La crise actuelle est aussi une crise du court terme, chronique de Serge Guérin

La semaine dernière, je posais la question de savoir si nous vivions une crise classique ou si nous étions face à un tournant qui marque le basculement entre deux types d’économie-monde (de l’Europe vers l’Asie et les pays émergents) ? Certes, il n’y a jamais une seule motivation à une crise de cette ampleur, qui vraisemblablement, est loin d’être jugulée.





Sur la forme, nous vivons et nous subissons les effets dramatiques d’un libéralisme sans conscience porté par le seul principe d’un enrichissement individuel fondé sur la spéculation à court terme et l’endettement.

Cette course folle était fondée, idéologiquement, sur le déni de l’Etat (l’Etat, c’est le problème disait le président Reagan) et l’affirmation que la somme des intérêts individuels devait produire le bien être général.

A cela s’est ajouté le totem des 15% qui voulait que chaque investissement, chaque activité produise au minimum un rendement de 15% chaque année. Là encore, on voulait faire d’un objectif rationnel à court terme et pris séparément, une obligation universelle sans fin.

Double méconnaissance : le système est cumulatif (en 5 ans, cela revient à multiplier par plus de 101% le taux de rentabilité !) et voudrait que chaque secteur puisse avoir une rentabilité équivalente.

Surtout, le capitalisme financier, en niant ce qui a fait la force du capitalisme, c’est-à-dire la prise de risque et l’innovation, a fini par ôter tout sens à l’activité économique et à démonétiser le travail, l’effort, le respect de l’action de l’autre.

En voulant réduire à toute force l’implication de l’Etat, les formes de solidarités collectives et les revenus du travail, la sphère financière et ultra libérale s’est tiré une balle dans le pied. Pour qu’un système collectif fonctionne, un minimum de solidarité, de cohésion et de confiance sont nécessaires.

Cela passe par des mécanismes qui permettent à chacun, y compris les plus fragiles et les plus faibles, de disposer de revenus suffisant pour vivre décemment, d’être assuré de ne pas tout perdre en cas de coup dur et de pouvoir progresser par leur travail et l’éducation.

L’un des fondateurs de la sociologie, Georg Simmel, disait déjà il y a un siècle, que le pauvre faisait partie de la société. Elle se perd –et nous avec- à ne pas le prendre en compte. Une société est formée d’une multitude : les plus fragiles, les plus âgés, les plus faibles en sont les maillons essentiels.

L’impératif de retrouver des bases solides pour relancer la machine économique, la nécessité absolue de conduire une lutte réelle contre la pauvreté mondiale et l’obligation de répondre aux enjeux du dépérissement de l’environnement et du vieillissement généralisé de la population mondiale nous oblige à inventer de nouvelles réponses et à construire une société qui donne sa chance à chaque individu par la solidarité collective et la prise de conscience que chaque droit s’accompagne de devoirs équivalents. Pour tous.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier Vive les vieux !, Editions Michalon
La crise actuelle est aussi une crise du court terme, chronique de Serge Guérin

Article publié le 09/02/2009 à 08:45 | Lu 4695 fois