La langue : cet organe méconnu (partie 2)

A l’occasion du Congrès de l'Association Dentaire Française (AFD) qui se tient cette semaine à Paris, le Dr Sophie-Myriam Dridi, maître de conférences des universités, praticien hospitalier et spécialiste en médecine bucco-dentaire revient sur les secrets d'un organe méconnu : notre langue ! Quelles sont les pathologies qui peuvent atteindre la langue ? Elles sont potentiellement nombreuses : elles peuvent être sans gravité pour la plupart ou à l’extrême, mettre en jeu le pronostic vital des patients.


Le cancer de la langue est le cancer le plus fréquent de la cavité buccale… Mais il est totalement méconnu. Il s’agit pourtant d’un cancer très agressif avec des chances de survie limitées après traitement, sauf s’il est éradiqué à temps, comme c’est souvent le cas dans les cas de cancer. Il concerne essentiellement les patients fumeurs et consommant régulièrement de l’alcool ; de fait, le tabac multiplie les effets cancérigènes de l’alcool et vice et versa. La double consommation de ces produits s’avère donc redoutable.
 
Mais attention l’absence de ces deux facteurs n’élimine pas le diagnostic ! Les chirurgiens-dentistes sont maintenant bien formés à la détection de ce type de cancer, grâce à la formation initiale lors de leurs études et aux sociétés de formation continue comme l’ADF. Les patients ne doivent pas hésiter à en parler avec leur praticien et doivent savoir que toute masse qui pousse ou lésion ressemblant à un aphte, qui ne guérit pas spontanément et qui ne fait pas mal, impose une consultation. En cas de doute, ne tardez pas… Pris à temps, ce cancer se soigne.
 
Hormis le cancer, la langue peut être le siège d’autres pathologies dont la plupart sont heureusement bénignes. La langue géographique, par exemple est générée par un processus inflammatoire qui affecte la face dorsale. Cette dernière va être le siège d’une ou de plusieurs zones bien délimitées de dépapillation. Ces zones sont roses ou rouges, lisses et sont entourées par un liseré blanc. En quelques semaines, les papilles se reforment quand d’autres zones dépapillées apparaissent à côté. Le caractère migrateur des lésions a donné le nom à la maladie. Les causes ne sont pas connues ; aucun traitement n’est requis. La langue présente juste un aspect particulier. Elle peut simplement être un peu sensible lors de l’ingestion de boissons ou d’aliments acides.
 
La langue de feu ou glossodynie n’est pas une maladie organique. La langue est normale. Elle le siège de douleurs neuropsychogènes provoquées par un mal être, une angoisse ou un stress intense et prolongé. Une prise en charge psychologique est privilégiée dans un tel contexte. Il est inutile de prescrire des examens complémentaires tels que des prélèvements ou des biopsies et de prescrire des médicaments anti-douleurs.
 
Une hygiène mesurée pour notre langue !
Le brossage de la langue ne doit pas être systématique au quotidien et doit être préconisé dans un cadre thérapeutique précis. En assurant ses fonctions, la langue s’auto-nettoie régulièrement : une personne déglutit la salive en moyenne 1.500 à 2.000 fois par jour. A chaque fois, la langue recouverte de salive frotte le palais.
 
La nature est bien faite : grâce à l’auto-nettoyage, la prolifération bactérienne est entravée et les bactéries qui restent fixées sur la langue continuent de nous protéger. Ainsi, le brossage d’une langue saine n’est pas justifié, cela peut altérer sa surface et déséquilibrer les relations entre les populations bactériennes.
 
A contrario, le brossage de la langue est bénéfique dans certaines situations :
- Lorsque la langue est chargée d’un enduit blanchâtre : cette situation clinique se rencontre généralement en cas de diminution de la salivation, de la mastication ou d’épisodes fébriles et infectieux des vois aérodigestives supérieures.
- Lorsque la langue est villeuse. Cette situation est fréquente chez les fumeurs qui salivent moins que les non-fumeurs. Les papilles agressées par le tabac s’allongent ce qui favorise la rétention des débris et des bactéries ; elles se chargent en kératine et deviennent blanches. Elles peuvent ensuite se colorer en brun ou noir à cause du tabac ou si l’on abuse de bain de bouche antiseptique.
 
- En cas d’halitose d’origine buccale (mauvaise haleine) : dans 85-90% des cas d’halitose, l’origine est buccale. Plus concrètement, la mauvaise haleine s‘explique par l’accumulation des dépôts bactériens sur les dents, les prothèses mal entretenues et sur les muqueuses dont la face dorsale de la langue. Elle est provoquée par l’émanation de composés sulfurés volatils (CSV) malodorants.
 
Il s’agit principalement du sulfure d’hydrogène, du méthylmercaptan et de diamines (putrescine, cadavérine) qui sont produits par de nombreuses bactéries. Associé à un brossage des dents, le brossage de la langue diminue alors de façon significative la production des CSV par rapport à un brossage dentaire seul. Toutefois, les mesures d’hygiène peuvent se révéler insuffisantes en cas d’halitose chronique prononcée nécessitant une consultation chez un chirurgien-dentiste.
 
Comment brosser sa langue ?
Quand la situation le nécessite, le brossage doit être doux pour ne pas abîmer les papilles. Il concerne surtout les deux-tiers antérieurs de la face dorsale ce qui limite l’efficacité de la procédure (le brossage du 1/3 postérieur dorsal entraine inexorablement un réflexe nauséeux !). Il peut être effectué avec une brosse à dents ultra douce ou avec des racleurs spécifiques dédiés uniquement à cet usage.
 
Les baisers : bons ou mauvais pour la langue
Le baiser à la française ou french kiss consiste à s'embrasser avec la langue. Cet échange de salive n'est pas tout à fait sans risque d'un point de vue médical. D'innombrables microbes, pathogènes ou non, peuvent être contenus dans la salive, ou portés par la peau des lèvres. Sans prétendre à l'exhaustivité, les baisers peuvent transmettre une longue liste de maladies infectieuses. Cela va de la rhinopharyngite à la tuberculose, en passant par la grippe, les angines, la mononucléose infectieuse, la diphtérie, les oreillons, la rougeole, la rubéole, l'hépatite A, la méningite, la varicelle, l'herpès, la coqueluche, la scarlatine, les gastro-entérites, etc.
 
Toutes ces possibilités de contagion ne devraient pas décourager les amoureux. Étant donné le nombre de bises ou de baisers échangés chaque jour dans le monde, chacun peut constater que le risque infectieux est très faible. Il ne devrait donc pas décourager les gens de continuer à s'embrasser. Et c'est tant mieux.

Publié le 30/11/2017 à 01:00 | Lu 5154 fois