La mère de Valentina : Shoah, relation avec les personnes âgées et être étranger en Israël : trois thèmes, un film

La mère de Valentina, long-métrage israélien de Matti Harari et Arik Lubetzky, qui a recu le Premier prix au Festival du film juif de Berlin en 2009, sort en salle aujourd’hui. Une œuvre forte qui lie trois éléments dramatiques séparés : le traumatisme de la Shoah, l’acceptation de l’étranger dans la société israélienne et les relations avec les personnes âgées.


L’histoire

Une relation complexe se tisse entre Paula, une survivante de la Shoah vivant seule en Israël et Valentina, une jeune immigrante polonaise venue vivre avec elle. Quand Paula rencontre Valentina, qui a le même nom qu’une jeune voisine chrétienne que Paula a connu dans sa jeunesse, des souvenirs enfouis de la Shoah remontent à la surface. Paula commence à révéler son passé à Valentina et devient de plus en plus dépendante de la jeune fille.

Shlomo, le fils unique de Paula, devient jaloux et essaie de créer un fossé entre elles. Il découvre le comportement suspect de Valentina. Paula préfère ne pas en tenir compte et sa relation avec la jeune polonaise qu’elle considère quasiment comme une âme soeur tourne vite à l’obsession et devient incontrôlable.

Alors que des souvenirs sombres du passé ressurgissent, la vieille dame perd le sens des réalités. Elle ne peut plus se passer de Valentina. Cela devient trop oppressant pour la jeune fille qui demande à partir. Mais Paula veut la retenir à tout prix. La veille du départ de Valentina, Paula organise un dîner d’adieu au cours duquel leur intimité et leurs destins communs vont se révéler…

A propos du film par Régine Waintrater*

Paula est une vieille dame qui vit seule à Tel-Aviv. Malgré ses difficultés à se déplacer, elle s’obstine à refuser les aides à domicile que lui présente son fils Shlomo, exaspéré par l’entêtement de sa mère. Entre ces deux- là, la communication passe mal : très pris par son métier d’avocat et sa nouvelle histoire d’amour avec une jeune femme pour qui il a quitté femme et enfants, Shlomo a peu de temps à consacrer à sa mère, qui l’agace par ses commentaires acerbes et son refus de toute aide.

Un jour, pourtant, devant l’insistance d’une amie, Paula accepte de rencontrer une nouvelle candidate et est immédiatement séduite par cette jeune Polonaise de vingt ans, fraîchement débarquée, qui ne parle pas un mot d’hébreu. Commence alors une véritable idylle entre la vieille dame et la jeune fille, Valentina : gaie et attentionnée, celle-ci parvient à gagner la confiance de Paula, ce qui ne plaît d’ailleurs pas à son fils, soupçonneux et vaguement jaloux de l’engouement de sa mère, d’ordinaire si difficile.

Paula parle beaucoup, et avec le polonais, sa langue maternelle, reviennent les souvenirs. Elle raconte : sa jeunesse heureuse, son petit frère Jacob, son amie polonaise Valentina, avec qui elle jouait dans la cour, sa mère, tout un monde d’avant la Shoah, dont on devine, au fur et à mesure, qu’il n’en reste plus rien. Valentina écoute, sans toujours bien comprendre, visiblement ignorante d’une histoire qui s’est déroulée bien avant sa naissance.

Mais petit à petit, le rapport de Paula à la jeune fille prend un tour plus passionnel, et leur relation, d’agréable et enjouée, se mue en un huis-clos inquiétant. En fait, Paula, malgré les apparences, ne va pas bien. Vieillir est déjà un traumatisme en soi , mais pour celui qui a subi un traumatisme massif, la vieillesse est souvent le coup de trop.

On constate ainsi que nombre de survivants âgés vivent ce qui constitue le lot habituel de la vieillesse comme un rappel des traumatismes d’alors non surmontés. Ainsi, le départ ou l’éloignement d’enfants, la mort de conjoints ou d’amis, l’entrée dans une maison de retraite constituent un traumatisme qui ramène avec lui toute la douleur de la perte de familles entières. Les deuils « actuels » ravivent les deuils qui n’ont pu se faire. Le survivant vit alors les sentiments habituels éprouvés par la personne âgée comme la répétition des sentiments d’abandon, d‘isolement et de solitude éprouvés alors.

Comme tous les survivants, Paula a vu sa vie coupée en deux par la Shoah, et comme eux, elle a dû, pour mener une existence normale, opérer un clivage entre le traumatisme d’alors, inassimilable, et la vie d’après. Mais tout ce pan de sa vie demeure comme enkysté et continue son travail de sape silencieux dans son psychisme affaibli. Il suffit d’un événement extérieur, comme la rencontre avec Valentina, pour que s’embrase la mémoire et reviennent les images ingérables.

Aux prises avec les souvenirs traumatiques qu’elle avait enfouis au fond d’elle, elle ne parvient plus à maintenir ce clivage et semble ne plus faire la distinction entre la réalité actuelle et le passé. Dans les bribes de son récit, on comprend que sa famille a été anéantie, et surtout que son amie polonaise, la Valentina de son enfance, lui a refusé son aide, l’abandonnant elle et son petit frère Jacob à une mort certaine.

Sa vie quotidienne avec la jeune Polonaise est d’abord comme un baume sur ses plaies, une sorte de retour à l’enfance et une façon de récupérer la vie d’avant qui lui a été brutalement arrachée. C’est pourquoi, quand elle réalise que Valentina va un jour la quitter pour retourner en Pologne, le sentiment d’abandon exacerbé par l’homonymie entre les deux jeunes filles, refait surface dans toute sa force traumatique, la précipitant dans ce qui ressemble à un délire.

Elle ne distingue plus entre la jeune Polonaise et son amie d’alors, et, même quand elle semble revenue à des sentiments plus normaux, ce n’est qu’une apparence, comme nous le montre la fin tragique du film. Comment comprendre cette fin et le geste de Paula ? S’agit-il là d’un geste de vengeance ou d’un acte de folie ?

La réponse n’est pas univoque. La vengeance peut s’expliquer par une haine réprimée, une déception à l’égard du monde et des figures aimées, Valentina l’amie d’enfance, mais aussi le fils qui la délaisse, les amis qui ne la comprennent plus, tous condensés dans la figure de la jeune Polonaise qui se prépare à l’abandonner. Mais c’est méconnaitre l’impact toujours actif du traumatisme qui la conduit vers ce moment de folie : dans son désespoir, Paula ne raisonne plus selon la logique commune. Pour elle, vivre ce nouvel abandon, c’est mourir une seconde fois, comme elle est morte, là-bas, en Pologne, en perdant sa famille. C’est pourquoi elle accomplit son geste, qui, de façon symbolique, condense tous les éléments d’un passé, que, comme beaucoup de survivants, elle n’a jamais surmonté.

* Régine Waintrater, psychanalyste, thérapeute familiale, est maître de conférences à l’université de Paris-VII-Denis-Diderot. Auteur de nombreux articles sur les traumatismes extrêmes et leur transmission, elle a participé aux deux grands projets européens de collecte de témoignages vidéo des survivants de la Shoah (Yale University et Spielberg).

Prix
Premier prix au Festival du film juif de Berlin en 2009
Nommé pour la « Meilleure Actrice dans un premier rôle » et « Meilleure second rôle féminin » à l’Académie du film Israélien
Festival International de Skip City en 2008
Festival du film juif de Londres en 2009
Festival du film juif de New York en 2010

La Mère de Valentina
Réalisé par Arik Lubetzki, Matti Harari
Avec Ethel Kovinska, Silvia Drori, Yossi Oulu, etc.
Durée : 01h20min
Année de production : 2008

Date de sortie cinéma : 26 janvier 2011

Publié le 26/01/2011 à 09:27 | Lu 2516 fois