Les cancers de la cavité buccale : pour une détection précoce

Les cancers de la cavité buccale sont des maladies très méconnues du grand public qui tuent pourtant, chaque année, autant que le mélanome ! Le diagnostic survient en moyenne chez des personnes de plus de 60 ans et les principaux facteurs sont la cigarette et l’alcool. Encore une bonne raison de réduire sa consommation de vins et spiritueux et d’abandonner le tabac !





En France, on dénombre plus de 6.000 nouveaux cas de cancers de la cavité buccale par an qui touchent dans trois cas sur quatre des hommes ; environ 1 500 décès sont recensés chaque année. La détection précoce des cancers de la cavité buccale est ainsi devenue un des axes prioritaires du plan ministériel de prévention bucco-dentaire.

Les quatre axes, définis et développés par l’Institut National du Cancer (INCa) ont notamment pour objectif de sensibiliser les chirurgiens-dentistes à la détection des signes précoces ainsi que d’informer le grand public. Les consultations chez le chirurgien-dentiste sont le moment privilégié pour la recherche des lésions pré-cancéreuses ou cancéreuses.

Épidémiologie et facteurs de risque par Karine Ligier, A. Belot, A.-V. Guizard et le groupe Francim

Les cancers de la cavité buccale (lèvre, base de langue, langue mobile, gencive, plancher de la bouche, palais, autres bouches, glandes salivaires) représentent 2,1% des nouveaux cas de cancers dans le monde et 1,7% des décès par cancer (chiffres 2008).

Les estimations réalisées à partir des données recueillies par les registres des cancers montrent qu’environ 7.000 cancers de la cavité buccale ont été diagnostiqués en 2005 en France (hors lymphome). Les localisations les plus fréquentes sont les cancers de l’amygdale et de la langue mobile chez l’homme et la femme et le plancher de la bouche chez l’homme.

Ces cancers représentent 56,6% des cancers « Lèvre-Bouche-Pharynx ». En 2005, les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale sont chez l’homme et chez la femme, respectivement de 11,8 cas et de 3,5 cas pour 100 000 personnes avec une moyenne d’âge au diagnostic chez les hommes, de 61 ans et chez les femmes, de 63 ans en 2005.

L’évolution de l’incidence des cancers de la cavité buccale est bien sûr à mettre en parallèle avec la fréquence des principaux facteurs de risque (tabac et alcool). On observe aujourd’hui, une diminution du nombre de nouveaux cas et de décès chez l’homme, avec la réduction du tabagisme régulier. A l’inverse, on observe une stabilité de la mortalité, mais une augmentation du nombre de cas chez les femmes, tendances liées à l’augmentation du nombre de fumeuses régulières.

D’autres facteurs de risque sont recensés ou suspectés tels que la consommation de cannabis, un régime alimentaire pauvre en légumes et fruits, l’exposition professionnelle à certains cancérogènes, l’infection par le Human Papilloma Virus, un mauvais état dentaire, un contexte d’immunodépression ou certaines maladies génétiques.

La survie des patients est globalement moins bonne chez les hommes que chez les femmes. Le cancer avec le plus mauvais pronostic est observé chez l’homme pour l’oropharynx (dont amygdale) avec une survie relative à 5 ans de 32% et chez la femme pour la langue (base et langue mobile) avec une survie de 45%. En 2007, 1.746 personnes sont décédées d’un cancer de la cavité buccale. Cette mortalité représente 1,2% des décès par tumeur maligne et est comparable à celle du mélanome ou du cancer de l’utérus.

Annonce du diagnostic, par Jacky Samson
Tout acte de médecine bucco-dentaire doit être précédé par un entretien avec le malade et un examen de la cavité buccale, en particulier de la muqueuse buccale. Cette dernière peut être le siège de nombreuses lésions bénignes ou malignes ; les carcinomes épidermoïdes (7.500 nouveaux cas par an en France) représentent 95% des cancers de la cavité buccale. Ils sont, pour la plupart, liés à des facteurs de risque bien connus (tabac, alcool, chique de betel...).

Le carcinome épidermoïde de la cavité buccale représente l'aboutissement d'un processus de transformation maligne dont il faut connaitre les différentes étapes pour être capable, sur l'aspect clinique, de diagnostiquer ou de suspecter une lésion à risque de transformation maligne, une OIN (oral intraepithelial neoplasia), un carcinome épidermoïde à un stade initial ou une des nombreuses formes cliniques de carcinome épidermoïde.

Face à une lésion suspecte, il faut proposer de réaliser une biopsie en expliquant que cet acte est nécessaire pour la démarche diagnostique. La biopsie est une intervention chirurgicale mineure qui demande surtout, pour être correctement réalisée, des compétences en médecine buccale. Ces compétences sont nécessaires pour déterminer le choix du site, le type et le nombre de prélèvements. Le ou les prélèvements doivent être effectués au bistouri à lame froide afin de ne pas modifier les tissus.

Bien que la biopsie soit un geste simple, il faut le pratiquer régulièrement pour être capable d'assurer une bonne prise en charge du patient lors de l'annonce du diagnostic. De fait, la réalisation de la biopsie a permis de construire un début de relation avec le patient : c'est donc au praticien qui a réalisé l’intervention d'annoncer ou de préparer l'annonce du diagnostic. L'obligation légale d'information impose au praticien de donner le diagnostic exact mais en y mettant les formes et le temps nécessaire. Il n'y a pas d'attitudes stéréotypées mais il faut savoir fournir une information accessible et au bon moment.

Cette démarche devient relativement « facile » si l'on arrive à amener le patient à poser les questions adéquates. Cette démarche est plus ou moins longue et dépend de l'état général et du niveau de connaissances médicales du patient. Parfois, on se heurte à un patient qui a tendance à refuser le diagnostic, ce qui amène à proposer d'emblée un accompagnement psychologique. L'annonce ne doit pas se concevoir comme un acte bref et isolé : c'est en réalité un processus d'accompagnement qui débute dès que le patient est informé du résultat de la biopsie.

Ce processus doit être considéré comme un dispositif d'annonce structuré comportant en général quatre étapes : un temps médical, un temps d'accompagnant soignant, l'accès à une équipe spécialisée dans les soins de support et un temps d'articulation avec la médecine de ville. Cette façon de procéder vise à minimiser les effets psychosociaux de la maladie et de son traitement, tout en assurant une meilleure implication du patient dans le choix thérapeutique et le traitement.

Moyens d’aide au diagnostic des cancers de la cavité buccale par Jean-Christophe Fricain

Les cancers de la cavité buccale sont toujours aussi redoutables, avec un taux de survie à cinq ans autour de 40%, valeur qui n’a pas évolué en trente ans (Etude des registres du réseau Francim, 2007). La cause principale est une détection précoce insuffisante puisque 70% de ces cancers sont diagnostiqués à un stade avancé (T3 ou T4 selon la classification internationale TNM).

Ces diagnostics tardifs induisent des prises en charges mutilantes et coûteuses. Afin d’améliorer la détection précoce des lésions à potentiel malin et des cancers, différents moyens d’aide au diagnostic ont été développés. Certains, dans le but de prédire la malignité d’une lésion (brossage trans-épithélial, tests ADN, marqueurs moléculaires), les autres pour améliorer la détection (coloration au bleu de toluidine, chimiluminescence, fluorescence).

Le brossage trans-épithélial consiste à prélever des cellules épithéliales à l’aide d’une brosse et à réaliser une analyse informatisée des tissus. Les résultats possibles sont : atypie, positif, négatif et ininterprétable. En cas de résultat positif ou d’atypie une biopsie est requise pour préciser le diagnostic. Cette méthode présenterait une sensibilité de 100% et une spécificité de 100% en cas de résultat positif. La simplicité et le caractère non invasif de cet examen permettraient de l’utiliser en première intention au cabinet dentaire. En revanche cet examen ne remplace pas la biopsie qui reste le standard diagnostic des néoplasies intra épithéliales et des cancers.

Les examens moléculaires réalisés sur la salive, le sang, les produits de brossage sont en cours de développement. Il n’existe pas d’examen moléculaire diagnostique actuellement utilisable en routine. Le bleu de toluidine est un colorant vital utilisé en histologie pour colorer les noyaux des cellules. Les cellules cancéreuses qui présentent un noyau hypertrophié fixent donc plus fortement le colorant que les cellules saines. Il a donc été proposé depuis de nombreuses années de colorer la muqueuse buccale au bleu de toluidine pour repérer les lésions potentiellement malignes et les cancers. La réflexion de la lumière après dissolution des impuretés de la muqueuse à l’acide acétique a été utilisée comme méthode de détection des lésions dysplasiques et cancéreuses.

Récemment une technique de visualisation de la fluorescence adaptée à l’examen de la muqueuse buccale a été commercialisée. Il s’agit d’un système simple qui émet une lumière bleue qui excite les fluorophores naturels qui renvoient une lumière verte. Les anomalies de la muqueuse pourront apparaître sous la forme d’un défaut ou d’un excès de fluorescence. Un avantage de ce système par rapport au bleu de toluidine et à la luminescence chimique est sa simplicité d’utilisation et son caractère non invasif. Des études cliniques de dépistage sont cependant nécessaires pour comparer la sensibilité et la spécificité des différents moyens d’aide au diagnostic actuellement disponibles à l’examen en lumière incandescente.

En effet, la majorité des études ont été réalisées uniquement sur des sujets malades. Aujourd’hui quelque soit le système utilisé, il n’existe pas de moyen d’aide au diagnostic suffisamment performant pour repérer et diagnostiquer avec certitude des lésions dysplasiques ou cancéreuses. Pour cette raison, le jugement clinique du praticien reste indispensable et doit être complété d’une biopsie au moindre doute.

Article publié le 25/11/2010 à 09:35 | Lu 13247 fois