Le pouvoir invisible du microbiome (partie 2)

Le microbiome cutané est un écosystème composé de microorganismes vivants et fait partie intégrante de la surface de la peau. Son équilibre est essentiel à sa santé. Des milliards de bactéries, de virus et de champignons cohabitent plus ou moins pacifiquement à la surface de notre corps. Passionnant ! Le point avec Marla Tuffin-Trindade, directrice de Chaire en génomique microbienne.





Qu’est-ce qui vous a conduit à vous pencher sur le microbiome ?
C’est en 2006, pour mon deuxième contrat postdoctoral que j’ai rejoint ce qui s’appelait alors le « Centre de recherche de pointe en microbiologie appliquée », dirigé par le Pr Don Cowan. Je voyais en cet organisme le lieu idéal pour aiguiser mes connaissances en métagénomique.
 
Il faut dire que c’était le seul laboratoire sud-africain à disposer d’outils de recherche de pointe dans ce domaine balbutiant. Depuis ma nomination au sein du Centre de recherche, j’ai développé une expertise en génomique microbienne appliquée à deux contextes spécifiques : l’exploitation biotechnologique d’une part et la compréhension du rôle écologique des espèces ou communautés étudiées d’autre part.
 
Quelle contribution les nouvelles technologies (de métagénomique) que vous avez mises au point ont-elles apportée à la science ?
L’usage des technologies « -omiques » a permis d’évaluer la diversité microbienne dans les habitats naturels et ceux créés par l’Homme. Un des premiers aspects de mes travaux impliquait de recenser, à travers toute une série d’études phylogénétiques, les espèces au cœur des processus biologiques et du fonctionnement de l’écosystèmes dans des environnements spécifiques (déserts chauds et froids, sources chaudes, salines et sources d’eau salée naturelles, compost thermophile, invertébrés marins, cultures agricoles, peau, marais artificiels, systèmes d’utilisation des eaux usées ménagères).
 
Ces études m’ont amenée à établir des cartographies taxonomiques, mais surtout à mettre en évidence des pistes pour mieux comprendre le rôle fonctionnel des organismes, mais aussi les mécanismes d’adaptation dont ils se servent pour survivre dans ces environnements.
 
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La métaviromique est certes un domaine de recherche balbutiant, mais la communauté scientifique s’accorde à reconnaître l’importance des découvertes qu’elle a permis d’accomplir en l’espace de dix ans, à commencer par leur impact dans l’univers de la virologie.

Pour preuve, selon une revue récente a cité expressément une de nos études comme celle ayant inventé le terme « métaviromique », une technique-outil qui est désormais officiellement reconnue par le Comité international de taxonomie des virus (ICTV) pour la classification des nouvelles espèces de virus et des nouveaux taxons.
 
J’ajouterai que mon groupe a fait œuvre de pionnier en recourant aux méthodologies métaviromiques les plus avant-gardistes. Nous poursuivons d’ailleurs nos efforts dans cette direction pour améliorer, parfaire ou mettre au point de meilleures techniques d’interrogation des données.
 
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On sait si peu de choses concernant l’interaction des phages et du microbiote, même dans le cadre du microbiome humain. Cet équilibre si délicat entre phages et bactéries est essentiel à la santé et au fonctionnement des écosystèmes, or les phages sont rarement évalués et pris en ligne de compte dans les études portant sur le microbiome. Celles-ci sont par conséquent incomplètes, ce qui n’empêche pas les scientifiques de s’y référer régulièrement pour décrire les interactions complexes microbiome-hôte.
 
Force est de constater que l’étude menée avec L’Oréal a livré des enseignements qui remettent en question ce que l’on croyait jusqu’alors savoir du microbiome cutané. Et si l’étude des relations microbiome-virome en est encore à ses balbutiements, c’est une opportunité unique pour nous d’en savoir plus sur les fonctions du microbiome.
 
Qu’est-ce qui vous a poussée à étudier les microorganismes ?
Mon ambition initiale était de comprendre l’écologie microbienne et j’ai peu à peu orienté mes travaux de recherche vers la biotechnologique appliquée. Par des méthodes de culture ou des méthodes génomiques, mes travaux, se concentrent aujourd’hui sur l’exploitation de la diversité microbienne de divers environnements, à travers l’identification de gènes, le séquençage et l’analyse des génomes ou encore la modification génétique de microorganismes pour des applications spécifiques.
 
Parmi les pistes les plus prometteuses sur lesquelles nous travaillons, on peut évoquer : des métabolites pouvant avoir différents types d’activité biologique (antimicrobienne, anticancereuse, neuromediateurs ) un nouveau biosurfactant destiné à l’assainissement des eaux usées ; une gamme d’enzymes susceptibles d’être utilisée pour le développement de biocarburants.
 
Quels sont les grands domaines dans lesquels les technologies microbiennes sont vouées à changer la donne ?
C’est une époque formidable pour les microbiologistes. Il faut dire que les technologies microbiennes ont le potentiel de remédier à la plupart des difficultés actuelles et futures et des menaces auxquelles la race humaine est confrontée. Quand on sait que l’Homme met à profit ces technologies microbiennes depuis l’an 7000 av. J.-C., il fait peu de doute qu’elles continueront de profiter à la race humaine à bien des égards.
 
Face à l’enjeu climatique et à l’impératif de développement durable, la production de protéines microbiennes comme denrées alimentaires et comme aliments pour animaux, la captation de CO2 (réhabilitation grâce à sa conversion en bioproduits microbiens), la formulation de produits chimiques et de carburants à partir de microbes, les biocapteurs, ou encore la production de biomatériaux (par exemple, du béton autocicatrisant) sont autant de technologies qui vont continuer à progresser.
 
L’usage des technologies microbiennes dans l’agriculture durable est en train d’exploser partout où l’on emploie, ou modifie, des bactéries pour améliorer la santé des plantes. Nous collaborons aussi avec le Conseil sud-africain pour la recherche agricole au développement d’un traitement par phagothérapie pour endiguer le fléau de la loque américaine (causée par la bactérie Paenibacillus larvae) qui affecte les abeilles du monde entier et menace donc l’agriculture de toute la planète.
 
Dans l’univers médical, on compte aussi beaucoup sur la phagothérapie pour surmonter le problème de la résistance aux antibiotiques et guérir les maladies infectieuses. Parmi les autres technologies à vocation médicale, on peut également citer la production de vaccins et de médicaments biothérapeutiques, mais aussi les nouveaux biomatériaux.
 
Quel que soit le domaine, nous devons trouver le moyen de maîtriser les micro-organismes via une approche intégrée et considérer la communauté microbienne comme une entité structurée, organisée de manière tridimensionnelle. Si l’on développe des technologies sans vraiment prendre en compte la dynamique des communautés microbiennes, au lieu de collaborer avec elles, on s’expose à une multitude de problèmes secondaires qui pourraient bien donner lieu à des menaces autrement sérieuses.
 
Un exemple parlant est celui de la résistance aux antibiotiques. Dès lors, il est absolument impératif de mieux comprendre les principes de fonctionnement des communautés microbiennes avant de songer à mettre au point et utiliser des nouvelles technologies microbiennes dans le futur.
 
Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler sur la peau ?
Un appel de L’Oréal… Le groupe m’a sollicitée pour lancer une étude pilote visant à déterminer l’éventuelle présence de phages sur la peau et, le cas échéant, à comprendre le rôle qu’ils jouent dans le développement des microorganismes responsables d’affections cutanées ou à l’inverse, s’il était possible de se servir de ces phages comme d’une nouvelle approche pour résoudre des désordres cutanés que la dermo-cosmétique n’est pas capable d’adresser actuellement ou pour augmenter la performance des produits cosmétiques existants.
 
Que vous a apporté cette collaboration avec L’Oréal R&I ?
Le partenariat avec l’industrie est un passage obligé pour donner une résonnance concrète à la recherche académique et fondamentale et mettre au point des technologies efficaces. Comme les universitaires ne sont pas toujours au fait des besoins et propriétés dont l’industrie a besoin, l’établissement d’un partenariat dès la phase de conception d’un projet permet de bien délimiter le périmètre et la priorité des travaux à mener.
 
Bien que j’ai consacré de nombreuses d’années de recherche au microbiome, je n’avais jamais été amenée à me pencher sur l’environnement cutané. Le partenariat avec L’Oréal a donc conduit mon groupe à creuser une piste d’investigation nouvelle, et par là même à enrichir son expertise. À travers l’étude pilote menée avec la R&I L’Oréal, nous avons découvert plus de 100 virus inconnus de la communauté scientifique.
 
C’est une avancée éminemment gratifiante pour tout universitaire, et la possibilité de développer des outils plus rigoureux d’évaluation des métagénomes viraux, qui serviront à d’autres projets de notre laboratoire, mais aussi à la communauté scientifique au sens large. À travers les analyses, nous avons posé plusieurs hypothèses que nous sommes parvenus à démontrer grâce à une étude de suivi apportant des enseignements nouveaux et insoupçonnés concernant les interactions phage-hôte et leur rôle au sein du microbiome cutané.
 
La consécration serait de développer un produit, ce qui suppose bien sûr de pouvoir préalablement établir un lien entre les phages et les troubles cutanés. Cela étant, il faudra poursuivre nos recherches avant de songer aux applications reposant sur des phages.
 
Comment voyez-vous l’avenir du microbiome cutané ?
Le staphylococcus aureus, ou staphylocoque doré, est une espèce dont la présence sur la peau est à la fois commensale et souvent pathogène. Cela fait plusieurs années que les études métagénomiques et celles utilisant la culture microbienne la suspectent de jouer un rôle déterminant dans la physiopathologie des maladies associée aux troubles inflammatoires cutanés, mais ce n’est qu’après avoir utilisé des techniques de métagénomique que l’on s’est aperçu que les différences au niveau des sous-espèces bactériennes étaient cruciales pour comprendre et traiter la maladie.
 
Ce n’est là qu’un exemple parmi une foule d’études métagénomiques qui ne livrent qu’une vision très parcellaire des choses. À mesure que les méthodologies et technologies progressent, nous pourrons peu à peu affiner notre compréhension de l’influence des microbes sur la santé de la peau et l’apparition de désordres cutanés.
 
De la même manière que le séquençage du premier génome humain n’a pas immédiatement fourni des réponses à tous les problèmes de santé, il ne suffira pas de réaliser des études de référence du microbiome pour percer tous les mystères qui planent sur sa fonction.

Aussi, bien que l’on ait d’ores et déjà repéré des indices et des corrélations qui pourraient servir à l’amélioration des désordres cutanés et à la protection de la santé de la peau, la recherche a encore beaucoup de chemin à faire pour décrire et comprendre, comme il se doit, les dynamiques entre espèces et les interactions avec l’hôte, c’est-à-dire nous.
 
Comme je l’ai indiqué par ailleurs, le rôle des phages dans l’eczéma ou la peau sèche n’a jamais fait l’objet d’étude. Or, cela permettrait peut-être de voir les choses d’un tout autre point de vue. Pour répondre à votre question première, je m’attends à ce que l’on comprenne de mieux en mieux les interactions entre le microbiome et l’hôte dans les années à venir.
 
Si les « -omiques » ont ouvert totalement le champ d’étude, rappelons qu’un simple détail peut tout faire rater. Partant de ce postulat, il faudra explorer bien d’autres pistes pour disposer de toutes les informations nécessaires à la mise au point de thérapies.
 
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de la forme que pourrait prendre la dermocosmétique de demain ?
Concernant le traitement de l’eczéma, la formulation de probiotiques semble désormais appartenir au champ des possibles. En l’espèce, le principe consisterait à utiliser et à développer des microorganismes commensaux afin d’éradiquer la formation du biofilm du staphylocoque doré et de limiter son adhérence sur la peau. L’application topique de ces souches, à l’échelle du laboratoire, a fait la preuve, du potentiel transrationnel des stratégies probiotiques.

Le Professeur Marla Trindade a obtenu son Doctorat en Microbiologie en 2003 à l’Université de western Cape (UCT) en s’intéressant au métabolisme des Bifidobactéries. Elle a poursuivi ses recherches post-Doctorales pendant 2 ans dans le laboratoire de Doug Rawlings à l’Université de Stellenbosh, puis au centre de Recherche Avancée de Microbiologie appliquée Don Cowan à L’Université du Cap Occidental.
 
Depuis 2012, Marla Trindade est Directrice Générale de l’IMBM, centre spécialisé dans les biotechnologies. Le microbiome et la métagénomique, élevé en 2009 au titre d’Institut de Recherche (The Institute for Microbial Biotechnology and Metagenomics).
 
Elle a récemment lancé la plate-forme de Génomique Cellulaire, une première plateforme de service unique en son genre en Afrique. Ses recherches s’inspirent des organismes présents dans les environnements « extrêmes » et de l’énorme biodiversité microbienne présente en Afrique du Sud.

Article publié le 28/06/2019 à 01:00 | Lu 1300 fois