La Silver Economie pour la Silver Génération ! Chronique de Serge Guérin

La Silver Economie synthétise la volonté de traduire en termes d’activité économique, la transition démographique. Figurant parmi les 34 chantiers prioritaires du gouvernement pour favoriser la croissance et la réindustrialisassions du pays, la Silver Economie, peut apparaître comme nouvel eldorado pour l’économie française qui en a bien besoin…





Peut-être que le premier mérite de la Silver Economie tient à ce qu’elle permet de pourfendre une idée reçue, bien ancrée dans les esprits, faisant du vieillissement la source essentielle du déclin de la France. Pour de nombreux économistes et, plus largement, la grande majorité des décideurs et leaders d’opinion, les dés sont jetés : un pays qui prend des rides et des cheveux blancs et un pays qui ne sait plus affronter les grands vents de la mondialisation et de l’innovation technologique. Les retraités ne veulent pas investir dans l’économie de l’avenir ou dans les infrastructures numériques, mais seulement dans la sécurité, la santé et les loisirs…
 
La réalité est plus nuancée. La société de la longévité est par exemple porteuse d’un potentiel d’emplois nouveaux (350.000 créations d’ici à 2020 rien que dans les services à la personne), d’innovations technologiques, sociales et culturelles, d’inventions de nouveaux produits adaptés aux besoins et aux usages de la Silver Génération, fragilisée ou non, mais aussi de nouvelles activités dans le domaine du service… L’émergence de la filière de la Silver Economie pour fédérer et rendre visible une offre de services et de solutions dédiée aux seniors, montre que la nouvelle donne démographique peut être aussi un levier de développement d’un pays.
 
La Silver Economie lancée par Michèle Delaunay, alors ministre des personnes âgées, en 2013 a contribué à changer l’image de la question senior en montrant que cette filière, loin de ramener le pays en arrière, pouvait l’aider à retrouver une nouvelle dynamique, contribuer à une croissance qualitative. La valorisation de cette Silver Economie vient donc en complémentarité de la Loi d’orientation et de programmation sur l’Adaptation de la société au vieillissement, qui pour la première fois en France devrait entraîner une démarche positive envers la révolution démographique et aborder progressivement le vieillissement par d’autres biais que celui de la santé...
 
Finalement, la France tente, avec trente ans de retard de prendre exemple sur le Japon qui très tôt, a choisi de faire de la nouvelle donne démographique un levier d’innovation et de développement économique. Au Japon, le marché de la Silver Economie devrait atteindre 692 milliards d’euros en 2015. En France, le marché devrait atteindre les 130 milliards d’euros d’ici à 2020. Tout de même.
 
Pour beaucoup, la Silver economie ce sont surtout des systèmes de surveillance, d’alerte ou d’encadrement… Il s’agit de répondre au besoin de l’entourage de se rassurer et à pallier la présence insuffisante ou considérée comme trop onéreuse d’êtres humains… Il paraît important de souligner que si ces systèmes peuvent intervenir en complémentarité de l’intervention humaine, ils ne sauraient remplacer la bienveillance et la présence. En ses temps de complexité et de déshumanisation, rien n’est plus essentiel que la présence humaine, le lien social, l’accompagnement et le soin.
 
D’autres approches concernent les « cobots », ces robots dits collaboratifs qui, selon leurs défenseurs, pourraient venir assister les personnes âgées déficientes. On signalera, cependant, que la plupart des seniors ne sont pas très enclins à voir l’intrusion d’un robot de service à leur domicile. Ni à croire qu’il remplacera la présence humaine.
 
Reste que l’un des apports majeurs de ce qu’il est convenu de nommer les gérontotechnologies tient aux possibilités suivre ou d’intervenir à distance, par exemple pour le télé-diagnostic ou pour du suivi et même des interventions. Le suivi évite aussi des visites médicales nécessitant de lourds trajets couteux et stressants. Ces technologies à distance facilitent aussi le lien entre les familles et un proche fragilisé, et réduisent les effets de l’éloignement géographique et des difficultés de suivi.
 
D’ailleurs pour 93% des Français, ce type de solutions peut améliorer leur situation, en particulier pour les personnes subissant des maladies neurodégénératives. Les technologies s’appuyant sur les réseaux numériques peuvent contribuer à plus d’équité territoriale. Rappelons que si 21% de la population française à plus de 60 ans, le niveau moyen s’élève à 27% dans les zones rurales.
 
Le Groupe La Poste, qui a un rôle majeur à jouer en raison de son implantation unique sur les territoires développe une approche qui s’inscrit dans le même sens. En s’appuyant sur cette force unique que sont ses 90.000 facteurs, La Poste propose aux collectivités locales ou à des structures de soutien comme les mutuelles, assurances ou caisses de retraite complémentaires, Cohesio, un service permettant d’assurer des visites quotidiennes, même sans lettres à distribuer, par le facteur qui ainsi, peut assurer un lien humain avec la personne, vérifier si tout va bien, donner des conseils de prévention, alerter en cas de problème, fournir des produits d’alimentation…  Mais il peut aussi effectuer des analyses ou adresser des photographies d’un bien ou d’une partie du logement pour une compagnie d’assurance par exemple.
 
Plus largement tout ce qui  renforce la présence humaine répond au désir des personnes de rester vivre à domicile. Ce qui le plus souvent est moins onéreux que d’habiter dans une maison de retraite. Parfois l’humanisme se conjugue positivement avec la rationalité économique…
 
Dans ces démarches d’offre de produits ou de service à très fort contenu technologique, destinés à améliorer le confort et la vie quotidienne de nombreux seniors, les approches autour du logement sont majeures : systèmes de domotique plus ou moins complexes et complets allant de la mise en œuvre de chemins lumineux dans l’appartement pour ne pas tomber la nuit à des commandes automatisées pour l’ouverture ou la fermeture de volets, de portes, de lumières, en passant par l’adaptation des salles d’eau et des lieux d’aisance.
 
Pour aussi riches et intéressantes qu’elles soient, ces approches posent parfois des problématiques de complexité, de coûts et de risques de maintenance ou simplement transforment le lieu de vie en maison de retraite individualisées. La question des usages doit rester au centre de la réflexion des acteurs. Une autre limite concerne la capacité financière des personnes visées ou la capacité d’investissement des collectivités qui pourraient commander ces dispositifs dans l’optique de répondre aux besoins des personnes et de les aider à rester vivre chez elles. De nos jours, énormément d’acteurs, de Cogedim au logement social, développent des offres répondant aux attentes de la Génération Silver.
 
Les approches d’adaptation concernent aussi les questions de transport et de mobilité pour favoriser l’autonomie des personnes et la réduction des coûts. Deux domaines clés du quotidien (les transports et l’habitat) sont encore très loin de répondre aux besoins et aux attentes des plus âgés. Ces derniers sont respectivement à 34 et 33% à affirmer que l’offre n’est pas adaptée à leurs besoins. Une adaptation qui doit prendre en compte les problématiques sensorielles, le confort, la possibilité de faire évoluer les espaces… Il ne s’agit pas nécessairement de transformer véhicule ou logement en station spatiale bourrée d’électronique...
 
La Silver économie c’est simplement sensibiliser les conducteurs de bus à la présence de personnes plus âgées et faire que la conduite soit plus douce. Kéolia, par exemple, embarque un système dans les bus qui favorise une conduite plus lente favorisant le confort des utilisateurs âgés et qui permet une consommation de CO2 moins pénalisante.
 
Enfants de la société de consommation et des services, expérimentés et lucides, les seniors sont attentifs et demandeurs de solutions mieux adaptées, en particulier pour les biens de consommation pour la vie de tous les jours. Le plus souvent, il s’agit simplement d’un peu d’attention, d’un peu de bienveillance. Par exemple utiliser des polices de caractère plus large et plus visibles sur des emballages ou inventer des systèmes d‘ouverture plus ergonomiques et plus doux, facilite la vie des seniors. Mais, au-delà, facilite la vie de toutes et tous. La Silver Economie, c’est l’économie du bien vivre et de l’attention !
 
Serge Guérin
Professeur à PBS-Paris Business School
Vient de publier « Génération Silver : Combattre les idées fausses sur le vieillissement » ; Michalon 2015 

Article publié le 23/02/2015 à 02:00 | Lu 3798 fois