Le microbiote : signature de ma santé orale et générale ?

Entretien avec le Professeur Marie-Laure Colombier, chirurgien-dentiste, spécialisée en parodontologie à l’Hôpital Louis Mourier de Colombes et Professeur des Universités à la Faculté de chirurgie dentaire de Paris Descartes.





Nous hébergeons non pas un mais plusieurs microbiotes. Il s’agit de micro-organismes situés au niveau de l’intestin (microbiote intestinal ou flore intestinale), de la peau (microbiote cutané), dans les organes génitaux (microbiote vaginal) mais aussi dans la bouche (microbiote bucco-dentaire).
 
Le nombre de micro-organismes contenus dans nos microbiotes dépasse très largement le nombre de cellules de notre corps humain. Les nombreuses bactéries qui les constituent participent au fonctionnement normal de notre organisme et à notre bonne santé.
 
Qu’en est-il du microbiote buccal ?
Le microbiote bucco-dentaire compte plus de 700 espèces bactériennes différentes (chaque individu en hébergeant de 150 à 250) : virus, champignons, bactéries, archéobactéries, protozoaires. Elles colonisent la surface des dents et les muqueuses buccales. Ces bactéries forment des communautés très réglementées, structurellement et fonctionnellement organisées, présentes sur les surfaces sous forme de biofilms.
 
Elles peuvent communiquer entre elles en produisant, détectant et réagissant à de petites "molécules signal". Le microbiote bucco-dentaire contribue à la bonne santé de la sphère orale (langue, gencive, dents et muqueuse buccale) et de l’organisme de manière plus globale. Il est le deuxième plus abondant du corps humain après celui de l’intestin.
 
Son équilibre peut être menacé par de nombreux facteurs, alimentation, tabac, antibiothérapie, insuffisance d’hygiène bucco-dentaire, stress. Une rupture de cet équilibre (dysbiose) peut provoquer des infections locales.
 
Une perturbation du microbiote buccodentaire due à nos modes de vie actuels peut conduire à des conséquences préjudiciables pour notre santé buccodentaire et générale. La consommation excessive de boissons acides, de sucres, de cigarettes a des répercussions importantes dans l’écosystème oral, entraînant des pathologies telles que les caries ou les maladies parodontales.
 
L'hygiène, les soins bucco-dentaires et une alimentation équilibrée restent les moyens de prévention les plus efficaces. Par ailleurs, la salive, composée à 99% d’eau et 1% d’autres substances (enzymes et protéines), agit comme système de défense naturelle pour la bouche. Elle joue un rôle important dans le contrôle de la flore microbienne de la cavité orale.
 
En effet, la salive limite la capacité de fixation et favorise l’élimination des bactéries en excès ou de bactéries non désirables.
 
Comment se construit le microbiote buccal ?
Pendant l'accouchement, la mère transmet des microbes à l'enfant ; le mode d'accouchement (vaginal versus césarienne) est donc un déterminant du type de micro-organismes que développera alors l’enfant. La méthode d'alimentation a également un effet.
 
Des nourrissons de 3 mois allaités au sein présentent un taux plus élevé de colonisation par des lactobacilles oraux. L'éruption des dents fournit de nouvelles surfaces pour la colonisation microbienne et constitue un événement important dans la bouche de l’enfant. À l'âge de trois ans, le microbiote oral des enfants est déjà complexe, et le devient de plus en plus avec l’âge.
 
Quel rôle pour le microbiote buccodentaire ?
Le microbiote bucco-dentaire tient un rôle important dans le maintien d’une bonne santé orale et générale. Sa simple présence ans la bouche empêche la colonisation par les agents pathogènes. Etant donné que l’ensemble des surfaces de la bouche est colonisé par des bactéries, il reste peu de place pour la fixation des agents pathogènes.
 
Le déséquilibre du microbiote est responsable des deux pathologies bucco-dentaires les plus communes : la maladie carieuse et la gingivite. Ces pathologies sont causées par des bactéries pathogènes définies comme opportunistes ; à savoir qu’elles appartiennent au microbiote normal de la cavité buccale ne causant habituellement pas de maladie, mais pouvant devenir pathogènes quand l’équilibre du microbiote est rompu. On parle alors de dysbiose.
 
Les bactéries buccales peuvent facilement et fréquemment rejoindre la circulation sanguine en présence de pathologies parodontales ou de lésions carieuses non traitées. Ces bactériémies peuvent alors être la source d'endocardites infectieuses, de fragilisation de plaques d’athérome ou d'abcès au cerveau et au foie.
 
Le microbiote de la bouche a également une propriété intéressante sur le lien entre les nitrates et la santé cardiovasculaire. En effet, environ un quart du nitrate ingéré est renvoyé dans la bouche par un circuit entéro-salivaire. Les bactéries orales réduisent le nitrate en nitrite qui passe ensuite dans la circulation sanguine par absorption gastrique et est transformé en oxyde nitrique. L'oxyde nitrique est essentiel pour la santé vasculaire et aide à garder les vaisseaux sanguins souples. Il a également un effet anti-hypertenseur.
 
Aujourd’hui on observe un véritable engouement des scientifiques et médecins pour le microbiote qui est désormais intégré de plus en plus dans la prise en charge des patients et qui pourrait déboucher dans les cinq prochaines années sur de la médecine personnalisée. Ces stratégies seraient essentiellement basées sur le rééquilibrage des dysbioses par différentes techniques basées sur des probiotiques, des prébiotiques ou encore des combinaisons des deux.
 
Des liens avec le microbiote intestinal ?
Leur composition diffère par leur taux d’acidité. On retrouve certains microorganismes en commun. A commencer par Helicobacter pylori, une bactérie mise en cause dans les ulcères gastriques. Ainsi, il a été montré que si on ne l’éradiquait pas de la bouche, on favoriserait les récidives des problèmes digestifs.
 
Les résultats d'une nouvelle étude de l'Université Waseda, au Japon, parue dans Science en 2018, ont révélé que certaines bactéries buccales peuvent migrer jusqu’à l’intestin, s’y établir et perturber l’équilibre du microbiote intestinal, favorisant même le développement de maladies intestinales chroniques.
 
Préserver son microbiote buccal
Le brossage soigneux quotidien des dents favorise un milieu sain à condition de veiller à changer régulièrement sa brosse à dents. L’arrêt du tabac et la diminution de la consommation d’alcool sont bénéfiques car les composants de la cigarette et l’alcool favorisent la prolifération de mauvaises bactéries.
 
L’alimentation joue un rôle capital : plus elle est sucrée, plus elle apporte de la nourriture aux germes délétères. Le chirurgien-dentiste peut être amené à conseiller une supplémentation en probiotiques et des dentifrices favorisant les défenses salivaires pour les personnes qui souffrent de maladies parondontales chroniques.

Article publié le 29/11/2019 à 11:08 | Lu 10757 fois