La bouche révélatrice de l'état de santé général d'une personne...

La bouche témoigne de notre l’état de santé. Quelles sont les maladies dépistées ? Les anomalies de la dent ? Les anomalies du parodonte ? Les anomalies osseuses maxillaires ?... Entretien avec le Professeur Jean-Christophe Fricain, spécialiste qualifié en chirurgie orale, responsable de la consultation de pathologies de la muqueuse buccale au CHU de Bordeaux.





La bouche révélatrice de l'état de santé général d'une personne...
Bien que la bouche soit une partie intégrante de l’organisme, qu’elle soit la porte d’entrée du tube digestif, la conscience de l’importance du lien entre la cavité buccale et l’état de santé général a varié au cours du temps. Hormis quelques exemples marquants comme : l’examen de la bouche des esclaves pour juger de leur état de santé, la théorie de l’infection focale qui a conduit à édenter de nombreuses personnes au début du vingtième siècle, le médecin qui fait tirer la langue à ses patients, la bouche et les dents sont peu étudiées en médecine générale.
 
La dichotomie ancestrale qui existe entre études de médecine et études odontologiques en est sûrement la cause. Ce n’est que très récemment avec la médicalisation des études d’odontologie, que la bouche est perçue comme un miroir de l’état de santé général, plaçant par là même le chirurgien-dentiste en acteur privilégié du diagnostic de pathologies générales aigues ou chroniques.
 
« On sait aujourd’hui que des infections bucco-dentaires peuvent déséquilibrer un diabète, être un facteur de risque des maladies inflammatoires, des maladies cardiovasculaires, de prématurité chez la femme enceinte, qu’elles sont un facteur aggravant en rhumatologie. Des hémopathies malignes peuvent être diagnostiquées sur des signes buccaux, par exemple des leucémies pouvant se manifester au niveau de la muqueuse buccale ou de la gencive. On sait qu’il faut surveiller le défaut salivaire qui peut être dû à une destruction auto-immune des glandes salivaires concourant à un risque accru de lymphome. Une contraction anormale de la mâchoire peut être un premier signe de tétanos ! » explique le Professeur Fricain.
 
Aujourd’hui, il est donc possible de diagnostiquer des maladies générales à partir de lésions buccales. Les anomalies dentaires, parodontales, osseuses maxillaires, muqueuses, salivaires sont en effet révélatrices de désordres sur la santé générale. Le chirurgien- dentiste est ainsi un maillon essentiel de la « chaine du diagnostic ».
 
Les anomalies de la dent

Le phénotype dentaire peut parfois être à l’origine de la découverte d’une maladie rare et permettre la mise en place d’un protocole de surveillance ou d’un traitement adapté. En tout 900 maladies rares touchent les dents. Ces maladies rares concernent 3 à 4 millions de personnes en France et 25 millions en Europe. L’explication repose sur le fait que les gênes qui gouvernent le développement des dents concernent aussi d’autres organes. On peut citer par exemple parmi les signaux d’alerte, la perte prématurée des dents de lait chez le jeune enfant. Cela devra faire suspecter une hypophosphatasie. Un autre exemple concerne les anomalies de l’émail associées à des rétentions dentaires qui doivent faire suspecter une amélogenèse imparfaite compliquée d’une atteinte rénale appelée néphrocalcinose.
 
Les anomalies du parodonte

Le parodonte est le tissu de soutien des dents qui comprend principalement la gencive et l’os alvéolaire qui entoure les dents. La gencive peut être le siège de pathologies tumorales malignes. Une hypertrophie gingivale avec une coloration violacée de la gencive ou une nécrose gingivale doivent faire évoquer une hémopathie maligne ou une immunodépression sévère. Le dentiste prescrit alors une prise de sang qui peut permettre le diagnostic et sauver la vie du patient. Une parodontite agressive doit faire évoquer le diagnostic de diabète, surtout si l’hygiène buccale est correcte. Le dentiste pourra rechercher à l’interrogatoire les signes cardinaux du diabète : polyurie, polydipsie, polyphagie. Un saignement spontané abondant des gencives ou après la perte d’une dent de lait ou d’une extraction, peut faire évoquer une maladie de l’hémostase. Il n’est pas rare de découvrir une hémophilie à l’occasion d’un geste dentaire ou de la perte d’une dent de lait.
 
Les anomalies osseuses maxillaires

Des kystes multiples sans origine dentaire doivent évoquer une maladie de Gorlin. Cette pathologie se complique de nombreux cancers de la peau (carcinomes basocellulaires). Des tumeurs osseuses multiples appelées ostéomes doivent évoquer un syndrome de Gardner ou polypose adénomateuse familiale qui dégénère en cancer mortel. Un diagnostic précoce sauvera la vie des patients et permettra de mettre en place une surveillance accrue auprès de la descendance.
 
Les anomalies de la muqueuse buccale

Les pathologies de la muqueuse buccale peuvent être révélatrices de pathologies générales de nature infectieuse, tumorale, inflammatoire, carentielles. La tuberculose, la syphilis et le SIDA sont des maladies infectieuses qui peuvent être diagnostiquées à partir de lésions buccales primitives dans le cas de la syphilis et souvent secondaires pour la tuberculose et le SIDA. Les leucémies peuvent être diagnostiquées à partir d’ulcérations persistantes et un lymphome à partir d’une tuméfaction pérenne de la muqueuse. Des maladies inflammatoires ou auto immunes graves comme la maladie de Behcet ou le Pemphigus se manifestent par des ulcérations et des érosions de la muqueuse buccale. Des ulcérations aphtoides associées à une tuméfaction labiale amènent souvent au diagnostic de maladie de Crohn. Un érythème de la muqueuse buccale persistant au niveau de la langue doit faire évoquer une carence en vitamines B9 et B12. Ces carences se compliquent d’anémie et sont responsables de neuropathies périphériques irréversibles. Le dentiste doit pouvoir les diagnostiquer précocement pour éviter les complications. Des perlèches chroniques peuvent aussi être révélatrices d’une anémie.
 
Les anomalies salivaires

La xérostomie ou sensation de bouche sèche concerne 65% des patients après 65 ans. Les principales causes de la xérostomie sont : la prise de médicaments, la radiothérapie cervico faciale et le syndrome de Gougerot-Sjögren. La recherche de ce syndrome qui associe principalement une xérostomie, une xérophtalmie et des douleurs articulaires est importante car il peut se compliquer de cancers lymphatiques (lymphomes). Les dosages salivaires renseignent sur la consommation de drogues ou la présence de certaines maladies (SIDA par exemple). Plus facile à prélever que le sang, de nombreuses recherches sont aujourd’hui menées sur la salive comme outil diagnostic des cancers, du diabète, de la maladie d’Alzheimer, de Parkinson…

Article publié le 28/11/2014 à 10:39 | Lu 28404 fois