La télémédecine : c’est déjà demain

L’effet conjugué du vieillissement des populations et de l’amélioration permanente des nouvelles technologies entraine la survenue d’une nouvelle approche de la pratique de la médecine… La médecine à distance ou encore la télémédecine. En amont du décret fixant le cadre de la pratique de la Télémédecine, prévu pour le début du mois de juillet, et en réponse à l’appel à projet de Christian Estrosi, de nombreuses applications pilotes ont achevé leurs phases expérimentales et sont en phase de déploiement opérationnel. Alors quels sont les domaines thérapeutiques concernés ? Comment la télémédecine peut-t-elle améliorer la pratique médicale de demain et à quels défis majeurs répondra-t-elle ? Où en est-on aujourd’hui en France ? Quelques éléments de réponse à toutes ces questions…





La télémédecine couvre un champ étendu de spécialités et concerne par conséquent de très nombreux patients. Sa pratique favorise la prise en charge de tous les patients dont ceux souffrant de maladies chroniques ou d'un handicap. Dès lors, les enjeux sont de taille : améliorer au quotidien la prise en charge et la vie des patients, réduire l’encombrement des services hospitaliers, répondre à la baisse de la démographie médicale…

La mise en oeuvre de la télémédecine pose toutefois des questions :

- Comment doivent évoluer les pratiques médicales et l’organisation des soins ?
- Comment définir les nouveaux rôles des médecins, du personnel infirmier, des aides-soignants dans la collaboration pluri-professionnelle que favorise la télémédecine ?
- Comment sensibiliser les patients à cette évolution des pratiques professionnelles ?
- Quel cadre pour son déploiement et le mode de son financement ?

1. La télémédecine et ses applications : contexte, cadre et objectifs

A) La télémédecine, un moyen de faire face aux défis majeurs de santé publique
Les actes de télémédecine utilisent les nouvelles technologies de l'information. Celles-ci visent à améliorer l'accessibilité aux soins de santé. Elles permettent les transferts de données (imagerie médicale, enseignement à distance, données patients…). Il n’y a pas de télémédecine sans accès aux données médicales des patients.

Pourquoi la télémédecine va-t-elle devenir incontournable ?
« Si nous n’intégrons pas les dispositifs de la télémédecine dans nos pratiques et nos modes de fonctionnement, nous serons dans l’incapacité de répondre aux enjeux de la médecine », estime Bruno Carrias, membre de la commission Pierre Lasbordes sur la télésanté.

Le contexte démographique et médical actuel rend inévitable le développement de la télémédecine :
- L’allongement de la durée de vie entraîne un accroissement du nombre de patients atteints de maladies chroniques (hypertension, diabète, insuffisance rénale chronique, insuffisance cardiaque),
- La prise en charge de ces maladies par les organisations traditionnelles a atteint ses limites,
- Les hôpitaux sont saturés par des décompensations ou complications de maladies chroniques qui pourraient être prévenues – on estime que 20 % à 30 % des hospitalisations pourraient être évitées grâce à la surveillance des patients par la télémédecine,
- les coûts de santé progressent plus vite que le produit intérieur brut,
- la démographie médicale diminue temporairement (seuil plancher en 2020) et n’augmentera donc pas dans les trente prochaines années alors que la demande de soins ne cesse de progresser. Certaines zones du territoire français sont déjà sous-médicalisées et les personnes n’ont pas une égalité d’accès aux soins.

Dans un tel contexte, la télémédecine peut constituer un levier pour de nouvelles organisations dans plusieurs champs :
- Restructurer l’offre hospitalière : grâce aux téléconsultations et aux télé-expertises spécialisées, une gradation des soins peut s’établir entre les établissements d’un même territoire de santé ;
- Mieux prendre en charge les patients atteints de maladies chroniques (au nombre de 15 millions en France, et qui pourraient être 20 millions en 2020) à leur domicile, en leur évitant des déplacements et des hospitalisations injustifiés et en prévenant les exacerbations de leurs maladies ;
- Répondre aux besoins prioritaires et réduire l’inégalité d’accès aux soins dans les territoires isolés (zones rurales, îles, montagnes) ou les établissements pénitentiaires.

Quelle sont les principaux actes de télémédecine ?
• la télé-consultation : consultation médicale à distance d’un patient,
• la télé-surveillance médicale : surveillance à distance d'un patient atteint d’une maladie chronique,
• la télé-expertise : concertation pluridisciplinaire autour du dossier du patient sans sa présence physique, par exemple la télé-expertise des RCP (réunions de concertation pluridisciplinaires) de cancérologie,
• La télé-assistance médicale : l’aide apportée à distance d’un professionnel de santé à un autre professionnel. La robotisation de certains actes de chirurgie relève de la télé-assistance.

A côté des actes de télémédecine, l’utilisation du numérique en santé (télésanté) a un champ large : les services à la personne isolée ou handicapée, l’information en santé par les réseaux sociaux, le télé-enseignement, etc.

En résumé, quels sont les objectifs de la télémédecine ?
- Une nouvelle organisation de la prise en charge des patients,
- L’amélioration de la qualité du suivi des maladies chroniques à domicile en prévenant les complications ou les aggravations, et en évitant ainsi des hospitalisations,
- L’amélioration de l’efficience des stratégies thérapeutiques par une meilleure coordination des acteurs.

Dans quels domaines s’applique la télémédecine ?
Les actes de télémédecine peuvent s’appliquer à tous les domaines de la médecine, spécialisée ou non : téléradiologie, télécardiologie, télédialyse, télérespiration, télédermatologie, télédiabétologie, etc. La télémédecine couvre donc un champ étendu de spécialités et, par conséquent, autant de patients. Sa pratique favorise la continuité des soins chez les personnes âgées ou à mobilité réduite… Dès lors, les enjeux sont de taille dans un contexte de vieillissement de la population française et de montée des maladies chroniques. L’amélioration au quotidien de la prise en charge et de la vie des patients est donc un bénéfice majeur de la télémédecine.

Où en est la télémédecine en France ?
Si les applications de la télésanté (notamment les réseaux sociaux en santé) ont pris du retard en France, dans de nombreuses spécialités, les professionnels de santé français ont développé des modèles organisationnels très performants dont le déploiement sera rapide après la parution du décret de télémédecine.

Les applications pilotes ont achevé leur phase expérimentale et sont prêtes pour un déploiement opérationnel. C’est le cas de la télédialyse pour la prise en charge des dialysés dans des structures proches du domicile (UDM), de la télécardiologie pour la surveillance des dispositifs implantables, de la surveillance de l’insuffisance cardiaque, de l’hypertension artérielle, de la téléneurologie avec la prise en charge des AVC, de la télédiabétologie avec la surveillance des diabétiques de type 1, ou encore de la téléradiologie… La région française pilote qui a la plus longue expérience en télémédecine est la région Midi-Pyrénées.

Quels sont les freins à sa mise en place ?
« Il n’y a plus de freins technologiques. Les industriels du numérique et les opérateurs de télécommunications par voie terrestre ou satellitaire ont aujourd’hui la capacité de s’adapter aux besoins exprimés par les professionnels », explique le Dr Pierre Simon, président de l’ANTEL (Association Nationale de la Télémédecine). « Le décret sur la télémédecine, en attente de publication, précisera les conditions de mise en oeuvre et les grands principes du financement. La télémédecine ne devrait pas faire augmenter les dépenses de santé. Au contraire, elle permettra de nouvelles organisations des soins plus efficientes qui se substitueront progressivement aux organisations actuelles, souvent plus coûteuses, telles que les hospitalisations, les transports de personnes malades, etc. », continue le Dr Pierre Simon.

Quelles nouvelles organisations implique la télémédecine ?
L’évolution des pratiques médicales et la volonté gouvernementale laissent présager qu’à l’avenir, la télémédecine fera partie intégrante du système de soins. La loi HPST prévoit de nouvelles organisations en phase avec la télémédecine :
- La restructuration de l’offre hospitalière : « La télémédecine contribue à la mise en place d’une gradation des soins, en permettant à des établissements de proximité, qui conserveront des services d’urgences et des services de médecine polyvalente, d’être en relation avec les spécialistes qui exerceront dans les établissements « pivots ». Dans un tel schéma, la télémédecine contribuera à mieux prendre en charge certaines urgences médicales, par exemple l’accident vasculaire cérébral, et donc de réduire les pertes de chances que nous observons actuellement dans certaines régions isolées », indique le Dr Pierre Simon.
- Le déploiement de la télémédecine au sein de zones aux besoins prioritaires : les DOM/TOM, les maisons de retraite, les établissements pénitentiaires…
- La télésurveillance médicale au domicile des patients atteints de maladies chroniques : le maintien à domicile et la surveillance médicale des maladies chroniques sont le grand défi des prochaines années. Les patients seront éduqués sur leurs maladies et pourront ainsi contribuer a leur suivi en adressant régulièrement à un centre de surveillance des indicateurs pertinents, qui permettront au médecin d’intervenir avant la survenue des complications. « De telles organisations sont aujourd’hui expérimentées dans tous les pays industrialisés car elles permettent de faire face à la croissance des besoins de soins, à la baisse de la démographie médicale et aux attentes des patients qui sont de moins en moins bien pris en charge dans nos hôpitaux », détaille le Dr Pierre Simon.

Quelles sont les principaux points à prendre en compte en vue de la mise en oeuvre de la télémédecine ?
Ils sont d’ordre organisationnel, réglementaire, juridique et déontologique :
- Consentement du patient et respect absolu de la confidentialité,
- Transformation organisationnelle au profit d’un travail médical plus collectif,
- Modification des modes de rémunération : classiquement, l’acte n’est rémunéré que lors d’une réalisation d’un acte dans une « unité de temps et de lieu », processus mis a mal par la « virtualisation » des NTIC,
- Interopérabilité des différents systèmes d’information et de communication,
- Modification des responsabilités avec l’apparition des « tiers technologiques » coresponsables du fonctionnement du dispositif médical communicant,
- Investissement collectif et professionnel massif qui ne peut se faire sans une formation des professionnels aux nouvelles pratiques.

B) Exemples d’applications

• La télédialyse :

« La télédialyse, explique Bernard Bene, Therapy Group Europe Manager de Gambro R&D (Cf. NewsTICS n°3), permet au médecin de contrôler à distance une séance de dialyse. Lors de la séance, le médecin peut lire en temps réel les paramètres de fonctionnement du générateur de dialyse. Il peut également mener une consultation par visioconférence. Un examen visuel du patient peut être réalisé par une caméra mobile manipulée par l’infirmière qui est auprès du patient. Il peut en outre visionner son dossier médical. »

Des solutions techniques existent, telles que :
- Des générateurs de dialyse communicants,
- Une base de données permettant une interprétation en temps réel des paramètres,
- Des applications médicales assurant une exploitation cumulée des données médicales de la base de données.

Ces solutions permettent un suivi en temps réel des séances, une traçabilité des séances antérieures et un dépistage précoce des dérives pathologiques chez les patients. Agnès Caillette-Beaudoin, Directeur du Centre associatif lyonnais de dialyse (Calydial) relate pour sa part deux expériences de télésurveillance médicale menées par son établissement :
- depuis 2006, une télésurveillance médicale de routine et à domicile des patients dialysés est assurée à l’aide d’un stylo communicant. Des mesures quotidiennes effectuées par le patient sont adressées directement au centre de néphrologiedialyse.
Une application informatique permet aux équipes médicales d’effectuer une analyse priorisée de ces données. Une astreinte paramédicale permanente les reçoit et traite les alertes sur la base de protocoles.
- depuis 2008, un télésuivi est pratiqué avec l’aide d’une e-tablette pour des patients en insuffisance rénale chronique non dialysés. Un parcours individualisé est mis en place pour ces patients grâce à une remontée d’informations hebdomadaire (poids, tension artérielle, résultats biologiques, etc.).

Enfin, Jacques Chanliau, Directeur de l’association ALTIR (Association Lorraine pour le Traitement de l'Insuffisance Rénale), évoqué l’utilité des systèmes experts, dont il a fait l’expérience en télédialyse dans la définition du poids sec : « Les systèmes experts interviennent dans l’analyse des données en sélectionnant celles sur lesquelles le médecin doit focaliser son attention pour prendre une décision. L’interface permet d’effectuer un suivi quotidien d’une très large population : alors qu’il faut trois secondes au système expert pour analyser 300 dossiers, il faut cinq heures à un expert humain. »

• La téléradiologie

La téléradiologie permet au médecin en contact direct avec le patient de disposer de l’avis d’un médecin radiologue situé à distance du lieu de réalisation de l’examen radiologique. Outre ce bénéfice immédiat pour le patient, la téléradiologie présente l’autre avantage de favoriser les échanges de connaissances et de savoir-faire entre les médecins radiologues qui l’utilisent (« télé-expertise »).

Comme la télémédecine dans son ensemble, la téléradiologie est un acte médical strictement encadré par les règles de déontologie. Organisée par les médecins radiologues, la téléradiologie ne se justifie que dans l’intérêt du patient : elle ne soustrait en aucun cas le patient à l’examen clinique réalisé par le médecin de proximité et ne remplace pas sans raison valable un examen pris en charge et réalisé sur place par un radiologue local. Son emploi doit être justifié par l’état de santé du patient, la continuité ou la permanence des soins ou plus généralement par des circonstances particulières de temps et de lieu, et ne saurait justifier l’installation ou le renouvellement d’équipements d’imagerie lorsque le site ne dispose pas des radiologues nécessaires pour faire fonctionner ces équipements. Le développement de la téléradiologie s’inscrit ainsi dans l’organisation des soins et dans l’évolution raisonnée des structures de soins pour optimiser la réponse aux besoins de la population.

• Le diabète

Exemple 1
L’Alfediam a développé un système de télé diabétologie dénommé « Diabeo ». Il s’adresse pour l’instant aux patients atteints de diabète de type 1. Chaque patient est équipé d’un smartphone qui contient un logiciel adapté à la prescription d’insuline. Les données sont transférées dans le service de diabétologie et intégrées au dossier du patient. Les premiers résultats à 6 mois sont très encourageants. L’hémoglobine glyquée a diminué significativement, alors que la surveillance traditionnelle ne parvenait pas à faire baisser le taux élevé de cet indicateur.

Exemple 2
La « rétinopathie diabétique », principale complication oculaire du diabète, reste, faute de dépistage, une cause importante de malvoyance en France alors que des traitements efficaces existent. Face à 2,5 millions de diabétiques (chiffre en constante progression), l’examen du fond d’oeil recommandé annuellement est difficilement réalisable par des médecins ophtalmologistes dont le nombre est, lui, en diminution. Pour faire face à cette situation, un recours original à la télémédecine a été utilisé par le service ophtalmologique de l’hôpital Lariboisière à Paris.

Le principe est le suivant : des photographies numérisées du fond d’oeil des patients diabétiques sont réalisées grâce à un appareil spécialement développé à cet effet (rétinographe nonmydriatique). Ces photographies sont prises par un technicien non médecin au niveau de sites de dépistage. L’examen de dépistage est bref, environ une quinzaine de minutes.

Les photographies sont ensuite télétransmises par Internet, et de façon sécurisée, vers un centre de lecture ophtalmologique où elles sont interprétées par un ophtalmologiste spécialisé. Un compte-rendu de l’analyse de ces photographies est renvoyé par Internet, indiquant le diagnostic, et la conduite à tenir. Ce système permet de sélectionner les 15 à 20 % de patients diabétiques ayant une rétinopathie diabétique méconnue et de les adresser pour bilan approfondi à un ophtalmologiste, tout en assurant le dépistage de l’ensemble des diabétiques. En effet, ce système permet d’économiser du temps : alors qu’un ophtalmologiste examine 8 à 12 patients diabétiques au cours d’une vacation médicale, il lui est possible de lire les photographies du fond d’oeil d’une quarantaine de patients pendant le même laps de temps.

Définition de la télémédecine

(Article 78 de la loi “Hôpital, Patients, Santé, Territoires” du 21 juillet 2009)

« La télémédecine est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d’autres professionnels apportant leurs soins au patient. Elle permet d’établir un diagnostic, d’assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d’effectuer une surveillance de l’état des patients. La définition des actes de télémédecine ainsi que leurs conditions de mise en oeuvre et de prise en charge financière sont fixées par décret, en tenant compte des déficiences de l’offre de soins dues à l’insularité et l’enclavement géographique. »

Article publié le 21/06/2010 à 07:01 | Lu 5314 fois