dix millions de femmes françaises sont ménopausées. En 2002, elles étaient deux millions à prendre un Traitement Hormonal Substitutif (THS), soit une femme ménopausée sur cinq. Après les résultats inquiétants de deux vastes études conduites aux Etats-Unis et en Angleterre (WHI et MWS) 32 % des femmes qui prenaient un THS avaient arrêté leur traitement dès juillet 2003. Cette tendance s’est poursuivie dans les années qui ont suivi.

2002 : avis de tempête sur le THS (Traitement Hormonal Substitutif)
Incluant plus de 16 000 patientes, l'étude américaine intitulée Women's Health Initiative (WHI) a montré que le THS étudié augmentait le risque de survenue du cancer du sein et de maladies cardiovasculaires. Le traitement a été alors interrompu prématurément (après cinq ans alors que le suivi devait durer plus de huit ans) ; les risques ayant été considérés trop importants par rapport aux bénéfices attendus, sans que pour autant la mortalité ne soit plus importante dans le groupe traité par THS.

Ces résultats, ont été très largement médiatisés (presse grand public, TV, radio, internet).
De nombreuses femmes se sont trouvées dans le doute et la crainte. De plus, les journaux grand public ayant diffusé ces résultats souvent avant la presse médicale, les médecins disposaient de peu de recul pour guider leurs patientes. Résultat, de nombreuses femmes angoissées ont arrêté leur THS brutalement. Les médecins ont aussi joué la prudence…

2003 : le coup de grâce
L’année suivante, les résultats d’une étude anglaise menée sur un million de femmes ménopausées (de 50 à 64 ans) sont dévoilés. Baptisée Million Women Study (MWS), elle montre que le risque de survenue de cancer du sein et de décès des suites de cette maladie sont plus importants chez les femmes traitées par THS. Ce risque est plus élevé avec des associations d’oestrogènes et de progestatifs qu'avec un traitement oestrogénique seul.

La WHI fournissait, elle, des résultats négatifs sur la maladie d’Alzheimer avec une augmentation du risque de cette affection chez les femmes de plus de 65 ans sous THS.

La seule note positive était apportée par les résultats de l’étude ESTHER, mettant en évidence que, les estrogènes naturels administrés par voie cutanée (gel, patch) comme c’est le plus souvent le cas en France, ne provoquaient pas d’augmentation du risque de thrombo-embolie
veineuse.

2004 : le début des controverses
Le traitement de l’échantillon de femmes sous « estrogènes seuls » de l’étude WHI est arrêté prématurément. Il s’agit de la même étude américaine que précédemment mais, menée chez des femmes ayant été hystérectomisées, pour lesquelles il n’est pas obligatoire d’associer un progestatif à la prise des estrogènes, et dont les évènements ont été comparés à des femmes sous placebo. Cet arrêt prématuré est lié à une augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral sous oestrogènes alors que le risque de cancer du sein est lui, diminué de manière non significative.

2005 : la poursuite des controverses
Après ces données « alarmantes », dès 2005, les premiers des résultats de l’étude française E3N4 laissaient apparaître que le risque de cancer du sein dépendait du type de THS utilisé. En effet, sous oestrogènes en association avec la progestérone naturelle, il n’existe pas d’augmentation de ce risque.

Ainsi se sont succédé, de 2002 à 2005, des données contradictoires concernant le THS…
Mais le plus souvent il s’agissait de données anglo-saxonnes non extrapolables aux populations françaises : d’une part, leurs antécédents médicaux et leurs caractéristiques morphologiques sont différentes (pourcentage de femmes obèses plus important dans les échantillons américains), d’autre part, les THS étudiés sont différents.

Les premières notes positives sont venues des données françaises publiées en 2003 (ESTHER) et 2005 (E3N), qui rassuraient vis-à-vis des THS les plus couramment utilisés en France.

Dès 2006 : des réanalyses réconfortantes
Des nouvelles réconfortantes pour les médecins, comme pour les patientes, sont parvenues des USA dès janvier 2006. Les résultats de la fameuse « Nurses’ Health Study », très vaste étude épidémiologique qui suit depuis des décennies des dizaines de milliers d’infirmières de la ville de Boston, ont montré que le risque d’affections cardio-vasculaires est diminué si les femmes démarrent leur THS dès le début de leur ménopause. Une réanalyse des données de l’étude WHI est arrivée aux mêmes conclusions quelque mois plus tard.

2007 : Vers la réhabilitation du THS
Les réanalyses de l’étude WHI se sont multipliées et vont toutes dans le même sens.
Contrairement à ce qui se passe lors de l’instauration du THS à des femmes âgées et à distance de leur ménopause, lorsque le THS est donné à des femmes de 50 à 60 ans ou lors des dix premières années de la ménopause, il n’y a pas d’augmentation du risque coronarien par rapport au placebo.

Il existe même une diminution des calcifications de l’aorte sous THS par rapport au placebo : la calcification des artères correspond aux premiers signes d’installation de l’athérosclérose dont les conséquences sont notamment l’infarctus du myocarde.

De même, il a été montré une réduction par 2 du risque de démence (dont la maladie d’Alzheimer). Enfin, l’Institut Curie a publié l’été dernier des résultats montrant que le cancer du sein sous THS était de meilleur pronostic.

Où en sommes-nous en 2008 ?
Suite aux différentes réanalyses de la WHI et aux données des études françaises, on peut penser que les gynécologues français qui ont, ces dernières années, prescrit des THS « à la française » aux femmes présentant des bouffées de chaleur ou l’un des nombreux symptômes de la ménopause et sans contre-indication majeure au traitement hormonal, n’ont pas engendré de sur-risque important de cancer du sein.

D’autre part, l’instauration, dès le début de la ménopause, du THS, bénéfique vis-à-vis de l’ostéoporose et sur la qualité de vie des femmes ayant des bouffées de chaleur, pourrait également diminuer le risque d’infarctus du myocarde. Les pathologies cardio-vasculaires chez les femmes après la ménopause sont responsables d’une mortalité importante.

Les patientes au quotidien : savoir leur répondre en 2008, Interview du Dr Brigitte Meot, gynécologue à Nancy

- Comment vos patientes ont-elles vécu la tempête du THS en 2002 ?
Les patientes ont mal vécu la crise de 2002, car « c’est arrivé comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. » Le cancer du sein est ce qui leur fait le plus peur, davantage que les maladies cardiovasculaires. Pourtant, une femme ménopausée a plus de risques de mourir de maladies cardiovasculaires que de cancer du sein.

Beaucoup nous ont appelés, mes confrères et moi pour avoir des explications. Certaines ont arrêté immédiatement sans consulter, et parmi ces femmes beaucoup ont décidé de reprendre leur THS après le retour des troubles dû à l’arrêt, d’autres ont continué.

Je leur ai dit qu’il fallait prendre le temps de décortiquer cette étude américaine, et d’attendre les futures études… car les femmes américaines ne sont pas les mêmes que les femmes françaises, les traitements diffèrent également d’un pays à l’autre, donc les résultats ne sont pas vraiment comparables.

Je leur ai proposé de venir consulter pour en parler, afin de définir ensemble le traitement le plus approprié pour chacune. L’important est de dialoguer, pour connaître leurs troubles et leur motivation d’être ou non traitée.

La ménopause n’est pas une maladie, et ne doit pas toujours être traitée. Je demande à chacune de mes patientes les raisons pour lesquelles elle souhaite prendre ou non un traitement hormonal substitutif. Je leur laisse le choix, et décide avec elles en fonction de leur état de santé et de leurs antécédents.

Pour certaines, plus âgées, entre 60 et 70 ans, je leur propose de plus petites doses. D’autres préfèrent prendre un traitement pendant leur vie active, et l’arrêter à la retraite où les symptômes les gêneront moins. Certaines patientes sont également traitées en prévention de l’ostéoporose.

Quelles sont les plaintes les plus fréquentes des patientes ménopausées ?
Les bouffées de chaleur de jour, la transpiration nocturne, et la sécheresse vaginale, sont les trois symptômes que les femmes associent à la ménopause. Mais il y aussi la fatigue, les douleurs ostéo-articulaires généralisées, un état de dépression, qui sont des troubles postménopausiques, mais que les femmes ne rattachent pas à la ménopause.

Quel est le symptôme qui gêne le plus les femmes ménopausées ?
Avec la ménopause, les femmes sont le plus gênées par la transpiration nocturne, qui engendre des troubles du sommeil. Certaines doivent se lever la nuit pour changer de t-shirt, de chemise de nuit, ou même changer de draps.

Les femmes actives sont également très gênées par les bouffées de chaleur : le sentiment de se sentir rouge au travail, d’être obligée d’ouvrir les fenêtres en hiver, c’est perturbant.

De votre côté, comment avez-vous vécu cette crise ?
J’ai été très étonnée par les résultats de cette étude américaine, car ce n’est pas ce que j’observais en pratique, dans mon cabinet. Je n’ai pas observé de recrudescence de cancer du sein avec le THS. J’attendais de nouvelles études.

Comment faire la part des choses entre « bénéfice et risque » ?
Je prescris un traitement en fonction de l’état actuel de nos connaissances, en termes d’études. Les traitements évoluent en même temps que les connaissances. Quand une femme est gênée par sa ménopause, elle se fait traiter, mais rien n’empêche d’arrêter le traitement après. Une femme est traitée si elle ne présente pas de contre-indication, et si elle signale des symptômes significativement gênants.

Je n’oblige jamais les personnes réfractaires à se faire traiter, je crois que c’est une question de liberté ; d’autant qu’une femme à qui on impose un traitement aura toujours des effets secondaires.

Pourquoi avez-vous accepté de participer à l’étude française MISSION en tant qu’investigateur bénévole ?
Je suis toujours curieuse de l’avancée des études sur les THS. Lorsque cette étude a démarré, il était important d’avoir des données françaises sur le THS et la participation à cette étude en tant que bénévole ne m’a posé aucun problème.

Faites-vous part des résultats de l’étude MISSION à vos patientes ?
Depuis 2002, la loi nous oblige à informer nos patientes. Je fais un point avec elles, en moyenne une fois par an. Je leur parle donc de l’avancée des études dans ce domaine et bien sûr de l’étude MISSION, dont les résultats concernant les pratiques des gynécologues français en matière de THS sont rassurants. Je leur demande de parler de leurs symptômes, si elles souhaitent prendre un traitement ou si elles en sont contentes ou non, si elles souhaitent l’arrêter…

Quelle est l’évolution du ressenti de vos patientes vis-à-vis du THS de 2002 à 2008 ?
Est-ce que les patientes sont prêtes à accepter cette évolution des connaissances ?

Après la crise, les femmes ont été perdues, mais depuis 2 ou 3 ans, la plupart reprennent confiance. Quand les symptômes deviennent très gênants, elles n’hésitent pas à demander de prendre un THS qui sera toujours donné à la carte, et en fonction de leur état de santé. Néanmoins, quelques réfractaires persistent, et nous devons respecter leur choix, d’autres sont hésitantes et attendent de nous un complément d’information qui peut aujourd’hui les rassurer.

Publié le 23/01/2008 à 14:22 | Lu 22246 fois