Maryam ou le passé décomposé de Alawiya Sobh : Levant dans les voiles


Il y a dans le roman d’Alawiya Sobh un récit, une vision et une lecture. Le récit est celui de la narratrice dépositaire des secrets intimes de ses amis qui devaient être le sujet du nouveau livre de la romancière, si celle-ci n’avait pas disparue. A Maryam de recoudre les vies éparses, diverses et dramatiques unies par un même fil : être moins libanaises que femmes au Liban.

Leurs destins sont le mariage forcé, le viol légal, la soumission au clan, la répudiation et autres violences. De l’amour sentimental, on comprend qu’il est difficilement réalisable. « Que viennent faire le clan et la famille avec l’amour, les sentiments, le mariage » s’interroge Ibtissan avant de poursuivre « Ainsi nous sommes, nous les femmes, quand nous aimons, nous ne faisons qu’un avec l’autre, mais que faire quand l’autre n’en veut plus, quand il a besoin de son clan pour être en sécurité ».
Maryam ou le passé décomposé de Alawiya Sobh : Levant dans les voiles

Chacune de ces femmes se réfugie dans le silence, « il fait partie de mon être et de ma solitude » déclare l’une d’elle, « il m’habite et m’ébranle de l’intérieur. Quand je suis seule, il me fait face, me parle et je lui réponds (…) Tout est attente, jusqu’à la fin. Tout est marqué du sceau de l’attente et de la souffrance, c’est le tribut de féminité » en conclut-elle

L’auteure leur restitue la parole.

La vision, c’est celle du Liban d’aujourd’hui façonné en profondeur par la tradition séculaire et le mysticisme religieux, c’est pour ces femmes porter un djinn sous son voile.

C’est la vision d’un levant d’une extraordinaire complexité où un père soutient les phalangistes, tandis que l’épouse appuie les palestiniens devant leur fille engagée à l’extrême gauche.

C’est la vision d’un pays meurtri par une interminable guerre civile, agressé par ses voisins, où on doit s’apprêter à tout moment à quitter son quartier et son village, à émigrer, à souffrir, à détruire, à détester l’autre.

L’imminence de la mort neutralise les perspectives. Au plus fort de la guerre, Maryam avoue : « Notre rapport aux choses n’obéissait plus qu’à des considérations immédiates, sans projection possible dans le temps. La peur de la mort rendait insignifiante toutes les autres ».

La lecture, c’est celle plurivoque du récit, elle se situe à plusieurs niveaux. Il y a le récit, le récit du récit, la narratrice qui s’oblige à raconter les témoignages recueillit par l’auteure, l’auteure qui, par moment, narre sa propre histoire réelle et fictive tout à la fois.

Ce travail magistralement littéraire pose le problème de la responsabilité de l’écrivain envers ses personnages lorsqu’ils sont nourris par la réalité quotidienne.

Maryam ou le passé décomposé de Alawiya Sobh
(traduit de l’arabe (Liban) par R. Damahi Haidou et B.Jalabi Wellnitz)
Editions Gallimard
445 pages
23 euros

Publié le 11/02/2008 à 08:48 | Lu 4002 fois