La société du vieillissement est un levier pour l’innovation, chronique de Serge Guérin

Le sens commun tend à associer vieillissement et déclin, vieillissement et perte de capacité à investir et innover. Or, il n’en est rien. C’est même le contraire ! ET je ne parle pas, ici, de gérontotechnologie : l’innovation est d’abord sociale et humaine. Ces dernières semaines, j’ai eu la chance de vivre, comme organisateur, animateur ou intervenant trois moments d’échanges et de dialogues autour des thématiques liées à la révolution culturelle et sociale du vieillissement.


D’abord les deuxièmes Rencontres de l’innovation sociale, à Rennes, les 23 et 24 janvier, qui étaient centrées sur le thème « Intergénération, solidarité, inclusion dans le logement social ».

Ces Rencontres organisées par le Fonds pour l’Innovation sociale de la Fédération des ESH (Entreprises sociales pour l’habitat) ont permis à plus de 200 personnes (bailleurs sociaux, associatifs, élus…) d’échanger sur des initiatives menées dans le parc social et favorisant le logement intergénérationnel.

Ces rencontres ont débuté par une visite de la résidence intergénérationnelle Simone de Beauvoir de Rennes qui intègre sur un même lieu des logements destinés aux plus âgés, à des étudiants de l’IRTS et d’une IFSI, à des familles relevant du parc social ou du privé et à des personnes fragilisées par des handicaps physiques ou psychiques.

A cela s’ajoute un restaurant solidaire, Fourchette et Cie, où une travailleuse sociale organise et accompagne des réunions et des événements favorisant l’échange et la rencontre. Cette résidence réellement intergénérationnelle a été portée par le Ville de Rennes et le bailleur social Espacil habitat. Le lendemain, huit initiatives et projets menés conjointement par un bailleur social et une association de terrain ont été présentés, discutés, débattus…

Ce que l’on peut retirer de ces échanges, outre, la diversité des idées et des histoires, c’est combien la question de l’intergénération prend une place centrale pour les acteurs de la ville. L’intergénération est vécue, soit comme un levier en faveur de la production de lien social (avec par exemple la mise en oeuvre de jardins partagés comme à Cambrais par la Maison du Cil et l’association le Codes), soit comme un vecteur en faveur de l’inclusion sociale.

Par exemple, le bailleur Neolia et la MJC Palentes sont venus expliquer comment ils avaient mis en œuvre une action où des jeunes étaient formés et accompagnés pour réhabiliter des logements de personnes âgées. De leur côté, le bailleur Efidis et le Centre social «13 pour Tous » ont témoigné d’une initiative où ils ont accompagné des femmes, de toutes générations, pour qu’elles puissent reprendre leur place dans l’espace public et ne pas être cantonnées aux sorties des écoles et aux centres commerciaux. Un travail mené par une photographe a abouti à une exposition installant des portraits de femmes habitant le quartier.

Ces initiatives marquent combien la question du vieillissement oblige à repenser les conditions de l’intergénération et du vivre ensemble. Si la période est marquée par une souffrance sociale et une dérive vers toujours plus de précarité, dans le même temps, on voit aussi poindre des initiatives qui pollinisent la société et réinventent les solidarités.

Ensuite, à Dijon, du 26 au 29 janvier, j’ai participé au colloque « Droit de vieillir » qui a balayé, dans une perspective sociologique, un très large spectre de problématiques touchant au vieillissement à travers le monde. Le Riactis (réseaux international de chercheurs en sociologie du vieillissement) qui organisait ces rencontres, avec la Ville de Dijon et le Pôle de gérontologie interrégional (PGI), a permis de présenter plus d’une centaine d’études et de recherches et quantité de débats, forums, café des âges…

A travers ces journées, il était possible de sentir, palper, comprendre combien la société des seniors est en train de changer la société globale. Combien la question du vieillissement oblige à repenser les politiques d’habitat, de santé, de transport… Il a aussi été question de l’avenir des maisons de retraite, des enjeux spécifiques du vieillissement dans certaines zones géoéconomiques.

Des travaux universitaires ont aussi montré combien il est nécessaire de réfléchir aux conditions d’exercice de la parole pour les seniors, qu’ils soient de jeunes retraités, des aînés ou des personnes âgées en grande fragilité. Les journées du Riactis à Dijon ont aussi été l’occasion de la constitution du « réseau francophone des villes amies des aînés » qui entend permettre aux villes concernées de mieux mutualiser les expériences et les projets.

Enfin, je suis intervenu, en conclusion le 31 janvier, encore à Rennes, du colloque de la Fondation de France portant sur « Jusqu’au bout de la vie : vivre ses choix, prendre des risques ». Là encore, des personnes sont venues témoigner d’expériences où l’écoute, le soutien sont primordiales pour permettre aux plus âgées d’exercer leur droit au respect, leur droit à la citoyenneté.

L’unité de gérontologie du CHU d’Angers, par exemple, s’est donnée les moyens d’accompagner humainement les patients et de favoriser la mobilisation de leur capacité de personnes très affaiblies en travaillant en particulier sur des ateliers peinture. Le résultat, c’est le gain de confiance en soi, le plaisir qui revient, la satisfaction de se sentir exister. Le résultat, c’est aussi des personnes qui consomment moins de médicaments, qui retrouvent certaines facultés. La résidence Les deux clochers à Vernantes, dans le Maine-et-Loire, privilégie le projet de vie des personnes en ouvrant la résidence sur l’extérieur. Cela améliore la vie des personnes mais change aussi les perspectives du personnel.

De son côté, Catherine Bourmault-Costa, directrice de la résidence de la Vallée du don à Guéméné (44) a expliqué l’importance donnée à l’autonomie des personnes, qui passe par le fait que certaines vont dans le village et qu’il faut, aussi, sensibiliser les habitants, les commerçants, les gendarmes, à connaître les spécificités de ces publics.

Ces quelques exemples, glanés en seulement dix jours, en disent long sur les dynamiques qui traversent le monde du grand âge. Ces expériences, ces projets, ces actions viennent attester combien la société du vieillissement est une chance pour… rajeunir dans nos têtes !

Serge Guérin, professeur à l’ESG Management School
Vient de publier « La nouvelle société des seniors », Michalon 2011

Publié le 06/02/2012 à 08:01 | Lu 3078 fois