Les dames, encore femmes : le point de vue des deux réalisatrices de ce film

Le long-métrage (81 minutes) Les dames, encore femmes de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond sortira sur les écrans le 25 novembre 2020. Entretien avec les réalisatrices de ce film qui met en scène ces cinq sexagénaires (célibataires, veuves ou divorcées) qui mènent au jour le jour un discret combat contre la solitude, à un âge où les hommes ont déserté leur paysage affectif.


En 2011, lors de la sortie de notre film La petite chambre, nous avons constaté que le public qui se rendait au cinéma l’après-midi était largement constitué de femmes retraitées. Frappées par le phénomène, nous avons décidé d’explorer ce monde à la fois anxiogène et fascinant, un monde peuplé de dames...
 
La solitude affective est une réalité pour beaucoup de femmes sexagénaires dont la vie a brusquement pris un nouveau virage, marqué souvent par une séparation à l’aube de la retraite ou un deuil, doublé parfois du départ des enfants devenus adultes.
 
Il faut repartir de zéro et toutes ne sont pas armées pour cela. Beaucoup se sont mariées jeunes, ont créé une famille et se sont consacrées à l’éducation des enfants, en gardant ou non une activité professionnelle en parallèle.
 
Aujourd’hui, tout cela est derrière elles et il faut s’adapter à un contexte tout nouveau: ne compter désormais que sur soi-même et ne plus vivre pour les autres ou à travers les autres. C’est déstabilisant.
 
Comme elles ne manquent pas d’énergie, ces femmes participent à moult activités organisées (ou non) par les associations dédiées aux seniors, elles font de la musique, de la gym, vont au théâtre, fréquentent les musées... D’ailleurs, force est de constater que les femmes du troisième âge sont les plus grandes consommatrices de culture !
 
Phénomène curieux : en Suisse, les femmes retraitées sont très nombreuses mais passent étrangement inaperçues. Pire, elles se sentent invisibles aux yeux des hommes, avec la nette impression d’avoir dépassé la date de péremption... C’est un fait, les hommes sont souvent attirés par des femmes plus jeunes et c’est dur de se sentir mise au rancart. D’autant qu’on a encore vingt à trente ans devant soi ; la vie ne s’arrête pas lors du passage à l’AVS (ndlr : la retraite en Suisse).
 
Que faire alors de ses désirs, de son besoin d’affection ? Beaucoup sont déçues par des rencontres sans intérêt, d’autres disent avoir totalement renoncé à la sexualité... Mais l’évocation des hommes ravive leurs coeurs et leurs yeux pétillent lorsqu’on parle d’amour.
 
Convaincues qu’il y avait un film à faire sur le sujet, nous avons lancé un « Appel à Dames » à travers divers médias. Plus d’une centaine de femmes nous ont répondu, toutes surprises et reconnaissantes qu’on souhaite parler d’elles, mais avec l’impression de ne pas être assez intéressantes pour figurer dans un film.
 
Car ces femmes n’ont pas été particulièrement valorisées durant leur vie, elles font partie d’une génération oubliée...
 
Nous avons finalement retenu cinq protagonistes âgées de 63 à 75 ans, cinq femmes « ordinaires » très différentes les unes des autres, avec la qualité commune d’être les héroïnes de leur quotidien : Marion déborde d’activités et ne croit plus à la rencontre amoureuse, Carmen combat ses phobies et cherche son « coup de coeur », Pierrette se régénère dans la musique, Odile se ressource dans la nature et le tir au pistolet, tandis que Noëlle rêve d’un prince charmant moderne, féministe.

Nous avons décidé de suivre ces femmes durant une année afin de cheminer avec elles dans leur vie de tous les jours et de les voir évoluer au fil des mois, au gré des saisons. Un long tournage qui nous a permis de les apprivoiser.
 
D’abord inhibées par la présence de la caméra, elles nous ont peu à peu adoptées, oubliant même qu’elles étaient filmées. Au fil des mois, elles ont osé se raconter, se dévoiler.

Nous avons ainsi assisté à la renaissance de Pierrette qui se remet de la mort de son mari, à l’aventure de Marion qui s’inscrit sur un site de rencontre ou encore à l’ascension du Glacier des Diablerets en téléphérique avec Carmen, décidée à combattre son vertige une fois pour toutes...
 
Nous avons écouté leurs petites et grandes histoires, nous les avons amenées à se livrer plus intimement, à ouvrir leur cœur sur la question de l’amour et de la solitude affective.
 
Admettre qu’on a encore des rêves et oser dire qu’on a envie de plaire à cet âge-là, c’est presque déplacé. Elles ne le savent que trop bien. Cependant, si nos Dames n’ont plus tous leurs atouts de séduction, elles se connaissent mieux, elles ont de l’humour...
 
Et bien que les hommes aient déserté leur paysage affectif, elles ont appris à user d’autres moyens pour que chaque jour apporte son lot de petits bonheurs. Mais elles rêvent encore d’amour, à demi-mot.
 
Parce que c’est la vie. On aime et on a envie d’être aimée, jusqu’au bout. C’est ce que notre film se propose d’explorer.

Publié le 21/09/2020 à 17:26 | Lu 1952 fois