Le retour de la protection sociale, chronique de Serge Guérin

Nous l’avons déjà souligné, la crise actuelle renvoie au cimetière des idées reçues, une large partie du discours néolibéral. L’importance des solidarités institutionnelles et le rôle de l’Etat, à la fois comme protecteur des plus faibles, régulateur de l’économie, et co-acteur du futur, apparaissent à nouveau comme participant de la modernité. Une sorte de retour dans l’histoire…


Dans cette optique, Jacques Delors, qui restera aux yeux de l’Histoire comme l’un des principaux bâtisseurs de l’Europe, et l’économiste Michel Dollé, viennent de co-signer un ouvrage vigoureux et pragmatique : Investir dans le social, Odile Jacob.

Les deux auteurs relancent la problématique du rôle de l’Etat et le remettent au centre de la question sociale et au cœur de la sortie de la crise économique. Loin de se contenter de quelques dénonciations maintenant faciles, ils développent une série de propositions qui peuvent se discuter, mais qui ont le mérite de proposer un axe d’action.

Ils ne cherchent pas à rejouer l’Etat-providence, comme si nous étions encore dans les années 1950 ou 1970, mais ils construisent une réflexion à partir de la notion d’Etat d’investissement social défendu par Bruno Palier. Pour eux, l’Etat-providence est trop resté, en particulier en France, dans une logique de compensation pour ceux qui ont eu à subir la crise ou divers accidents ou des désavantages sociaux ou physiques.

L’Etat d’investissement social se caractérise par l’accent mis sur la prévention. Il s’agit de réduire les inégalités de naissances ou de situation par une politique appropriée. Il y a du Stuart Mills dans cette approche, mais Delors et Dollé puisent surtout chez Rawls pour concilier recherche de l’égalité des chances et de l’efficacité économique.

Loin des discours, à mon sens un peu verbeux sur la fin du travail et la société des loisirs, Delors et Dollé partagent avec Sarkozy la conviction que le travail reste au centre du projet individuel comme de l’action collective. Ils affirment (p. 15 et 24 par exemple) que l’emploi est la condition d’accès à la citoyenneté. En ce sens, ils sont plus proches de la culture sociale nordique que de celle qui prévaut en France. Mais ils en tirent des conséquences différentes : l’enjeu, c’est de permettre la montée en gamme du contenu et de la qualité du travail de chacun pour réduire les inégalités. Pour les deux auteurs, l’action en faveur de l’équité tout comme de l’efficacité économique, se réalise à travers deux leviers essentiels : la formation et le soutien aux emplois qualifiés.

Pour les deux auteurs, l’effort doit être porté en priorité sur la maternelle et le primaire pour lutter au plus tôt contre les inégalités liées aux origines sociales et à l’environnement familial. La socialisation précoce des très jeunes est aussi le moyen de venir en aide aux familles fragilisées et en particulier, aux femmes qui élèvent seuls des enfants. Nos deux iconoclastes proposent de réduire certaines dépenses pour les lycées (par la suppression de certaines options) pour favoriser les arbitrages en faveur du primaire.

L’Etat d’investissement social a aussi besoin de mobiliser des moyens via une politique fiscale plus volontariste et aussi plus équitable et même plus efficace. Ainsi, ils soutiennent que les dégrèvements fiscaux, comme les aides à l’emploi à domicile, contribuent à maintenir les personnes dans la précarité et la sous qualification tout en privilégiant les privilégiés. Ils proposent l’inverse : reprendre des marges de manœuvre fiscale pour mettre le paquet sur la formation et la création d’emplois qualifiés. On notera qu’à rebours du discours ambiant, Delors et Dollé se prononcent pour la hausse de l’impôt sur les revenus et dénoncent l’impact et l’aspect inégalitaire des niches fiscales.

Jacques Delors octogénaire créatif et toujours aussi impliqué dans la Cité, prouve, s’il en était besoin, que l’âge des artères n’a pas grand-chose à voir avec la jeunesse du cœur et de l’âme. Surtout, les deux auteurs contribuent à favoriser une pensée pour ce nouveau monde qui se lève sous nos yeux. L’avenir de la démocratie et du pacte Républicain passe par le renouveau du compromis social : qu’il soit à la fois plus solidaire et plus responsable.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier La société des seniors Editions Michalon
Investir dans le social

Publié le 27/04/2009 à 09:55 | Lu 3977 fois